La culture , c'est ce qui nous survit, ce qui nous permet d'inscrire la fragilité de l'humain dans la durée , d'entrer dans une forme de permanence alors que tout n'est que précarité.C'est ce qui nous permet d'imaginer ce qui n'existe pas encore, et donc de comprendre que nous ne sommes pas condamnés à ce qui existe.
Il n’y a d’histoire que dans la circulation des mondes, dans la relation avec Autrui. C’est l’autre, le lointain, qui m’octroie mon identité
C'est dans le passage que réside le propre de l'humanité. Nous sommes des passants dans le sens où l'histoire des humains est est bien plus courte que celle du monde. Nous sommes une parenthèse dans cette histoire. Si l'humanité arrive un jour à son extinction, le monde lui survivra. Le monde a une histoire avant nous et en aura une après nous. Nous grande illusion, c'est d'avoir cru que nous étions maîtres et possesseurs de ce monde.
(Dans Télérama no 3462, 18 mai 2016)
Pour le raciste, voir un Nègre, c'est ne pas voir qu'il n'est pas là; qu'il n'existe pas; qu'il n'est que le point de fixation pathologique d'une absence de relation. La race, il nous faut donc la considérer comme étant à la fois un en deçà et un au-delà de l'être. Elle est une opération de l'imaginaire, le lieu de la rencontre avec la part d'ombre et les régions obscures de l'inconscient.
Le Nègre n'est plus seulement l'homme noir, africain ou d'origine africaine, mais tous ceux qui aujourd'hui forment une humanité excédentaire au regard de la logique économique néolibérale.
Nous vivons un « arrangement avec le monde » qui « consiste à tenir pour rien tout ce qui n’est pas soi-même. Ce procès à une généalogie et un nom : la course vers la séparation et la déliaison. Celle-ci se déroule sur fond d’angoisse et d’anéantissement. Nombreux sont en effet ceux qui, aujourd’hui, sont frappés d’effroi. Ils craignent d’avoir été envahis et d’être sur le point de disparaître.
C'est dans le passage que réside le propre de l'humanité. Nous sommes des passants dans le sens où l'histoire des humains est plus courte que celle du monde. Nous sommes une parenthèse dans cette histoire. Si l'humanité arrive un jour à son extinction,le monde lui survivra. Le monde à une histoire avant nous et en aura une après nous. Notre grande illusion , c'est d'avoir cru que nous étions maîtres et possesseurs de ce monde. La nouvelle condition planétaire implique que nous développions notre conscience de passant( n'appartenir à aucun lieu propre), plus que notre conscience de citoyens,qui se double toujours d'une ségrégation entre ceux qui sont inclus dans cette citoyenneté et ceux qui en sont exclus. Être un passant signifie être solidaire dans ce passage, mais aussi développer une éthique du détachement par rapport à nos identités, à nos origines,que l' époque ne cesse de fétichiser et d'hystériser.
En vérité, ce que l’on appelle l’identité n’est pas essentiel. Au fond, nous sommes tous des passants. Le monde que nous habitons a commencé longtemps avant nous et continuera longtemps après nous. Alors qu’émerge lentement une nouvelle conscience planétaire, la réalité d’une communauté objective de destin doit l’emporter sur l’attachement à la différence.
Comme le soulignait Simone Weil, « la colonisation commence presque toujours par l’exercice de la force sous sa forme pure, c’est-à-dire par la conquête. Un peuple, soumis par les armes, subit soudain le commandement d’étrangers d’une autre couleur, d’une autre langue, d’une tout autre culture, et convaincus de leur propre supériorité. Par la suite, comme il faut vivre, et vivre ensemble, une certaine stabilité s’établit, fondée sur un compromis entre la contrainte et la collaboration ». Révisionnisme oblige, l’on prétend aujourd’hui que les guerres de conquête, les massacres, les déportations, les razzias, les travaux forcés, la discrimination raciale institutionnelle, les expropriations et toutes sortes de destructions, tout cela ne fut que la « corruption d’une grande idée » ou, comme l’expliquait autrefois Alexis de Tocqueville, des « nécessités fâcheuses ».
Réfléchissant sur la sorte de guerre que l’on peut et doit faire aux Arabes, le même Tocqueville affirmait : « Tous les moyens de désoler les tribus doivent être employés. » Et de recommander, en particulier, l’interdiction du commerce et le « ravage du pays » : « Je crois, dit-il, que le droit de guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit tout le temps en faisant des incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux. » Comment s’étonner, dès lors, qu’il finisse par s’exclamer : « Dieu nous garde de voir jamais la France dirigée par l’un des officiers de l’armée d’Afrique ! » La raison en est que l’officier qui « une fois a adopté l’Afrique et en a fait son théâtre contracte bientôt des habitudes, des façons de penser et d’agir très dangereuses partout, mais surtout dans un pays libre. Il y prend l’usage et le goût d’un gouvernement dur, violent, arbitraire et grossier ».
Telle est, en effet, la vie psychique du pouvoir colonial. Il s’agit, non pas d’une « grande idée », mais d’une espèce bien déterminée de la logique des races au sens de traitement, contrôle, séparation des corps, voire des espèces. Dans son essence, il s’agit d’une guerre menée non contre d’autres personnes humaines, mais contre des espèces différentes qu’il faudrait, au besoin, exterminer. C’est la raison pour laquelle des auteurs tels que Hannah Arendt ou Simone Weil ont pu, après avoir examiné en détail les procédés des conquêtes et de l’occupation coloniales, conclure à une analogie entre ceux-ci et l’hitlérisme. L’hitlérisme, dit Simone Weil, « consiste dans l’application par l’Allemagne au continent européen, et plus généralement aux pays de race blanche, des méthodes de la conquête et de la domination coloniales y ». Et de citer, à l’appui de sa thèse, les lettres écrites par Hubert Lyautey depuis Madagascar et le Tonkin.
Que, sur le plan culturel, l’ordre colonial ait été marqué de bout en bout par ses ambiguïtés et ses contradictions est indiscutable. La médiocrité de ses performances économiques est aujourd’hui largement admise. (chapitre 3)
Tout sang versé ne produit pas nécessairement la vie, la liberté et la communauté» (p 243).