AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Aïssa Maïga (69)


PROLOGUE

Noire n’est pas mon métier

Je me suis souvent demandé pourquoi j’étais parmi les seules actrices noires à travailler dans ce pays pourtant métissé qu’est la France. Curieuse position que d’être l’une des rares à accéder à des rôles, à une notoriété, quand
les discriminations à l’œuvre dans le cinéma, la télévision et le théâtre français provoquent un tel déficit de diversité.
Avoir de la visibilité et de la longévité dans ce contexte est une gageure, un scandale.
De film en film, de pièce de théâtre en pièce de théâtre, mon travail a touché des cinéastes, des metteurs en scène qui m’ont tour à tour fait confiance. Mais mon parcours est bien celui d’une constante miraculée. Cette position est inconfortable.
Qui pourrait se réjouir du rejet de ses semblables ? Qui aimerait avoir la sensation curieuse d’être l’un des alibis d’une société qui cherche à se rassurer en laissant une place dérisoire à l’altérité ?
Pourquoi autant de femmes et de jeunes filles talentueuses, issues d’Afrique et d’outre-mer, qui maîtrisent leur art, cinéma, théâtre, parfois chantent, dansent, écrivent, semblent rester irrémédiablement invisibles, ignorées ?
Exclues de l’immense majorité des opportunités artistiques d’un pays pourtant doté d’une véritable industrie culturelle.
Quelle actrice noire ou métisse n’aura pas, en ouvrant un scénario, en se rendant à un casting, en rencontrant un(e) metteur(e) en scène, fait l’expérience amère d’un regard à la fois sexiste et raciste posé sur son corps, sa culture d’origine, son appartenance réelle ou supposée à un groupe ethnique ? Combien de réflexions blessantes, de plaisanteries douteuses, d’affirmations ineptes entendues ?
Ce racisme nébuleux ne se manifeste pas forcément par des coups d’éclat, il s’incarne en une myriade de mots méprisants, d’observations condescendantes, de scènes dialoguées et didascalies équivoques, écrites sans complexe.
Femme et différente. Stigmatisée ou rejetée. Stéréotypée ou ignorée. Cette assignation au carrefour du racisme et du sexisme s’accompagne d’une invisibilité quasi totale. Nous avons peu d’opportunités intéressantes pour des rôles de premier plan. Et lorsque nous en décrochons un et pensons
avoir échappé à notre condition d’actrices reléguées à la périphérie, nous nous apercevons que d’autres murs symboliques ont été érigés. Notre présence dans les films français est encore trop souvent due à la nécessité incontournable ou anecdotique d’avoir un personnage noir. Noire n’est
pas mon métier. Pas plus qu’il n’est celui des signataires de ce livre.
Commenter  J’apprécie          20
Je veux juste qu’on arrête de nous regarder et de faire comme si on avait déjà parlé alors qu’on a pas ouvert la bouche
Commenter  J’apprécie          20
Aucune pièce de théâtre, aucun scénario de film ne détermine que certains rôles sont pour les Blancs
Commenter  J’apprécie          20
Je n’appartient pas à la diversité, c’est la diversité qui est en moi puisque je suis comédienne. Noire n’est pas un rôle. Noire n’est pas un métier non plus
Commenter  J’apprécie          20
Rachel Khan - " Sans entendre aucun bruit "

J'étais contente pour lui lorsque ma mère rentrait du travail avec d'autres livres à dire. Ma mère était libraire, d'origine juive polonaise, enfant cachée pendant la guerre, c'est à travers Patrick Modiano, Georges Perec, Romain Gary, Franz Kafka et Albert Cohen qu'elle s'est reconstruit une famille, une histoire et des souvenir. des mot à lire pour elle, à dire pour lui. Je suis le fruit de ce mélange entre l'écriture et l'oralité, authentique dans les deux. (p. 43-44)
Commenter  J’apprécie          20
Sonia Rolland - " Pas assez africaine" ou "trop foncée"...

je suis le fruit d'un amour qui provient de deux cultures, de deux horizons lointains. Celui d'un père français, blanc, et d'une mère rwandaise noire : ces deux-là ont décidé un jour envers et contre tous qu'ils s'uniraient et auraient des enfants dans un monde pas encore tout à fait prêt à comprendre cette singularité. (p. 87)

Commenter  J’apprécie          20
(Aïssa Maïga) : Je trouve que l'on ne peut décidément pas me demander d'ingurgiter les principes humanistes de l'antiracisme, les pensées du siècle dit des Lumières, les textes du théâtre classique français, liberté-égalité-fraternité et me demander de supporter dans broncher le goût âcre d'une subtile mais réelle relégation raciale. (p. 61)
Commenter  J’apprécie          20
(Rachel Khan) : Je sais bien que ce métier est difficile, alors je me plie à ses exigences, faisant tous les efforts possibles pour décrocher les rôles. Je commence à être spécialiste de la pute maintenant et, professionnelle, je fais le maximum pour servir le scénario. Cependant, il reste des choses sur lesquelles je n'ai pas de prise. Trop noire pour certains, pas assez pour d'autres. Pourtant, moi je me pensais vraiment au milieu. On pourrait demander à Einstein si la théorie de la relativité s'applique aux peaux. Je ne savais pas que mon taux de mélanine pouvait changer totalement l'histoire d'un film. Enfin, je le savais dans la vraie histoire, mais pas au cinéma. (p. 50)
Commenter  J’apprécie          20
(Eye Haïdara) : Notre présence ne doit pas être vue comme un acte de revendication. Un acteur n'a qu'une seule vocation, celle de jouer. Les revendications, les actes politiques sont dans les sujets, les choix, les textes que nous défendons. (p. 42)
Commenter  J’apprécie          20
(Aïssa Maïga) : Ce livre-manifeste est un véritable plaidoyer pour le vivre ensemble mais aussi un coup de gueule à mes yeux indispensable pour que ceux et celles qui arrivent derrière nous puissent évoluer dans un monde plus ouvert, plus juste, plus inclusif. (p. 13)
Commenter  J’apprécie          20
(Aïssa Maïga) : Qui pourrait se réjouir du rejet de ses semblables ? Qui aimerait avoir la sensation curieuse d'être l'un des alibis d'une société qui cherche à se rassurer en laissant une place dérisoire à l'altérité ? (p. 7)
Commenter  J’apprécie          20
Nous ne sommes pas que des primo-arrivants, migrants en difficulté, mères de famille affublées de tripotées d’enfants, il y a, parmi cette minorité non blanche, des avocats, des ingénieurs, des scientifiques, des directeurs d’entreprise, des artistes, pourtant la plupart des scénarios ne les incluent pas. À l’écran, être noir est perçu comme un handicap... davantage que dans la société et dans la vie quotidienne. Pourquoi le cinéma français intègre-t-il si difficilement cette évolution ?
Pourquoi est-on toujours perçu comme un être pittoresque dépeint par l’anthropologie du début du XXe siècle ?
(Sabine Pakora)
Commenter  J’apprécie          10
À l’écran, j’ai la sensation d’avoir du mal à exister en dehors d’un imaginaire occidental qui me stigmatise ou me récupère. On me ramène à travers mes personnages à un autre territoire, à une autre histoire, une autre époque, dans lesquels je ne me retrouve pas. Je suis allée à de nombreux castings
où on me demandait de prendre un accent africain, de tchiper, de porter des boubous souvent, même quand il n’y avait pas d’indication de cette nature dans le scénario. Si j’étais d’origine italienne, me ferait-on constamment interpréter des personnages en roulant les r avec un accent italien surfait ?
Finalement, pour moi qui n’ai pas vécu en Afrique ni auprès de ma famille, jouer ces rôles revient à une vraie performance de comédienne ! Mais personne ne s’en rend compte, comme si c’était là tout
ce qu’il y a de plus naturel.
Si je n’acceptais pas ces personnages, concrètement, je ne travaillerais pas en tant que comédienne. Mais en m’y résignant, j’ai parfois l’impression de renoncer à moi-même, de renier mon identité contemporaine.
(Sabine Pakora)
Commenter  J’apprécie          10
J’incarne aujourd’hui principalement des personnages envisagés comme des métaphores de la marginalisation au travers de femmes migrantes aux statut et conditions socio-économiques particulièrement difficiles : des prostituées, des femmes sans papiers, des marâtres cupides
malintentionnées, des femmes africaines à l’humeur joviale, folkloriques, ridiculisées. Je joue toutes les déclinaisons possibles de la mama et de la putain africaines ; des personnages hauts en couleur sans capital intellectuel ou économique. Mama, Fatou, Alimata, Fanta... Mes personnages construisent une image de l’autre purement exotique. Ils apparaissent comme des parenthèses anecdotiques : ils représentent des instants de respiration, de relâchement soudain, où s’exprime une truculence exacerbée, comme un clown personnifié qui apparaît et canalise les tensions, les angoisses, les peurs et les pulsions. Ces personnages sont systématiquement en surreprésentation physique : couleurs flashy, coiffures exubérantes, explosives, et en même temps ils sont complètement absents, car on ne sait pas grand-chose d’eux, de leur histoire.
Pour avoir assisté à des projections publiques de films dans lesquels j’avais pu jouer, je ressens parfois un gros malaise autour de la question du rire, quand toute la salle composée d’un public dans un entre-soi blanc s’esclaffe comme pour « se foutre de la gueule de ce qu’on pourrait appeler un
indigène ». Je perçois à mon insu (j’imagine peut-être) comme un relent d’un certain « humour colonial » à cet endroit en particulier. Ce serait comme un rire qui me précède et me ramène dans un passé plutôt douloureux, un passé qui n’est pas passé. Je me demande alors : « Est-ce que le public rit de moi, se moque de moi, de mon image, à travers ces personnages, ou est-ce qu’il rit avec moi en reconnaissant mes compétences d’actrice?
(Sabine Pakora)
Commenter  J’apprécie          10
C’est fou comme une présence noire au théâtre doit obligatoirement « avoir » ou « donner du sens ». Je me suis vu refuser le rôle de Lady Macbeth parce que, ce personnage étant l’incarnation du mal, il ne peut être interprété par une femme noire sans risquer de rendre la pièce manichéenne, voire raciste. L’enfer est pavé de bonnes intentions...
Au cinéma ou à la télévision, ironiquement, on ne m’a pas tant refusé des rôles parce que j’étais noire, mais parce que je ne l’étais pas assez. Les rares fois où on recherche une femme noire, c’est pour raconter une migration tragique, la précarité ou la banlieue délinquante. Pour tous les autres
rôles, s’il n’est pas spécifié par le scénariste qu’il s’agit d’une femme noire, les directeurs de casting qui penseront à nous sont très peu nombreux. Pour un rôle de médecin, par exemple, on n’est pas appelées. Cela dit, mon amie blonde de 1,80 m elle non plus n’est jamais approchée pour ce genre de rôles, qui semblent être réservés aux hommes mûrs, barbus et grisonnants... L’Inconscient Collectif a créé des archétypes qu’il est difficile de contourner. Les films d’époque aussi nous sont interdits, parce que, encore une fois, l’Inconscient Collectif ne peut se représenter une présence noire sur le territoire français avant les années 1980.
À moins que ce ne soit une prostituée. C’est le seul genre de rôle où être noire est recommandé ! Même en figuration, vous remarquerez, si la scène se passe dans une boîte de striptease ou un bordel, vous verrez toujours passer des silhouettes noires... parce que l’Inconscient Collectif
(toujours lui) est persuadé que la femme noire est hyper-sexuée, lubrique et ludique, libre sexuellement. Le corps de la femme noire est un éternel fantasme. À moi donc tous les rôles de maîtresses, coups d’un soir, voisines tentatrices, go-go danseuses, charmeuses de serpents et
dompteuses de fauves... Dans les didascalies, d’ailleurs, les personnages qu’on me propose serontsouvent qualifiés de « féline », « au port de gazelle » et « démarche de panthère ».
Comme me l’avait fait remarquer un directeur de casting un jour : « En tant que femme noire, dans ce métier, il faut être soit Whoopi Goldberg (drôle, au physique de faire-valoir), soit Halle Berry (mais la Halle Berry d’Opération Espadon, qui sort de l’eau ruisselante, en deux-pièces, pas celle,
oscarisée, d’À l’ombre de la haine). »
Alors, c’est ça ou bien les miséreuses heureuses. Je me souviens de mon premier rôle au petit écran. J’étais tellement fière. Pour ma première apparition, je portais une petite robe évidemment très
colorée (« Oh, vous les blacks, vous pouvez tout porter ! ») et je passais le balai, pieds nus, en chantonnant, heureuse. J’en ai honte aujourd’hui.
On nous propose peu de rôles donc et parmi eux il y a tous ceux que je refuse de jouer parce qu’ils continuent de véhiculer des clichés dévalorisants. « La seule chose qui différencie la femme de couleur de toute autre personne, c’est l’opportunité. » Qui n’a pas été ému en entendant ces mots de l’actrice Viola Davis, qui remportait l’Emmy Awards de la meilleure actrice en 2016 ? Un jour, un patron de chaîne m’a dit : « Nous n’avons pas de Kerry Washington en France. » C’est faux, monsieur, nous sommes de nombreuses actrices de couleur et talentueuses, mais on nous offre si peu l’opportunité de le démontrer.
(Sara Martins)
Commenter  J’apprécie          10
Ce public au nom duquel on efface de l’histoire les acteurs à la peau sombre est celui que je croise dans le métro, dans la rue, les cafés. Si les gens ne s’enfuient pas en courant en me voyant, alors pourquoi le feraient-ils en m’aperçevant sur une affiche de cinéma ? Je ne comprends toujours pas
pourquoi « le public », prêt à se déplacer au cinéma pour Will Smith ou Denzel Washington, ne pourrait souffrir de voir Mata, Nadège, Ériq, Alex, Aïssa, Édouard, Firmine, Sonia, Diouc, France, Mouss, Hubert, Maïmouna, Lucien, Fatou, tous noirs ou métisses... mais français ? De quelle nature
est la différence entre un Noir des États-Unis et un Noir venu d’Afrique, d’outre-mer, ou encore néici ? Sommes-nous finalement trop français pour des Noirs ?
(Aïssa Maïga)
Commenter  J’apprécie          10
Parce que, pendant des siècles, cette couleur de peau était aussi celle des esclaves, des colonisés, parce qu’elle reste un fantasme exotique ou qu’elle renvoie à une classe sociale pauvre, il faudrait qu’elle raconte encore et toujours cela au cinéma. Il est temps de s’affranchir des chaînes et autres
cloisons mentales. Sur l’écran blanc de mes nuits noires, je garde malgré tout la force de m’imagine que bientôt je pourrai, nous pourrons, défendre n’importe quel personnage et même le Petit Chaperon rouge parce que l’humour yiddish est éternel.
(Rachel Khan)
Commenter  J’apprécie          10
Grâce au cinéma, je sais maintenant qu’il y a des métiers, des sentiments, des histoires pour lesquels je ne serais pas faite, qui ne me concerneraient pas. Grâce au cinéma, je sais désormais que je suis noire donc pas crédible en avocate, moi qui me la suis tapée, la rue Soufflot, pendant des
années.
(Rachel Khan)
Commenter  J’apprécie          10
Ça se passe ici en France « sans entendre aucun bruit ». Parce que Noire, je devrais devenir infidèle à mes sens, passer le balai avec un accent en offrant mon cul, qui a le rythme dans la peau, à tous les passants au moment où le héros du film court dans la rue. Nous sommes en 2018 et si je fais le bilan de tout ce qui a pu m’être proposé, seuls 10 % des rôles que j’ai joués m’ont permis d’exprimer mon travail hors des clichés délétères. « Sans entendre aucun bruit », avec ma couleur de peau, je ne corresponds pas à ce qu’il faut raconter. Alors, je suis rayée, effacée, gommée. Quelle ironie du sort pour une fille d’enfant cachée !
(Rachel Khan)
Commenter  J’apprécie          10
Mon agent me rappelle. Mince, cette fois j’ai été super, mais on ne peut pas me prendre parce qu’il y a déjà un rôle où le personnage est coiffé en afro dans le film. On ne peut pas être deux. Effectivement c’est dommage, ils ont raison de respecter la jurisprudence Hortefeux pour les coiffures afro. « Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes... » Moi-même, lorsque je vois des actrices dans les films avec la même coiffure aux cheveux raides, coupe au carré ou queue-de-cheval, je n’arrive pas à les distinguer, ce qui me perturbe, et je dois me concentrer beaucoup pour suivre l’histoire, alors je comprends bien sûr.
(Rachel Khan)
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Aïssa Maïga (217)Voir plus


{* *}