"Car je vous aime, dame, si fidèlement
Que d'autre aimer Amour ne me donne le pouvoir,
Mais il me permet d'en courtiser une autre gentiment,
Dont je crois éloigner de moi la cruelle douleur ;
Puis quand je pense à vous de qui vient ma joie,
Tout autre amour oublie et abandonne,
Avec vous je demeure, qui m'êtes la plus chère au coeur."
Amour lointain
Lorsque les jours sont longs en mai
Me plaît le doux chant d’oiseaux lointains,
Et quand je suis parti de là
Me souvient d’un amour lointain ;
Lors m’en vais si morne et pensif
Que ni chants ni fleurs d’aubépines
Ne me plaisent plus qu’hiver gelé.
Jamais d’amour je ne jouirai
Si je ne jouis de cet amour lointain,
Je n’en sais de plus noble, ni de meilleur
En nulle part, ni près ni loin ;
De tel prix elle est, vraie et parfaite
Que là-bas au pays des Sarrasins,
Pour elle, je voudrais être appelé captif !
Triste et joyeux m’en séparerai,
Si jamais la vois, de l’amour lointain
Mais je ne sais quand la verrai,
Car trop en est notre pays lointain :
D’ici là sont trop de pas et de chemins ;
Et pour le savoir ne suis pas devin
Mais qu’il en soit tout comme à Dieu plaira.
Jaufré Rudel
Poètes et romanciers du Moyen Âge, texte établi et annoté par Albert Pauphilet,
"Le jour que je vous vis, dame, pour la première fois,
Quand il vous plut de vous laisser voir à moi,
Mon coeur se sépara de toute autre pensée
Et ferme en vous demeura tout mon vouloir;
Qu'ainsi vous me donnâtes, dame, au coeur le désir,
Moi-même et tout ce qui est me fîtes oublier."