La poésie, je ne peux jamais
la voir que de dos,
quand elle fait ses courses au village
ou se rend à des offices de nuit.
Je la suis de loin comme un voyeur
et sur son épaule parfois
ma main se pose comme un vieil oiseau.
Je lui demande encore pardon
de ne savoir m’y prendre avec elle.
En d’autres temps je propose avec gaucherie
de porter ses cabas et ses livres de magie.
La poésie, elle la passante inouïe
que je prie en silence de réchauffer ma vie.
COPEAUX
Je vais chercher des copeaux chez le menuisier Zimmer
à Tübingen ou chez le charpentier Joseph à Nazareth.
Je remplis consciencieusement mes cabas et je paie.
Les deux hommes me demandent chaque fois
bizarrement si je n’ai besoin de rien d’autre.
Je réponds rêveusement que non. Et chaque fois je m’en vais
chargé de ces copeaux dont je n’ai pas besoin.
( Les prodiges ordinaires)
L’ENFANT PRODIGUE
L’enfant prodigue n’est pas revenu.
Ce sont les porcs avec lesquels
il a partagé glands et truffes,
et les filles dans lesquelles
il a dépensé ses talents,
ce sont les filles et les porcs
qui sont venus chez le père
recevoir le veau gras
– pour le donner à l’ingrat
vautré là-bas dans le très bas.