Citations de André Schmitz (27)
Les preuves sont nulles
les signes sont fragiles
On ne peut pas encore affirmer
que le jour naîtra
que l’horizon ouvrira ses lèvres au soleil
on ne peut rien dire.
On se tait on retient son haleine
on laisse la rosée toucher des paupières
on laisse l’oiseau dire ce qu’il veut.
On attend
on voit l’incertain trembler
entre la cendre et la chaux
on a mal à son désir.
Une poignée de jours (1982)
Vous ai-je dit
voisine
avoir vu le vent
se traîner à plat ventre
dans votre jardin?
Vous devriez prendre garde:
Le vent est amoureux.
(" Incises incisions")
Journée
Voyage sans retours dans les bas et les hauts
murmures d’une journée sans importance
et le bruit du lait contre le métal des seaux
quand la prairie fait tinter ses verdures ses verdeurs
et le cliquetis des souvenirs comme cuivres légers
suspendus dans les sonores boutiques des souks
et les vagissements d’un vent nouveau dont la
mer qui l’enfante s’étonne elle-même
et le criaillement des jeunes filles qui publient
sur les draps blancs leur première écriture rouge
et les bruissement d’abeilles que sont les péchés
et les pardons chuchotés à travers des grillages
et toutes les rumeurs du monde du ciel
qui filent dans les sangs comme des truites
Il ne dort pas celui qui aime
il entretient le feu
et s'entretient avec un grésillement de sèves
dans l'âtre
il parle doucement avec le silence
il met les lampes en veilleuse
il range salière et sablier
et autres ustensiles du repas
Celui qui aime ne dort pas
il veille et il attend
il économise les vertiges et les syncopes
il économise son coeur
pour mieux le répandre
quand le temps sera venu
L’administratrice des hauteurs
Elle avait été nommée conservatrice
et gardienne des torrents dans une région
cadastrée en haute montagne.
Là, elle recevait des nuages et des orages,
crachant avec eux dans les eaux violentes,
puis entretenait avec des aigles des rapports audacieux.
Elle excellait à gérer ce qui ne pouvait l’être,
ajoutant l’excès à l’excès,
en bonne gestionnaire des eaux et des feux.
(Inédit, L’Arbre à Paroles N° 85.)
La promesse
Dans les yeux de la bête infirme, il y a
la promesse d’un en deçà et de ses immensités
dans lesquelles je voudrais descendre
et descendre encore, perdre et perdre tout
et me perdre enfin
(dit la regardeuse, dont
les yeux déjà font remise d’eux-mêmes à ce
qui les fascine et les trouble).
(Inédit, L’Arbre à Paroles N° 85)
Éblouis, brisés, nous rejoignons les plaines, les demeures. Une fois
encore les miracles s’éteignent, les aubes s’allument.
Les monstres redeviennent monstres, infirmes les infirmes. Les
effrayés retournent à leur effroi, les fous à leur folie.
Nous rejoignons les salles à manger où nous toucherons à peine au
pain, les chambres où nous ne nous toucherons presque pas.
Déjà, sans nous quitter, nous faisons des signes qui ressemblent à
ceux de l’adieu.
J'AFFIRME SUR L'HONNEUR
J'affirme sur l'honneur
que je n'ai rien à voir avec
moi-même.
Je ne suis pas propriétaire
du corps où je réside.
Ces yeux braqués jour et nuit
sur d'étranges oiseaux
et fascinés par la beauté du monde
ne sont pas les fenêtres de ma maison.
Là où je suis, ce que je suis
n'est pas ma patrie.
Je suis le fils d'un enfant qui n'est
pas encore né,
l'époux sauvage d'une femme que je traverse
et qui ne m'appartiens pas.
Une jeune fille quelque part tente encore
d'être ma mère.
Les preuves sont nulles
les signes sont fragiles
On ne peut pas encore affirmer
que le jour naîtra
que l’horizon ouvrira ses lèvres au soleil
on ne peut rien dire.
On se tait on retient son haleine
on laisse la rosée toucher des paupières
on laisse l’oiseau dire ce qu’il veut.
On attend
on voit l’incertain trembler
entre la cendre et la chaux
on a mal à son désir.
La poésie, je ne peux jamais
la voir que de dos,
quand elle fait ses courses au village
ou se rend à des offices de nuit.
Je la suis de loin comme un voyeur
et sur son épaule parfois
ma main se pose comme un vieil oiseau.
Je lui demande encore pardon
de ne savoir m’y prendre avec elle.
En d’autres temps je propose avec gaucherie
de porter ses cabas et ses livres de magie.
La poésie, elle la passante inouïe
que je prie en silence de réchauffer ma vie.
Elle vint.
Il ôta le vent de ses épaules
fit glisser de ses hanches
la neige du voyage.
Il lui demanda d’oser dire
Elle parla avec audace
d’un jardin déserté
de trois ou quatre bouleaux trahis
d’un pacte avec les loups.
Il lui offrit la première lampe
du soir.
Et s'il me plaît...
Et s'il me plaît, dit-elle, de rire pendant
les orages, de quitter vos lampes peureuses
pour étreindre dans mes paumes le paysage
autrement lumineux des foudres convoitées,
Vraiment, s'il me plaît de rire et de jubiler
pendant que vous craignez. De me changer en herbe,
en arbre, en bête, pour savourer du dedans
les justes et sonnantes colères du ciel.
Je sais, j'aurai l'oeil en feu, la lèvre sauvage,
les poignets en miettes et les genoux ouverts,
j'aurai l'âme en désordre et le coeur en guenilles.
Mais s'il me plaît à moi de vivre ainsi l'orage !
Des cercueils volants sortaient du miroir.
(Dyane Léger)
Ce sont les âmes que l’on met en terre
et ce sont les corps qui montent au ciel
enveloppés de leur costume de bois pauvre
Ainsi voit-on parfois des cercueils flotter
dans les airs comme de grands cerfs-volants
(auxquels aboient la nuit les chiens éberlués).
Comme un ramasseur de feu
qui va de regard en regard, demandeur
(moins avec les lèvres qu’avec les yeux),
et dit merci à la cendre quand la cendre
est seule à pouvoir encore témoigner d’une ardeur
qui fut (et qui s’est faite nuage, buée),
ramasseur de secrets, de liesses et qui
s’efforce de maintenir au-dessus du froid
cela qui s’éteint dans la grisaille des yeux.
Les chiens ont peur.
Ils grognent et Ils tremblent.
Quelque chose vient, sûrement.
— Ce sera grave, demande la femme.
Il ne sait pas, celui qui se hâte
à condamner portes et fenêtres
et qui ne peut même plus interroger l’avenir
tant il fait sombre dans la maison.
La douceur des couteaux,
vous connaissez ?
dit celle dont la voix
était lame, éclair
dessus le poème à venir.
Page en deuil d’une écriture
qui n’a pas eu lieu.
Blancheur brisée,
heureuse.
Et s’il me plaît…
Et s’il me plaît, dit-elle, de rire pendant
les orages, de quitter vos lampes peureuses
pour éteindre dans mes paumes le paysage
autrement lumineux des foudres convoitées.
Vraiment, s’il me plaît de rire et de jubiler
pendant que vous craignez. De me changer en herbe,
en arbre, en bête, pour savourer du dedans
les justes et sonnantes colères du ciel.
Je sais, j’aurai l’œil en feu, la lèvre sauvage,
les poignets en miettes et les genoux ouverts.
J’aurai l’âme en désordre et le cœur en guenilles.
Mais s’il me plaît à moi de vivre ainsi l’orage !
COPEAUX
Je vais chercher des copeaux chez le menuisier Zimmer
à Tübingen ou chez le charpentier Joseph à Nazareth.
Je remplis consciencieusement mes cabas et je paie.
Les deux hommes me demandent chaque fois
bizarrement si je n’ai besoin de rien d’autre.
Je réponds rêveusement que non. Et chaque fois je m’en vais
chargé de ces copeaux dont je n’ai pas besoin.
( Les prodiges ordinaires)
Des corbeaux
entrouvrent
les lèvres fardées pour l’amour,
y enfoncent des plaintes
et des croassements sourds.
Dans les bouches nagent
les débris d’une langue morte.
LE TERRAIN VAGUE
Raison perdue, folie trouvée,
il regagne chaque soir son jardin
du dedans : un terrain vague où
se pratiquent des mises à mort,
parfois – en amour – des mises à nu
(Raison rendue, folie gardée.)