De un à une !
Ce livre va vous brûler, le langage y est cru et accompagne une analyse aussi implacable que la soif de dire est inextinguible.
Quel que soit le nom, l’étiquette : bisexuel, intersexué, hermaphrodite…la seule vérité est celle du ressenti.
Huriya veut dire liberté en arabe, c’est ce nom qu’elle a choisi pour dire la condition féminine au-delà de son cas.
Née à Marrakech, sans père, vite abandonnée par la mère, déposée comme un colis chez les grands-parents, premier rejet.
Grand-mère musulmane, grand-père françaoui, une guerre permanente entre les deux, c’est un mode de vie. Renommé Moulay Saïd, identifié comme garçon et c’est sans discussion possible.
L’enfant grandit, tiraillé entre deux mondes : celui du Coran et celui de la littérature. Entre les sourates et les strophes des Fleurs du Mal…
« Mes cheveux ne sont pas crépus. J’ai de beaux cheveux blonds qui m’arrivent aux épaules. Les traits de mon visage poussiéreux sont fins. Mon visage est couleur coucher de soleil. Mes yeux sont azurés comme le ciel d’ici. J’ai hérité des yeux bleus de mon grand-père, le Français. Je ne ressemble pas à un enfant d’ici. Je ne suis pas comme les autres. Ma différence sera mon destin. »
La grand-mère a plusieurs vies, plusieurs visages, c’est violent et souvent tragi-comique.
Mais ce qui ne cesse de m’étonner c’est le fait que les femmes continuent à transmettre ce qu’elles ont subi, c’est-à-dire à conditionner des petites filles à se soumettre. Un monde ou les pourquoi et comment trouve une unique réponse : c’est comme ça.
« J’ai fini par avoir deux têtes. Une pour grand-mère : une tête musulmane. Et une tête pour grand-père : une tête athée. »
L’enfant se plie pour ne pas rompre, car elle a été rejetée par sa génitrice. A-t-elle le choix ? Elle observe, scrute, fait son éducation des contradictions du monde des adultes, des mensonges comme mode de survie.
La condition des filles n’a pas changé au fil des siècles, c’est immuable, un conditionnement qui perdure.
« Une bonne Musulmane qui se respecte. Elle marche vite et à petit pas. On leur a toujours dit de ne pas traîner dehors. Elles ont été élevées dans un mélange toxique de religion et de traditions. Et nos vies ressemblent à nos traditions, nous sommes emmurés. Avant même d’apprendre à marcher, leur mère a répété : « Ne lève pas les yeux sur les hommes. Oriente ton regard vers le bas. Montre que tu as de la pudeur. Aie honte. » Aie honte, voilà ! Alors, les filles marchent et elles ont honte. Elles grandiront comme ça. Et la honte ne les quittera plus. »
Toute la première partie du livre m’a donné une impression d’oppression, et une image s’est imposé celle d’un enfant donnant des coups de couteau à sa mère déjà morte mais qui continue à frapper comme pour s’effacer.
J’ai relevé une multitude de phrases fortes, de celles qui restent.
Et je ne pouvais pas ne pas me poser la question : que serait devenu l’enfant sans la transmission des mots, des livres, délivrée par le grand-père ?
La culture comme rédemption des péchés du monde, cela me convient et me convainc.
Le portrait du grand-père est extraordinaire, et il est ce souffle de liberté qui va porter loin. Cette littérature qui l’habite et le tient debout. Se nourrir ainsi et écrire c’est se livrer sans ménager ses lecteurs.
Tous ces mensonges, ce monde d’hypocrisie est d’une grande violence. La grand-mère ne manque pas d’imagination pour tordre le cou à la vérité.
Certaines scènes sont hilarantes malgré tout, notamment le moment où Moulay Saïd doit échapper à la circoncision, sachant que c’est le coiffeur qui officie à l’aide d’une paire de ciseaux et bien évidemment sans anesthésie.
L’écriture est forte, mais il faut beaucoup de force pour naître à travers cet héritage.
L’écriture est belle aussi, dans sa crudité mais aussi dans sa poésie.
En conclusion, vous lecteurs ne pourraient oublier ce destin commun des femmes :
« Une femme instruite, c’est une femme dangereuse. Si elles en savent plus qu’un homme, ça peut lui couter très cher. »
Et le destin particulier d’Huriya :
« Je suis une fleur qui a poussé sur le mâle. »
©Chantal Lafon
Lien :
https://jai2motsavousdire.wo..