Alice Kaplan, universitaire américaine spécialiste de Camus, et
Alain Farah, universitaire québécois d'origine libano-égyptienne enseignant lui aussi la littérature, ont écrit, chacun à leur manière, un roman des origines.
Inspiré par l'histoire vraie d'une des dernières familles juives d'Algérie que la guerre d'indépendance puis la décennie noire n'ont pas dissuadée de rester dans le pays,
Maison Atlas mêle sur plusieurs générations et à travers plusieurs voix les destins croisés de deux familles, l'une algérienne, l'autre américaine.
Fresque familiale entre le Canada d'aujourd'hui et l'Égypte des années 1960 en même temps qu'autobiographie romancée plongeant au coeur de l'intime,
Mille secrets mille dangers tisse aussi des temps multiples. Pourtant, à la manière de l'Ulysse de Joyce, l'intrigue de ce roman se déploie sur une seule journée, celle du mariage de l'auteur-narrateur qui devient ici prétexte à rassembler les pièces du grand puzzle de son existence
Deux récits virtuoses qui interrogent la transmission et l'héritage familial face aux défis de l'histoire, ainsi que l'exil et la force des sentiments.
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Une rencontre avec
Alain Farah (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/alain-farah/) et
Alice Kaplan (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/alice-kaplan/) animé par Sophie Joubert (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/sophie-joubert/) et enregistrée en public en mai 2022 au Mucem, à Marseille, lors de la 6e édition du festival Oh les beaux jours !.
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À lire
Alain Farah,
Mille secrets mille dangers, le Quartanier, 2022.
Alice Kaplan,
Maison Atlas, traduit de l'américain par
Patrick Hersant, le Bruit du monde, 2022.
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Montage : Clément Lemariey
Voix :
Nicolas Lafitte
Musique : The Unreal Story of
Lou Reed by Fred Nevché & French 79
Photo : Nicolas Serve
Un podcast produit par Des livres comme des idées (http://deslivrescommedesidees.com/).
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La 7e édition du festival Oh les beaux jours ! (https://ohlesbeauxjours.fr/) aura lieu à Marseille du 24 au 29 mai 2023.
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S' il apparaît évident à partir de 1940 que le pays va continuer à éditer des livres, le processus promet d'être imprévisible et soumis à des considérations politiques. Faire avec la censure, éviter certains sujets pour s' assurer l'approbation des Allemands, publier en zone libre ou occupée, ne pas publier du tout - éditeurs et écrivains acceptent alors des compromis dont ils devront répondre un jour. Camus est pris dans ce système, tout comme Gaston Gallimard.
Chapitre XVIII, Gallimard en guerre, p. 150
D'où vient que savoir rester seul à Paris un an dans une chambre pauvre apprend plus à l'homme que cent salons littéraires et quarante ans d'expérience de la "vie parisienne". C'est une chose dure, affreuse, parfois torturante, et toujours si près de la folie. Mais dans ce voisinage, la qualité d'un homme doit se tremper et s' affirmer - ou périr. Mais si elle périt, c'est qu'elle n'était pas assez forte pour vivre. (A. Camus, Carnets, OC II, p. 909)
Chapitre X, Écriture de la première partie, p. 91
"Je suis un mélange de Fernandel, de Humphrey Bogart et de samouraï", aurait déclaré Camus à des amis pour se moquer de sa réputation de séducteur. Fernandel, c'est l'alter ego de Camus, son versant bouffon, ambitieux, grandiose et naïf. (p. 61)
Derrière les mondanités, la vie clandestine de Camus commence. Pascal Pia lui avait obtenu un travail à Alger républicain, puis avait piloté la publication de son premier roman chez Gallimard ; à présent, l'homme de presse aguerri fait entrer Camus au comité de rédaction de Combat, un journal clandestin préparé dans de minuscules studios et chambres de bonne, à Paris, et imprimé dans une presse clandestine à Lyon. Malgré une équipe modeste, Combat jouit d'une importance politique que Camus n'a jamais connue ailleurs. Ce travail va le changer. Camus obtient une fausse carte d'identité au nom d'Albert Mathé et un acte de naissance assorti. Comme tous ses camarades résistants, il adopte un nom d'emprunt : ses camarades l'appellent "Beauchard". Quand Pia se voit confier de nouvelles activités au sein de la Résistance, Camus le remplace au poste de rédacteur en chef d'un journal qui, en 1944, paraît toutes les trois semaines et bénéficie d'une diffusion de 250 000 exemplaires.
Chapitre XXI, De l'absurde à la révolte, p. 189
En cet hiver de 1940, l'avenir de Camus est incertain, mais ce premier chapitre est comme une promesse qu'il se fait à lui-même : pour continuer il le sait à présent. Il ne lui reste plus qu'à trouver du temps et un lieu où écrire. Il découvre en Meursault un agent qui lui permettra de muer ses premières perceptions du monde et de répondre au défi qu'il s' est adressé : "Pour écrire, être toujours un peu en deça dans l'expression". En découvrant ainsi qu'il peut être écrivain sans verser dans la fioriture, dire "je" sans tomber dans la confession, Camus se donne les moyens de poursuivre et d'achever son roman.
Chapitre VIII, Un premier chapitre, p. 82
Le silence de sa mère lui a peut-être inspiré sa première leçon d'écrivain- l'idée, chère aux modernistes, qu'il y a plus de force dans le montrer que dans le dire, plus d'émotion dans le silence que dans la parole. (p. 27)
Je t'écris dans la nuit. Je viens de terminer mon roman et je suis trop énervé pour songer à dormir. Sans doute, mon travail n'est pas fini. J'ai des choses à reprendre, d'autres à ajouter, d'autres à réécrire. Mais le fait est que j'ai fini et que j'ai tracé la dernière phrase. [...] J'ai ce manuscrit devant moi et je pense à ce qu'il m'a coûté d'effort et de volonté - combien il a fallu lui être présent, sacrifier d'autres pensées, d'autres désirs pour rester dans son climat. Je ne sais pas ce qu'il vaut. A certains moments, ces temps-ci, certaines de ses phrases, son ton, ses vérités me traversaient comme des éclairs. Et j'en étais terriblement orgueilleux. Mais à d'autres moments, je n'y vois que des cendres et des maladresses. Je suis trop imbibé de cette histoire. Je vais mettre ces papiers dans mon tiroir et commencer à travailler mon essai. Dans quinze jours, je ressortirai tout cela, je retravaillerai ce roman. Je le ferai lire ensuite. Je ne veux pas trop m'attarder dessus parce qu'en réalité je le porte depuis deux ans et j'ai bien vu à la façon dont je l'écrivais qu'il était tout tracé en moi. (A. Camus à Francine Faure, 30 avril 1940, lettre citée in B. Pingaud, L'Etranger d'Albert Camus).
Chapitre XII, Tout tracé en moi, p. 106
A sa mort, il travaillait à un roman intitulé Le Premier Homme ; cette ode à l’enfance à Belcourt est aussi tendre et sentimentale que L’Etranger était impassible et froid. Le manuscrit, récupéré dans l’épave de la Facel-Véga, sera publié trente-autre ans après sa mort et connaîtra un grand succès. Camus n’aura donc jamais écrit de mauvais livre, jamais déçu ses lecteurs. Et il n’aura jamais eu l’occasion de dire « Aujourd’hui maman est morte. » : sa mère est morte, à Alger, neuf mois après avoir perdu son fils. P 223
Je n'ai pas tellement de choses pures dans ma vie. Écrire est une de celles-là. Mais en même temps, j'ai assez d'expérience pour comprendre qu'il vaut mieux être un bon bourgeois qu'un mauvais intellectuel ou un médiocre écrivain.*
Chapitre IIl, Une première tentative, p. 36
* A. Camus à J. Grenier, 18 juin 1938, Correspondance
«Pour qui aime la littérature, les livres sont des êtres vivants: les livres ont une vie propre. Ils s'éveillent à la vie à mesure qu'on les lit, et restent vivants longtemps après qu'on en a refermé la dernière page