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Critiques de Alexandre Grine (10)
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Jessie et Morgane

“Sous le doux miel se cachent de cruels poisons.”

(Ovide)



Nées de la même mère. Le même milieu, la même éducation... Et pourtant, elles sont le jour et la nuit, l'amour et la haine, la sincérité et les faux-semblants... on pourrait vraiment puiser à volonté dans l'immense tonneau des antonymes pour décrire Jessie et Morgane, les deux soeurs imaginées par l'auteur russe Alexandre Grine (1880-1932).

Il sera aussi intéressant de se demander ce qui a poussé cet aventurier et révolutionnaire presque "professionnel" à écrire une sorte de conte de fée mélodramatique et délirant sur l'amour, la jalousie, les poisons et les miroirs.



La quatrième de couverture parle de la "griffe du formalisme russe", et ce court roman est en effet extrêmement "esthétisant", avec son jeu hypnotisant de contrastes et de reflets.

Le scénario en soi est simplissime et tout se passe en l'espace de quelques jours dans un endroit géographiquement vague, car Grine avait un tout autre but.

Il nous propose une histoire "d'atmosphère" : lugubre, décadente, et un brin schizophrène, qui baigne dans le clair-obscur (voilà que nous y sommes encore !) très "fin-de-siècle".

Le potentiel visuel du roman n'a pas échappé au réalisateur tchèque Juraj Herz, le représentant de la Nouvelle Vague (les cinéphiles se souviendront de son "Incinérateur de cadavres" !), qui l'a transformé en horreur psychologique surréaliste. Son film "Morgiana" (1972) a longtemps hanté mes rêves d'enfance. Certes, Herz a poussé le frisson esthétique ad extremum, et l'actrice Iva Janžurová crève l'écran dans le double rôle-titre, mais malgré tout, on n'est vraiment pas loin des sensations provoquées par l'histoire de Grine. Je recommande au moins la bande d'annonce, pour se faire une idée assez précise.

La traduction française a obtenu le Prix Russophonie 2009, ce qui est une bonne carte de visite, mais je suis d'emblée déstabilisée par le titre : pourquoi avoir rebaptisé la "Morgiana" d'origine en nota bene ordinaire "Morgane" ? Essayez seulement de prononcer les deux, pour savourer la différence : la neutralité ennuyeuse de "Morgane", contre les promesses tragiques et sépulcrales d'une "Morgiana" ! On sait d'instinct laquelle des deux sera la Reine Noire, quand l'échiquier fatal se mettra en mouvement...



Le thème des deux soeurs que tout oppose est immortel, et n'a pas besoin d'introduction. Jessie est belle, Morgane hideuse. La pétillante Jessie a des prétendants (dont un particulièrement épris), la bilieuse Morgane est seule avec sa jalousie, cultivée d'une façon presque artistique. Morgane hérite seulement d'une modeste maison à la campagne, La Flûte Verte, le reste ira à Jessie à sa majorité... voilà qui est fâcheux ! Peut-être que l'obscure voyante que fréquente Morgane trouvera quelque présage favorable dans les Tarots, ou peut-être faudrait-il donner un petit coup de pouce aux cartes...

Sous la façade d'une relation polie et presque heureuse bouillonnent et fermentent les projets diaboliques. Les miroirs - grands, petits, sur les murs, à la main ou sur une coiffeuse - reflètent les visages des deux soeurs, mais aussi les inquiétantes profondeurs de l'âme, d'où lentement se frayent un chemin des démons destructeurs.

Le potentiel dramatique des petites scènes est grand, et même s'il est mieux mis en valeur dans le film de Herz, Grine nous propose une fin différente... et tellement typique de la littérature russe !

L'amour seul n'est pas assez. Ni le caractère pur, la passion, le désir de sauver la vie d'un autre... quand ils se heurtent aux conventions sociales. Certaines situations peuvent réveiller le meilleur au fond de nous, mais la rouille de la routine finira par tout recouvrir. La fin de Grine transforme son mélodrame esthétisant en chef d'oeuvre. Laquelle des deux soeurs était finalement la plus chanceuse ?

Les pages défilent à toute vitesse, et le lecteur arrive plus vite qu'il n'en faut pour le dire à la fin... et voilà qu'on est tenté de revenir au début... qu'est ce qu'il y avait, déjà, au début... ?

"Il existe un ancien mode de divination : on regarde un miroir dans un autre placé en face du premier de telle façon qu'ils échangent leurs reflets, ce qui donne un corridor étincelant infini, tapissé de rangées parallèles de chandelles. La jeune fille qui pratique cette divination (seules les jeunes filles le font) regarde ce corridor, et ce qu'elle y voit alors montre le sort qui l'attend."



5/5 très subjectifs ; de pareilles fantaisies me mettent toujours sur les genoux.
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L'Attrapeur de rats

L’attrapeur de rats d’Alexandre Grine

Petrograd, 22 mars 1920, le froid et la neige fondue glacent un homme sur la place aux foins, il est venu vendre ses derniers livres pour pouvoir s’acheter quelques pommes de terre et survivre. Il les avait vendus une misère juste après une charge de la police montée. La famine est sévère. Il avait fait bouillir ses patates sur un petit poêle en fer mais le bois manquait, il débitait discrètement des morceaux du toit où les châssis des fenêtres. Malade, 41 de fièvre, délire, trois mois d’hospitalisation, au retour son logement est occupé il est à la rue. Entraide avec des amis puis gîte douteux fourni par un épicier qui avait désormais une fonction officielle. Il le loge dans une banque désaffectée. Des dizaines de pièces désaffectées pleines de papiers et de détritus. Il va y passer la nuit en brûlant des liasses de documents dans une cheminée puis ne trouvent pas le sommeil, son esprit va divaguer centre rêve et réalité.

Une nouvelle de 70 pages qui débute dans un hyperréalisme très prenant et qui peu à peu laisse place au sein de ce labyrinthe bureaucratique à une étrange fable. Fascinant.
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L'Attrapeur de rats

Contrairement à la 4e de couv', à la préface et à l'ensemble des critiques qu'on peut trouver dans la presse ou sur le net, je ne vais pas vous spoiler cette courte nouvelle. (Note aux éditeurs, préfaceurs et critiques professionnels : si vous ne savez pas parler d'une œuvre sans en révéler l'intrigue, pitié : changez de métier.) Du coup je vais commencer par vous parler de Alexandre Grine (pour les français) / Alexandre Stepanovitch Grinievski pour les russes. Un sacré personnage. Il n'est allé à l'école que pendant 4 ans en tout. Juste le temps d'apprendre à lire et à écrire. Comme son père était un sale type et que sa mère est morte alors qu'il avait quinze ans, c'est à peu près à cet âge qu'il est parti pour Odessa dans l'espoir de devenir marin. Mais comme il ne savait rien faire, ça a été plus compliqué qu'il ne l'imaginait. Il a multiplié les emplois : expéditionnaire de bureau, garçon d'étuve, copiste ... et mendiant quand il ne trouvait pas d'autre moyen de rester en vie. Ensuite, il recommence : écrivain public, chercheur d'or, matelot sur les péniches de la Volga ... Il s'engage dans l'armée, mais constatant vite que l'armée tsariste, ça n'est pas son truc, il déserte et devient anarchiste, ce qui lui vaudra une première déportation en Sibérie (non, les communistes n'ont pas inventé le concept). Il s'évade et recommence. Et c'est aussi là qu'il se met à publier ses premiers livres. Ce qui lui vaudra d'être de nouveau déporté. Libéré, il collabore à plusieurs journaux, s'en prend directement au Tsar dans ses écrits, et pour éviter la troisième déportation, il part se planquer en Finlande. Et lorsque la Révolution russe chasse le Tsar, Grine revient à Petersbourg depuis la Finlande. A pied. Il est immédiatement enrôlé dans l'Armée rouge où il chope le typhus et c'est à sa sortie de l'hôpital que Gorki le fait admettre à la Maison des Arts qui se situent dans l'ancienne banque qui sert de décors à L'Attrapeur de Rats.

Grine est alors connu pour ses écrits romantiques-réalistes, et cette nouvelle n'est ni l'un ni l'autre. On se trouve ici quelque part entre le surréalisme et le conte fantastique. Il est évident que Grine nous parle de son époque - les années 20, donc - en Russie, et pourtant il nous offre une histoire aussi intemporelle qu'universelle.

C'est très bien écrit, très facile et très rapide à lire et l'Attrapeur de Rats mettra d'accord tant les amateurs de littératures que les amateurs de contes traditionnels. Mais dépêchez-vous : ça n'avait pas été ré-édité depuis 1972, et je doute que cette édition 2019 reste longtemps disponible
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Fandango

C’est dans la collection « La Bibliothèque de Dimitri » (en hommage à Vladimir Dimitrijevic, fondateur des Editions L’Age d’Homme) que paraît cette réédition de Fandango (publié en 1927) due au fantasque chercheur d’or, matelot, déserteur et écrivain Alexandre Grine.



Si on aime la littérature russe et aussi Kafka et se perdre dans un monde âpre, mais sauvé par l’imagination et l’art, on ne pourra que savourer ce court récit.



Le cadre de cette nouvelle, c’est la Petrograd de 1921, décimée par le froid et la famine.



Le narrateur qui affirme ironiquement que « les joies esquimaudes sont étrangères à son cœur » est chargé par un certain S.T. d’acheter une toile à un marchand d’art. Il compte sur une commission pour améliorer son quotidien et surtout échapper à la faim, « la corruption de l’être humain ».



C’est au rythme du Fandango, un air qui lui trotte dans la tête, « l’exacte transcription du chant du rossignol », « une danse impétueuse comme le vent, sonore comme la grêle et profonde comme une voix de contralto » que le narrateur déambule dans un univers souvent sordide, picaresque et misérable, qui s’ouvre soudainement sur un monde de lumières et de couleurs, lorsque bouleversé par une toile extraordinaire, il plonge littéralement en elle, dans un véritable univers parallèle et consolant, où il perd « toute conscience de soi ».



Tout a été chamboulé, dit-il.



Au lecteur de plonger à son tour dans ce texte musical, rythmé, étrange et surréaliste et d’accepter de vivre ce grand chamboulement.



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L'Attrapeur de rats

L'auteur utilise deux éléments de décor qui me plaisent beaucoup :

- d'abord une ville à l'abandon où les gens ne font qu'errer et survivre. Je crois d'ailleurs que dans l'introduction au récit on nous donne les raisons et le contexte historique de la catastrophe politique et économique qui a soufflé St-Pétersbourg il y a un siècle, mais en réalité peu importent ici les circonstances ou même le lieu. J'ai toujours trouvé que ces histoires de villes - habituellement des machines à impulser, diriger et digérer le flux de leurs habitants - brutalement mises à l'arrêt constituaient un terreau très fertile pour l'imaginaire : ce qui était purement fonctionnel devient brutalement esthétique et forme un paysage étrange, toujours inédit et atemporel

- ensuite l'autre face du récit qui se déroule dans un intérieur immense, désert, labyrinthique, qui semble même de plus en plus démesuré et inextricable à mesure que le narrateur y progresse. C'est le genre de lieu qu'il m'arrivait de voir en rêve - mais pas dernièrement, maintenant que j'y pense - avec toujours beaucoup de plaisir.

Le récit a précisément cette texture et cette qualité du rêve, la façon dont les choses y surviennent et s'y agencent, l'aspect à la fois précis et incertain qu'y ont les personnages. Le déploiement de l'action est tellement réussi que le dénouement pourrait en être légèrement décevant, mais après réflexion, on peut se plaire à croire que la fin reste ouverte, que les apparences en sont peut-être trompeuses, que ce qui y ressemble à de la sécurité est peut-être plus fragile qu'on ne le croit.
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L'Attrapeur de rats

Les Éditions Noir sur Blanc [...] ont exhumé L’Attrapeur de rats (1924), nouvelle sombre et énigmatique d’un auteur russe méconnu, Alexandre Grine.
Lien : https://www.actualitte.com/a..
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Le Détroit des tempêtes

C’est l’une de ces lectures prenantes et libératrices où l’on peut s’engloutir à tout âge et qui laissent dans nos mémoires un souvenir étincelant
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Fandango

Fandango compte parmi les nouvelles les plus réussies de ce maître du romantisme fantasmagorique que fut le talentueux et prolifique Alexandre Grine.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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L'Ecuyère des vagues

Aventure maritime et fantastique, irréalité, amour et beauté.



Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/06/23/note-de-lecture-lecuyere-des-vagues-alexandre-grine/
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La Chaîne d'or

Un bref et fascinant roman d’aventures russe de 1925, teinté d’un profond surréalisme.



Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/03/10/note-de-lecture-la-chaine-dor-alexandre-grine/
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