Qu’est donc la poésie sinon des mots qui renferment de la musique, et qu’est donc le poète, sinon celui qui libère cette musique ?
Le gros mot
Gros, lui ? Vous plaisantez ! Il est au contraire du style court, du genre mince et incisif, et vous conviendrez que son premier modèle de référence ne compte pas plus de cinq lettres. Le second n’en réunit que trois, et il serait facile d’avancer d’autres exemples….Il n’a rien de replet, moins encore d’obèse. Sans compter qu’il est à peine un mot. Une interjection plutôt, une onomatopée. Il est vrai qu’il vaut son pesant de rage, d’invective, de mépris, de surprise, de jubilation parfois…
Josépha : Mais vous écriviez de beau rapports ?
Simon Brenner : (ironique) : Bien sûr, de superbes rapports….Des pages et des pages avec des tableaux, des statistiques, des graphiques, des PowerPoint et des slides. Les gens ne croient plus en Dieu, mais ils croient encore aux statistiques, aux graphiques et aux slides. Il faut absolument être obscur pour donner l’illusion de clarté.
Il y a les pauvres, il y a les riches, mais la vrai richesse n’est pas d’avoir de l’argent, elle est de ne pas avoir à y penser.
Je t’impose, chaque matin, le traumatisme de la renaissance. Je te précipite dans les eaux glacées du monde. Je le fais sans ménagement, même si j’excelle à y mettre les formes, moi qui sais aujourd’hui prendre toutes les apparences, gros réveil à gros tic-tac ou élégante montre-bracelet, radioréveil branché sur une fréquence musicale ou téléphone mobile dont les « accessoires » égrènent la mélodie de ton choix. Les technologies modernes passent pour moins barbares que celles de naguère. Mais l’illusion de la forme ne change rien à la cruauté du fond : ma pire rosserie, c’est de te faire mesurer ta paresse ou, ce qui est plus terrible encore, la médiocrité de ta condition.
Le calendrier des postes est l’image même de la ruralité, la photo d’identité d’une certaine France enracinée. Il n’est pas indemne en cela d’une idéologie insidieuse, vaguement maréchaliste, exhibant mensongèrement une terre qui, elle, ne change pas.
Par le fait que lui-même ne change pas, ou si peu, il devient comme la négation du temps qui passe. C’est un anti-calendrier.
Sans doute as-tu ressenti alors le charme des mots, la magie de leur agencement et la puissance de la rumeur. Qu'est donc la poésie, sinon des mots qui renferment de la musique, et qu'est donc le poète, sinon celui qui libère cette musique ? C'est cela, en tout cas, que tu as su faire: produire des mots et, avec ces mots, de la musique.
Il en résulte chez moi une disposition d'esprit curieuse, contradictoire, où s'affrontent présent et futur proche : l'enthousiasme d'avoir à prendre une décision aujourd'hui et l'angoisse d'avoir à l'assumer dès demain ; le bonheur de me trouver encore parmi les lumières de la ville et le découragement à l'idée, tout à l'heure, d'une nouvelle plongée dans les ténèbres.
Quelques centaines de mètres plus bas, la place Saint-Michel, avec ses becs de gaz, ses calèches aux sièges de cuir, ses tramways omnibus à impériale, ses fiacres, ses cabriolets, ses chevaux et ses cochers, a été, elle aussi, un pôle essentiel de ta vie. Sur cette place, le Soleil d'Or a longtemps compté pour toi presqu'autant que le François 1er. Depuis sa terrasse, les clients avaient sous les yeux la fontaine Saint-Michel, alors de construction récente et, en se tournant franchement vers la droite, la cathédrale Notre-Dame, de bien plus ancienne lignée - tu aimais dire que la première était une toute jeune fille contemplant une vieille dame...
Dans un article paru hier, Barrès prophétisait : " Demain le cadavre de Paul Verlaine, poète sans feu ni lieu, sera escorté par toutes les forces indisciplinées de la jeunesse, royalement, à travers Paris." Comme il a vu juste ! Derrière les gerbes et les couronnes, une banderole se déploie, portée par la Société des étudiants : "Au prince des poètes". Depuis deux ans, tu as hérité de ce titre symbolique, mais le symbole est ailleurs : tu incarnes à leurs yeux le mépris de la bourgeoisie, le refus des conventions et le goût de la révolte qui animent toutes les jeunesses du monde.