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Critiques de Albert Caraco (5)
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Bréviaire du chaos

"A quoi bon nous leurrer ? Nous deviendrons atroces, nous manquerons de sol et d'eau, peut-être manquerons nous d'air et nous nous exterminerons pour subsister, nous finirons par nous manger les uns les autres et nos spirituels nous accompagneront dans cette barbarie, nous fûmes théophages et nous serons anthropophages, ce ne sera qu'un accomplissement de plus."



Le Bréviaire du chaos est un texte rageusement visionnaire et concentré. Un seul credo pour Albert Caraco : furieusement haïr le monde contemporain mais avec une écriture érudite d'un classicisme virtuose, héritière passionnée du Siècle d'Or, et d'une densité ébouriffante. L'imprécateur Albert Caraco, prophète apocalyptique obsessionnel, dandy nihiliste absolu, nous gifle de toutes ces sombres évidences qui nous cernent et nous ratatinent tant nous sommes bouffis de nos certitudes comme de nos servitudes. Personne n'a mieux que lui abordé le désabusement universel et le fatal chaos final.

"L'humanité veut pleinement ce qu'elle doit subir, ce qu'elle avait elle l'abdique et nous ne l'obligerons à se démentir, elle refuse de comprendre le peu qu'elle démêle, elle abomine ceux qui l'avertissent et d'un commun accord ils seront réduits au silence par le pouvoir civil et le pouvoir religieux, les rares qui détrompent les aveugles en émouvant les sourds.

[...]

…nos révolutions sont purement verbales et nous changeons les mots pour nous donner l'illusion de réformer les choses, nous avons peur de tout et de nous-mêmes, nous trouvons le moyen d'évacuer l'audace en enchérissant sur l'audace et d'embesogner la folie en outrant la folie, nous ne nous opposons à rien et nous faisons tout avorter, c'est le triomphe de la démesure inféodée à l'impuissance."



D'un pessimisme sublime tant il est martial, presque orgueilleux, le despote Caraco déteste toutes les races, les enfants, les religions, la justice, la démocratie libérale… "On punit les faux monnayeurs et l'on épargnerait ceux qui ne vivent qu'en accréditant les idées fausses ? La tolérance est une duperie et le respect n'est qu'un délire, nous sommes payés pour l'entendre et nous payerons. Avant que de sombrer dans la fournaise, nous enverrons ceux qui nous mènent à la mort, nous aplanir les chemins qu'ils ne nous évitent, puis ce sera la consommation".

Tout lui est insupportable, et, en ennemi de la bien-pensance progressiste, dissèque ce tout avec une lucidité décoiffante. Froidement objective, parfois paradoxale, ennemie de la sensibilité (cette traitresse), d'une humilité terriblement aristocratique, la pensée de Caraco est un iceberg aussi étincelant que totalitaire.



"Le retour à la source est le premier devoir ou c'en est fait de l'homme. Aussi les rares penseurs dignes de ce nom s'occupent-ils d'ontologie et d'étymologie, afin de rétablir une métaphysique, alors que les petits esprits, soucieux d'être avec la mode, s'abîment dans la contemplation du social, ce détail subalterne.

[...]

L'ordre moral, qui domina sur nous depuis vingt siècles, a fait son temps et nous en mesurons la barbarie, il se survit et nous en mourrons, innombrables, il réclame à présent la tolérance, qu'il a toujours refusée à ses victimes, il prêche la fraternité, dont il n'eut jamais cure, il parle de se métamorphoser, lui qui se prévalut d'être immuable, il voudrait confisquer le renouveau pour en emplir ses vieilles outres, il abomine ce qui vient et ne pouvant rien empêcher, il se donne en spectacle et nous promet monts et merveilles."



Délicieusement subversif, Caraco le Réprouvé est odieusement méchant, totalement détestable et magnifiquement dangereux. D'un radicalisme inouï, penser ou philosopher selon lui est prendre conscience de son propre néant, c'est tout. Et c'est déjà pas mal. Aucune porte de sortie, pas d'échappatoire, point de salut : le vivant, repu d'illusions et de faux-semblants, n'a pas d'issue autre que la mort.



"C'est pour la mort que nous vivons, c'est pour la mort que nous aimons et c'est pour elle que nous engendrons et que nous besognons, nos travaux et nos jours se suivent désormais à l'ombre de la mort, la discipline que nous observons, les valeurs que nous maintenons et les projets que nous formons répondent tous dans une seule issue : la mort.

La mort nous moissonnera mûrs, nous mûrissons pour elle et nos petits neveux, qui ne seront plus qu'une poignée d'hommes à la surface de cet œcumène en cendres, n'arrêteront de nous maudire, en achevant de brûler tout ce que nous adorons. Nous adorons la mort sous des figures empruntées et nous ne savons que c'est elle, nos guerres sont des sacrifices de louange où nous nous immolons en l'honneur de la mort, notre morale est une école de la mort et les vertus, dont nous faisons estime, n'auront jamais été que des vertus de mort."



La rage de mordre de Caraco n'a d'égal que son noir cynisme. C'est noir mais d'un noir profond. Parce que sa philosophie est terrifiante, rigoureuse et glaciale. Parce que Caraco est aussi désespéré que désespérant. "Le monde s'est fermé, comme il l'était avant les Grandes Découvertes, l'an 1914 marque l'avènement du second Moyen Age et nous nous retrouvons dans ce que les Gnostiques appelaient la prison de l'espèce, en l'univers fini, dont nous ne sortirons jamais."

C'est pourquoi j'adore haïr Caraco : parce que je me déteste finalement de l'aimer.


Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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Post Mortem

Le couple formé par Ignatius Reilly et sa môman dans la Conjuration des imbéciles de J. K. Toole est d’une savoureuse drôlerie. Imaginez maintenant que môman vienne à passer l’arme à gauche et qu’Ignatius, la quarantaine révolue, s’empare de ses éternels cahiers d’écoliers pour consigner ses états d’âme : nous obtiendrions Post-Mortem d’Albert Caraco. Franchement pas drôle.





Ce livre n’a rien à voir avec la fiction. Albert Caraco est revenu de tout, et surtout de l’imagination. Irrévérencieux dès la première phrase, il s’empare d’un de ces moments d’inattention qui fait revenir la mémoire à la surface pour témoigner de la fin de sa mère :

« Madame Mère est morte, je l’avais oubliée depuis assez de temps, sa fin la restitue à ma mémoire, ne fût-ce que pour quelques heures, méditons là-dessus, avant qu’elle retombe dans les oubliettes ».





Il ne suffit pas de connaître les éléments biographiques de la vie d’un écrivain pour prévoir le contenu de ses textes. Comme il le dit lui-même, Albert Caraco n’a jamais connu aucun autre événement dans sa vie que sa mère : « Sa victoire est totale et je n'ai de chair qu'autant qu'il en faut pour me sentir esprit ». Il y avait peut-être bien le père aussi, mais que valait-il derrière l’incarnation totale, diffuse et écrasante de cette mère sans concession ? Elle semble avoir été l’image de son fils, sans idéologie ni philosophie, se payant seulement le luxe de la frivolité et de la mondanité. Elle a été le mentor d’Albert Caraco, mais l’a-t-elle seulement voulu ? Elle lui a enseigné le détachement affectif en le gavant d’affection, elle lui a enseigné le mépris des femmes en adoptant les comportements féminins les plus mesquins, elle lui a transmis le goût de la destruction et l’a aidé à se débarrasser des illusions bourgeoises pour l’encourager à proclamer « Heureux les chastes ! heureux les stériles ! ». La mère aurait pu être parfaite si elle ne s’était pas cassée la gueule en fin de course. Finalement, « […] ce ne fut qu’une pauvre femme, ses belles qualités se démentirent et j’en souffre, sa volonté de vivre et son espoir de guérison lui firent manquer son trépas ». Si Madame Mère a toujours réussi à chasser les hypocrisies de la vie, elle a manqué de chasser celles de la mort. Albert Caraco ne se laissera pas faire : les pleurnicheries bourgeoises sur nos morts aimés doivent cesser. Le meilleur hommage que l’on puisse rendre à l’existence ? « Seigneur ! épargnez-nous de ressembler aux larves ! » Madame Mère ne bénéficiera pas de la gloire posthume qui ensevelit les bons comme les dégoûtants. Sa mort sera même, au contraire, l’occasion de juger enfin objectivement la vie et l’œuvre d’une femme à peine au-dessus de la moyenne, tout juste bonne à se détacher suffisamment des hypocrisies pour libérer son fils des exigences de la vie banale.





Si Albert Caraco ne devait verser qu’une larme en signe esthétique de tristesse, il le ferait pour condamner la supercherie médicale dans le cortège des médecins tartuffes et il se trancherait la gorge pour avoir participé à la mascarade :

« Nous nous montrâmes hypocrites, nous nous jouâmes de ses peurs et de ses espérances, ce fut la comédie la plus horrible, nos mœurs nous l’imposaient et nous n’osâmes les heurter de front, je le déplore, cet assassinat spirituel et j’eusse préféré l’euthanasie, j’aurais voulu que l’on ne trompât la malade et qu’elle mourût de son gré dans les commencements de l’agonie, je n’ai que ce remords. Pauvre Madame Mère, victime de la charité, qui ne la sauva de la déchéance, nous l’assommâmes de médicaments auxquels sa tête ne put résister, elle vécut, hélas ! de quelle vie, auprès de quoi l’assassinat physique est une grâce ».





Oui, Ignatius Reilly n’était pas seulement drôle, il était tragique et le rire qu’il provoquait en nous était le rire pataphysicien de René Daumal, ce rire qui « secoue les membres » et qui nous apprend que « toute existence définie est un scandale ». Avec Post-Mortem, Madame Mère peut traverser tranquillement le Styx parce que son fils l’a libérée de ses plus grossières approximations. Puissions-nous à notre tour nous imprégner de cet envoi aux morts pour faire éclater le scandale de l’existence.
Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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Amers, tome 1 : Le Bréviaire du chaos

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Bréviaire du chaos

https://lescorpscelestes.fr/breviaire-du-chaos-d-albert-caraco/
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Post Mortem

Sorte de Journal de deuil certes étonnant, mais dont la puissance dramatique est tuée dans l'œuf par une écriture prétentieuse et amphigourique. N'est pas Cioran qui veut.
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