Immense coup de coeur pour ce roman de la rentrée littéraire 2023 que je n'avais pas lu encore.
Isor naît dans une famille d'apparence normale, mais elle n'est pas comme les autres enfants. Elle ne parle pas, manifeste de grandes colères très petite, s'enfuit du domicile familial où ses parents s'organisent pour la garder. Autisme ? Schizophrénie ? Surdité ? Prostration ? Toutes les hypothèses sont étudiées mais aucune n'est retenue par les médecins qui se succèdent pour tenter de qualifier son mutisme apparent.
Ce sont ses parents qui parlent d'elle, tour à tour. En quelques fragments successifs, ils parlent de leur désarroi devant cette fille qui grandit, et qui ne fait rien comme les autres enfants. Elle ne prononce aucun mot en français, mais est capable de reproduire à l'oreille de nombreuses langues étrangères.
Un jour que la mère est vraiment dans l'obligation de la laisser, elle la confie aux bons soins de son voisin septuagénaire, un certain Lucien. Une sorte de coup de foudre surgit entre eux, si cette expression ne paraissait pas ridicule pour une relation entre une fille de 13 ans qui n'a jamais prononcé un mot, et un homme de 76 ans seul, abattu de tristesse. On parlera alors peut-être plus volontiers d'alchimie entre les deux êtres, notamment autour de la musique qui est la seule consolation de Lucien.
C'est lui qui tient le stylo dans cette seconde partie du récit, décrivant les entrevues quotidiennes avec celle qui fait refleurir sa vie d'homme esseulé.
Une troisième partie va faire entendre la voix d'Isor au travers de lettres que la fille va écrire à ses parents au quotidien. Enfuie à l'occasion d'un accident que subit Lucien, elle a rallié l'Italie pour des raisons qui nous seront dévoilées peu à peu. Il y sera question de deuil, de chagrin, mais surtout de raccommodage, de réparation ou de résilience, peut-être. Et il y sera surtout question d'une naissance au langage.
Mais raconter l'histoire de « La Colère et l'Envie » n'est certainement pas suffisant pour expliquer le plaisir qu'on éprouve à découvrir la plume de Alice Renard. D'une incroyable maturité, alors qu'elle n'a que 21 ans, elle sait parfaitement faire naître une émotion profonde chez ses lecteurs.
Ce fut le cas pour moi en lisant les lettres d'Isor – de la poésie à l'état pur.
A l'image de celle-ci :
« Père, mère
Ces dernières semaines chez vous, écarlates. La colère bouffe les tripes. Me secoue m'écume me séisme – hors de tout. A l'extérieur de ma tristesse. Seulement dans ma colère je sors de ma tristesse. Lucien qui faiblit, vulnérable. La colère. de sa faiblesse. La colère de sentir chavirer les gens qu'on aime. Il mérite la robustesse pour toujours Lucien. »
D'une immense sensibilité, la langue d'Isor (ou d'Alice Renard) m'a prise aux tripes moi aussi. Alice Renard touche si juste qu'on en ressort remué, troublé, en un mot - ému. J'avais repéré ce livre de la rentrée littéraire, avait attendu quelques mois avant de l'ouvrir à mon tour, et la magie a opéré en moi, j'en suis ressortie bouleversée. Avec l'envie de partager ce coup de coeur avec tous mes amis Babeliotes – plusieurs l'ont déjà lu et partagé avec enthousiasme – j'invite chaleureusement les autres à le faire.
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