Quel univers particulier développe cet homme là ! Fidèle à sa veine, pointilleux dans son décalage, nul doute que John Arne Sæterøy est reconnaissable, autant dans sa facture que ses thématiques. Sur ce ton d'humour à froid et chirurgical qui lui est propre, riche de personnages inexpressifs qui inquiètent ou touchent en plein coeur, Jason décortique en 6 saynètes les aspirations des couples. Absurde et cocasserie s'entremêlent, pour nous tirer des émotions jamais sereines. Doit-on rire ou pleurer ? On semble toujours entre deux. Cet atypisme m'est vraiment plaisant.
Mises en bouche :
1. CHEVAL SOURIANT
Deux hommes. Une femme enlevée. Une rançon qui tarde à venir. Et le spectre du Cheval Souriant qui pèse sur les culpabilités.
2. UN CHAT DU PARADIS
Mise en abyme de l'auteur, Jason évoque ses livres passés par la bouche de fans de passage, campe un auteur attiré par le sexe et l'alcool, en conflit intérieur et conjugal, narcissique, au point de tourner en rond, ce que l'on retrouve dans la forme, par une boucle narrative, chère à l'auteur dans nombre de ses histoires.
3. LE CERVEAU QUI NE VOULAIT PAS VIRGINIA WOOLF
Le docteur Frankenstein réinventé ou comment parler du couple platonique avec originalité... Par une très bonne trouvaille, Jason évoque les difficultés d'entente dans un couple, entre un médecin et sa femme dont il maintient la tête vivante, en attendant de lui trouver un corps.
4. TOM ATTEND SUR LA LUNE
Quatre destins amoureux emmêlés, jusqu'à ce que Jason ne tisse tout ça en une tragédie dont il a le secret. La vie de couple a des effets nocifs sur la santé.
5. SO LONG MARY ANN
Un polar ficelé qui prouve encore une fois - s'il fallait le préciser - qu'il ne faut jamais faire confiance aux femmes vénales.
6. ATHOS EN AMÉRIQUE
Épée, dépaysement, anachronisme et cinéma. Quand les non-dits soulèvent des intrigues...
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Si on me demandait de citer les deux BD qui ont été déterminantes dans mon évolution de lecture, je donnerais sans hésiter "La balade de la mer salée" de Hugo Pratt et "Attends" de Jason.
J'ai grandi dans la bibliothèque de mon père qui collectionnait les grands classiques de la franco-belge. Quand j'ai moi-même commencé à acheter des BD, j'ai continué dans la lignée logique : Thorgal, Largo Winch, XIII etc. Puis j'ai découvert Corto Maltèse et j'ai compris que la BD pouvait aussi être en noir et blanc, parler d'une aventure profonde avec des personnages moins manichéen et qu'une BD ne se composaient pas obligatoirement de tomes successifs. Bref, j'ai découvert le roman graphique (et Corto). Puis, des années plus tard, j'ai lu "Attends" et j'ai à nouveau découvert quelque chose. J'ai découvert que la BD pouvait aussi être poétique, qu'elle pouvait avoir plusieurs degrés de lecture, qu'elle pouvait être dure sans rien montrer et que les espaces entre les cases pouvaient aussi tellement raconter.
Cette BD, c'est pas grand chose, une soixantaine de planches comprenant chacune 6 cases, un dessin simple, presque austère, et très peu de dialogues. Elle peut se lire en quelques minutes si on n'adhère pas...car ce n'est pas une lecture facile.
Il faut accepter de se soumettre à l'univers onirique de son auteur, peuplé de personnages étranges à tête de chien, de lapin ou d'oiseau. Il faut percer le symbolisme et là...si on y rentre vraiment, c'est une BD proprement bouleversante qui parle de l'enfance, de la déception, du deuil, de l'inconscience, de la perte de l'innocence et de la culpabilité.
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La BD a longtemps été pour moi, synonyme de gaieté, de distraction, Lily, Aggie, Tintin, Lucky Lucke ... Ensuite, j'ai filé, toutes voiles dehors, dans l'univers glacé d'Enki Bilal.
Et puis, il y a quelques années, j'ai eu une révélation lorsque j'ai lu "Attends" de Jason. Rien à voir avec les BD précédentes.
Une BD en deux parties. La première partie est l'histoire de deux amis d'enfance, insouciants. Ils vont à l'école, s'amusent, font de petites plaisanteries, ont de grands projets.
Et le drame arrive. Et on bascule, dans la seconde partie. L'âge adulte, la culpabilité, la tristesse.
Tout au long de l'histoire, on est totalement investi. C'est comme si le personnage "attendait" qu'on la lise pour pouvoir avancer. C'est une drôle d'impression.
Les planches sont en noir et blanc. L'émotion, d'entrée est présente, car le drame qui se noue, il est annoncé, il est prédit, on le sent mais on ne le voit pas arriver ou ... trop tard.
Les personnages ne sont pas des humains mais des animaux. Mais des animaux debouts, habillés, qui vont travailler, prennent le bus. Des hommes tout simplement, comme nous. Cette histoire est la nôtre. Une histoire toute simple. Une BD chargée d'émotions.
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Voici le genre de BD qui généralement me plait beaucoup : les histoires sans texte, ou avec presque pas de texte.
J'ai compris "Attends", j'ai bien aimé cette histoire d'ados, ces moments partagés qui semblent rien quand on est adulte mais qui sont tout à cet age là.
Par contre je crois que je n'ai absolument rien compris à "Chhht". J'ai tourné les pages, j'ai regardé, je suis revenu en arrière et ça m'échappe totalement. J'ai eu l'impression de plusieurs histoires mélangées sans réussir à décrypter chacune d'entre elle.
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Très belle histoire que cette BD qui raconte les petits riens partagés par deux amis d'enfance et leurs journées jusqu'au moment où...ensuite c'est la vie post drame d'un de deux garçons, ces tentatives pour vivre. Plein d'ellipses mais tellement poetique! Pas beaucoup de dialogues sauf dans les premières images, mais cela n'empêche en rien à la narration d'être fluide...
Vraiment poignant.
Chhhht est un second récit qui suit les amours compliquées d'un autre héros, avec des allers retours sur des petits moments, sans doute de l'ordre du fantasme et de l'intime.
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C’est un livre (OVNI?) étonnant. Au travers d’histoires courtes, nous croisons une foule personnages connus de Frida Kahlo à Ionesco, en passant par Elvis et David Bowie entre autres. Une histoire policière fait suite à de la science fiction, une histoire dont il manque des mots à chaque phrase (dite Pérec) précède une histoire de vampires… C’est un vrai jeu de piste , l’auteur a voulu s’amuser avec le lecteur tout en le faisant participer à son jeu.
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Cela fait des années que je connais cet auteur à l'univers bien singulier avec son personnage central mi-homme, mi-oiseau. Il est vrai que je n'avais pas lu ce qui constitue l'une de ses toutes premières oeuvres. Cela pouvait paraître un peu révolutionnaire à l'époque mais avec le temps et sans doute la prolifération d'autres oeuvres muettes tout aussi parlantes, c'est devenu plus commun et moins enchanteur.
Il n'en demeure pas moins que j'ai apprécié certaines nouvelles comme celle de la mort qui nous accompagne ou encore celle de l'amour qui disparaît tragiquement. Bref, cela parle même en l'absence de mots. Certaines histoires courtes n'apportent pas grand chose même en essayant péniblement de décrypter le sens. C'est couci-couça ! Léger et tragique à la fois...
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Jason nous offre ici un recueil muet où de courtes histoires nous narrent des histoires de deuil, de chagrin, d'abandon, d'acceptation et de temps qui passe.
Les BD de Jason, avec ces drôles de personnages mi-humains mi-animaux, c'est pas des BD super chaleureuses et ici, on est vraiment dans ce qu'il fait de plus abouti : tristesse et mélancolie.
Comme dans d'autres BD basées sur le même univers, nous avons ici une BD très symbolique, assez froide, mais qui éveille chez le lecteur réceptif une émotion certaine. Je suis bien consciente que tout le monde ne peut être sensible à l'univers de Jason. Il n'est pas aisé d'y entrer ni de passer outre le dessin froid et statique et cependant parfaitement maitrisé et étudié. J
Pour ma part, j'adhère complètement à ce style et à cette narration qui souvent, me renvoient dans une réflexion que des dessins plus expressifs ou une narration plus légère n'auraient pas suscité.
Cette relecture m'a donné envie de redécouvrir ce qui, pour moi, est le chef d'oeuvre de Jason (et un chef d'oeuvre tout court) : Attends ; BD qui est une des pierres angulaires de mon amour de la BD.
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-Quoi?
-Quoi, quoi?
-Ben, vas-y!
-Chhht ! Mr Jason vide les entrailles du monde dans lequel on vit.
-Ah...
-Bah oui, son truc c'est de signifier l'insignifiant tu vois, de faire quantité du négligeable.
-Ouah, il doit en dire des choses...
-Non justement, il dit rien, il ne fait que montrer. La solitude, par exemple, ben, c'est le fléau de nos sociétés de consommation de masse, alors pour décrire la solitude, ben Jason, il montre des gens seuls, désespérés.
-Bah dis, il a pas l'air marrant ton Jason...
-Au contraire, toutes les situations qu'il mets en scène prêtent bien souvent à rire. Il utilise souvent le comique de répétition, les situations aussi sont désarmantes.
-Alors, il traite ça un peu à la légère.
-Pas du tout. Son dessin clair et précis, son découpage des planches est vraiment efficace. Et puis, la manière dont il différencie ses personnages d'un petit rien, d'une couleur de veste ou juste sur la longueur du museau, c'est vraiment du grand art.
-Ouais, mais je ne suis pas convaincus...
-Bah tiens, par exemple, dans la première, un homme jette une pierre dans un ruisseau. Il se retourne et trouve une jeune femme juste derrière lui. C'est le coup de foudre immédiat. Finalement, bon, je ne te raconte pas toute l'histoire mais, l'homme perd la femme qu'il aime. Il est désespéré. Alors, il retourne sur le pont qui enjambe le ruisseau. On pense qu'il va se suicider évidemment. Mais non, l'homme jette une nouvelle pierre dans le ruisseau et il se retourne, tout simplement.
-Ah ah, c'est vrai que c'est marrant. Bah tiens, je vais le lire.
-Tu m'étonnes, Jason, c'est vraiment de la balle!
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Attention, cœurs sensibles s'abstenir.
C'est plutôt la caution de l'humour que je cherche habituellement chez Jason. Amateur du décalage qui claque, de l'inattendu dans les dialogues, John Arne Sæterøy s'attaque ici à un exercice de style ambitieux : le récit sans dialogue. Le dessin, juste le dessin. Et même si le comique guette ci ou là (c'est bien la moindre des courtoisies), l'émotion qui s'en dégage m'a vraiment surpris.
Lyrique et désabusé, Jason gagne en poésie à user du muet. Des silences qui en disent long. Des situations critiques, une esthétique de la dèche, l'ombre de la mort, partout, façon "Idées noires, tome 1" d'André Franquin, le tout fonctionne merveilleusement. Ne vous leurrez pas, tout finira mal, historiettes après historiettes, faudra apprendre à se quitter, alors, prenez plaisir avant la douche froide.
Son dessin, toujours dans l'économie, et le côté anthropomorphique des personnages, rappelle Lewis Trondheim dans ses productions minimalistes. Côté gorge nouée, certaines histoires m'ont fait penser aux excursions à fleur de peau de Renaud Dillies qui me touche tant (Sumato, Betty Blues, Bulles & Nacelle, Mélodie au crépuscule, Abélard, Le jardin d'hiver).
Féru de boucles et de cycles, le dessinateur montre ici l'éternel recommencement de notre bêtise. Une situation est portée jusqu'à sa résolution, puis la situation initiale se joue à nouveau, comme pour signifier l'universalité de toutes ces vanités. C'est brillant, touchant mais pas pesant. Bref. Réussi quoi !
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Un dessin en noir et blanc, simple, sans nuances, un homme oiseau qu’on va retrouver dans une série de petites histoires sans la moindre parole, ce sont des récit sur le destin, la mort, la vie, c’est chargé de mélancolie, des variations sur le spleen, la cruauté de la vie, plein de poésie, mais aussi très déprimant, trop déprimant. C’est beau, élégant, silencieux et terrible, il y a une force dans l’expression de Jason, mais même “Notre besoin de consolation” de Stig Dagerman est plus gai. Difficile d’être totalement enthousiasmé par une lecture si noire et si pessimiste.
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Une bande dessinée muette, en noir et blanc avec comme héros un homme mi-oiseau ou un oiseau mi-homme....
Plusieurs courtes histoires dans cet album, c'est assez désespéré. Souvent elliptique. Squelette qui suit le héros....Double à éliminer....Couple qui se fait et se défait...Solitude...
Une drôle de vie suggérée. Une BD difficile à comprendre.
Sans doute parce qu'il manquait les mots pour moi.
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La "collection sang" de chez Atrabile a pour vocation de mettre en lumière des artistes graphiques émergents, dans de courts recueils (48 pages ici). 20 volumes ont vu le jour depuis 1997 en lançant "Fromage Confiture", premier ouvrage de Frederik Peeters. La collection est toujours d'actualité en 2018, avec la parution de "Dévasté" de Julia Gfrörer.
Après "Dis-moi quelque chose" en 2002 dans cette même collection, Jason nous offre ici une courte saynète sans parole, comme exercice récurrent dans son oeuvre. Humour noir et amour pas rose s'enlacent sur fond de fantastique. C'est efficace et typique de l'atypisme du sieur aux manettes. On en voudrait plus.
"Des morts et des vivants" ou l'amour romantique par excellence.
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Toujours un peu perturbé dans l’univers de Jason, mais plus on s’y plonge, plus cette ambiance décalée et froide est marquante. Des personnages animaliers, du noir et blanc, c’est raconté comme dans les vieux films sans paroles, quelques rares textes en blanc sur noir dans une vignette à part, et un rythme lent. Cette histoire est une histoire de zombies, étrange, teinté d’un romantisme glaçant. C’est parce qu’il est si particulier, si unique que Jason vaut le coup d’œil, mais on n’y rentre pas à chaque tentative.
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