Début Novembre1998, mon père m’a demandé d’acheter une petite caméra et de « descendre » quelques jours à Tourtour pour le filmer dans son atelier.
La maladie de parkinson avait déjà considérablement réduit ses forces qu’il ne réservait plus qu’à son travail.
J’avais quitté la Baume quelques semaines auparavant alors qu’il œuvrait déjà à sa prochaine exposition.
À ce moment, il était question d’une série de personnages bien vivants, de face et en costume d'époque.
Je dois dire que ce que j’avait vu avant d’aller retrouver mon existence parisienne m’avait laissé quelque peu sceptique…
En poussant la porte de l’atelier, j’étais à mille lieues d’imaginer que cette relativement courte période de travail avait fait évoluer si prodigieusement son sujet initial.
Je retrouvai ces mêmes personnages qui étaient passés d’une vie statique et sans relief à un trépas brillant et provocant.
Il les avait décharnés et « habillés » d’une mort organique.
Le message était clair, nous abordions le dernier acte d’une vie de peinture, et il m’avait confié la charge d’en être à la foi passeur et témoin privilégié.
Chaque matin de cette période, aussi discrètement que possible, j’ai filmé la fin de l’exécution de cette série sans trop penser à ce que cela annonçait.
À la fin il m’a juste dit : « dommage que je ne t’ai pas demandé de venir plus tôt »
Il ne m’a évidement jamais demandé à voir ces images. Ce qui comptait pour lui était qu’elles existent.
Début 2008 j’ai numérisé puis monté cet incroyable témoignage pour en faire ce film.
Mon père voulait que le public puisse assister à une partie de l’exécution de l’épilogue de son œuvre.
J’ai, avec ma sensibilité, monté ce film court pour plonger le spectateur dans l’intimité de sa création et surtout dans le cœur de sa matière première : la peinture.
une très mauvaise prise de son doublée d’une climatisation assourdissante m’ont obligé à monter ce film en musique…Le choix musical c’est imposé de lui même.
Aujourd'hui cela fait 20 ans qu'il nous a quitté, clouant définitivement son bec à la maladie et la souffrance qu'elle engendrait. Fuyant aussi un nouveau millénaire arrivant à grands pas et qui le terrorisait.
Ces images ont été montrée pour la première fois au Musée d'Art Moderne de Paris lors de la rétrospective de 2017, et quelques-unes aussi dans le documentaire de Stephane Guez « Bernard Buffet, le grand dérangeur ».
Je profite de cette date anniversaire pour le mettre sur le web afin que les nombreux amateurs(trices) de son art puissent découvrir cet incroyable moment de peinture et d'histoire.
Nicolas Buffet