Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère. »
- Je suis proustien, dit-il aussi.
- C'est quoi être proustien ?
- Être proustien, c'est ne pas avoir des jambes courtes et dodues, comme ta grand-mère. Tu verras plus tard, une longue phrase proustienne, c'est comme une belle femme. Ça doit évoquer des jambes longues, fines et interminables.
Tu vas rire, grand-père. Les rires sont des déceptions joyeuses.
Un enfant sans père est un enfant sans nom. Je suis né dans le mensonge une nuit du mois d’août dans cette ville sourde et aveugle »,
Le destin s'était présenté à grand-père sous la parure d'une femme berbère. Une folle ardeur l'avait poussé dans les rets de cette mante religieuse et les malveillances du hasard ont dicté la suite (...) C'était la guerre sous un toit.
Devant mes yeux, une pute donne un billet de cinquante dirhams à un policier en civil qui s'empresse de mettre l'argent dans sa poche. Le policier s'éloigne. Un mendiant tend la main au policier qui lui donne une pièce. C'est une bonne action, dit-on. Tout s'achète ici ! Même le Paradis.
La détresse sereine, grand-père passe ses journées assis sous le patio à panser ses plaies. Il tient un livre comme d'autres tiennent le Coran. Seulement, tous ces livres qui l'entourent ne servent qu'à colorer la tristesse qui enduit son visage. Il se réfugie dans du papier pour échapper à son mouroir. Il tourne une page et se laisse caresser par quelque chose. Il en tourne une autre et se laisse bercer par autre chose. Mais qu'attend-t-il donc ? Qu'un autre avenir sorte d'une page ? Il aurait dû comprendre que ce qu'il cherchait ne se trouvait pas dans les yeux de cette femme berbère. Plus tard, il me dira qu'il lit une phrase par jour. Une seule. Pas plus. Mais une belle. Puis plus rien, le reste de la journée; le silence et une cavale de l'âme.
Elle ne sait ni lire ni écrire. Elle sait seulement déchiffrer l'heure et compter l'argent. Ça, compter l'argent, tous les Marocains savent le faire. C'est ce qu'on apprend en premier. Ici, dès le plus jeune âge, on vous apprend le Coran et à compter l'argent. Beaucoup d'entre nous finissent par compter leur misère.
Ma place n'est plus ici. Je quitte l'ensommeillement oriental pour les insomnies occidentales. Les derniers mots de grand- père sont : « Va apprendre la vie. Je te l'ordonne!»
J'emmène avec moi Du côté de chez Swann.
Mon avion décolle du côté d'ailleurs.
C'était le protectorat. La France était sûre d'elle-même. Arrogante, elle a imposé sa puissance. C'était une époque rugissante où les Français faisaient ce qu'ils voulaient sous le prétexte d'une "œuvre civilisatrice".