— Elle a perdu son bébé, dit Moira…
— J’ai perdu le mien itou, réplique Peg. Dans le puits.
— T’as pas fait ça.
— C’était ça ou le laisser crever de faim.
— Tu vas finir en enfer.
— J’y ai déjà été.
(Flammarion Québec, p. 690)
Une grève n'attend pas l'autre: en 1922, en 1923 et encore en mars 1925, les mineurs débraient. James se rappelle les mauvais jours d'avant la guerre. En marge du Cap-Breton, les années vingt déferlent. Cependant, le célèbre Boom d'après-guerre ne se fait jamais sentir ici. Du moins pour les gens ordinaires. Les choses vont de mal en pis. Les politiciens et les magnats de l'industrie invoquent un mécanisme mystérieux: "l'économie mondiale". Même James y voit un euphémisme désignant "les salauds sans foi ni loi qui ont tout pris sans jamais rien rendre". Bon nombre d'enfants de mineurs vont à l'école nu-pieds et mangent des sandwichs au suif trempés dans de l'eau pour leur donner plus de consistance- malgré le plein-emploi. Personne ne le sait encore, mais le Cap-Breton constitue une sorte de répétition générale de la Grande Dépression.
Lorsqu'elles ne dorment pas dans le lit, les poupées vivent dans le grenier. Pour le moment elles sont sagement alignées le long du coffre: il y a Maurice, le singe joueur d'orgue de Barbarie, Scarlatine la petite fille à la tête de porcelaine, Rose Diphtérie, dont Frances a raccourci la robe de velours selon les poncifs de la mode, les jumeaux Aïe Typhoïde et Aïe Tuberculose, et la poupée garçon, Petite Vérole. Il y avait une adorable poupée en robe du soir, Choléra la France, mais elle est égarée. Trône fièrement, enfin, la danseuse de flamenco, avec sa robe cramoisie et ses castagnettes, Grippe Espagnole.
Toujours elles commençaient par saint-Laurent, qui fut brûlé vif et qui, à mi-chemin, dit à ses bourreaux:
- Vous pouvez me retourner. Je suis à point de l'autre côté.
Il devint le patron des rôtisseurs. A ces mots, elles étaient invariablement prises de fou rire, même Mercedes. Elles se sentaient toutes trois fiévreuses et malfaisantes, mais, au fur et à mesure que le jeu avançait, elles devenaient graves et respectueuses avant d'accéder à une pieuse ferveur.
Chacune avait ses favoris. Parfois, Frances choisissait sainte Barbara, dont le père était païen. Lorsqu'elle voulut devenir chrétienne, il la conduisit sur une montagne où il lui coupa la tête tandis qu'elle priait pour lui. Ou encore sainte Wénéfride qui fit un jour la connaissance d'un homme qui avait des visées impures sur elle, mais à qui elle dit non, de sorte qu'il lui coupa la tête, mais son gentil oncle la remit en place, et il ne resta plus qu'une fine cicatrice blanche. D'autres fois encore, elle était sainte Dympne, dont le père avait des visées impures sur elle, mais elle ne voulait rien entendre, si bien qu'elle s'enfuit avec le fou du roi mais son père la retrouva en Belgique et lui coupa la tête, mais, comme elle n'avait pas d'oncle gentil, elle mourut et devint la sainte patronne des fous.
C’est un printemps contre nature. Il fait si chaud que Materia a peine à bouger. Elle est énorme. « Que peut-il bien y avoir à l’intérieur ? se demande James. On dirait un boulet de canon de trente centimètres. » Malgré tout, elle se rend à l’église tous les matins avec ses deux enfants dans le vieux landau anglais de Kathleen. Mme MacIsaac, qui la voit passer près de la pharmacie, s’inquiète d’elle : personne ne devrait être si près de Dieu. Mme MacIsaac l’invite à boire un soda à la framboise. Materia refuse – tout l’écœure -, mais les petites boivent et, après, arborent de petites moustaches roses.
Plus elle grossit, plus elle prie, car James a de nouveau cessé de l’approcher et Kathleen est chaque jour plus jolie et insouciante. Materia les voit la tête penchée sur une ardoise ou figure une addition ; elle voit Kathleen sautiller devant lui dans sa robe toute neuve ; elle voit son visage quand la petite chante juste pour lui.
Ensevelie sous la chair, Materia n’arrive plus à respirer à fond. Dès le mois de juin, elle dort sur le lit de camp de la cuisine. Plus d’escalier pour elle. Le bébé lui prend toutes ses forces – elle n’épie plus ni James ni Kathleen, pas dans son état.
Elle n’a plus rien à se mettre. De trois robes, elle en fait une: boutons de rose devant, taffetas vert sur les côtés, tissu écossais derrière. Elle passe une journée à son aise mais, à son retour, James s’écrie:
-Au nom du ciel, qu’est-ce que c’est que ça ?
Elle lui demande de l’argent. Elle achète les chutes d’un rouleau de calicot à motif floral extravagant et, avec l’aide de Mme Luvovitz, se confectionne trois amples robes. Mme Luvovitz lui propose à la place quelques mètres de mousseline bleu pâle, mais Materia n’en veut pas. Les fleurs lui plaisent. James secoue la tête, mais ne dit rien.
A cette époque-là, Materia n’arrête pas de marmonner ; ses lèvres bougent sans cesse, qu’elle raccommode une chaussette ou change une couche. Pis encore, quand elle se rend à l’église, lente comme un glacier.
-Je t’interdis de te promener sur l’avenue Plummer en parlant toute seule.
-Je ne parle pas toute seule.
-A qui parles-tu?
-A Marie.
Seigneur Dieu!
Anecdote qui dit tout: Moi, j'aime les romans policiers et une amie m'avait du coup passé Le Chuchoteur (que j'ai beaucoup aimé). Puis, cette même amie m'avait prêté Un Parfum de Cèdre d'Ann-Marie MacDonald... Un livre d'un tout autre genre!! Tellement rien à voir avec moi que, sur le coup, j'me suis dit "Hein? 'Est donc bien perdue de me passer ça!?" et l'ai mis de côté... Puis, un jour, n'ayant rien à lire, je l'ai commencé pour voir.... Et bien ôÔ RÉVÉLATION!!!! Et j'ai réalisé avec ce livre que la vie bien ordinaire a jadis comporté plus d'intrigues et évènements inqualifiables que n'importe quel roman policier... J'AI ADORÉ!!!!!!
Carroll se demande comment elle réussira à survivre à celle-ci. Reste assise sans bouger, et la nuit va passer à travers toi, autour de toi. Puis ce sera le matin. Et Claire aura officiellement "disparu".
Des mèches couleur de charbon s'échappant de deux longues tresses. Une peau d'été, de la couleur du sable caressé par les marées. Mince dans son tablier vert et marine du couvent des Saints-Anges. Son oeil droit pleurait tandis que le gauche cédait au ravissement. Ses lèvres s'entrouvrirent silencieusement.
"Je te connais", voulait-il dire, mais rien dans sa vie ne l'attestait, de sorte qu'il se contenta de la regarder, enchanté et sans surprise.
Elle sourit et déclara:
- Je vais épouser un dentiste.
Elle avait un accent qu'elle ne perdit jamais. Un adoucissement des consonnes, un r légèrement liquide, une tendance à couper les mots non pas avec les lèvres, mais avec la gorge. Elle transformait l'anglais en musique pure.
- Je ne suis pas dentiste, dit-il en rougissant jusqu'aux oreilles.
Elle sourit..
Elle avait douze ans, presque treize.
Le vernis de la civilisation est bien mince en vérité.
Je déteste discuter, contrairement à toi, je déteste débattre, au secondaire, on m’a forcée à faire partie d’un club de débats et j’ai été marquée pour la vie, le club était présidé par Dwight Dumphy, qui avait une petite barbe humide. Je ne suis pas fâchée, je plaisante, c’est tout, c’est toi qui es fâchée et hostile.