Citations de Anne-Dauphine Julliand (378)
Tout son corps lui fait mal. La nausée le gagne à nouveau. Il ne sait pas ce que ça fait de mourir. Mais il a bien l’impression qu’il est en train de mourir.
ÇA N'EST PAS LE FAIT DU HASARD, J'EN SUIS SÛRE. Thaïs a tenu bon jusqu'à notre retour de l'hôpital avant de perdre la parole. Je crois même qu'elle a fait une réserve de mots doux durant les derniers jours. Elle n'a jamais autant dit : "je t'aime".Puis un matin, elle s'est tue. Définitivement.
(note : pour la greffe envisagée pour la petite sœur de Thaïs, Azylis, atteinte elle aussi de la même maladie, la famille doit déménager plusieurs mois à Marseille, alors qu'elle vivait à Paris)
Une fois la montagne de valises défaite, nous savourons un repos bien mérité. D'autant que la journée de demain s'annonce éprouvante : Azylis entre à l'hôpital. Et nous allons retrouver Thaïs. Mais pas à la maison malheureusement. Elle va être transférée directement dans le même hôpital que sa sœur. Deux étages en dessous.
(...) Ca fait plus d'une semaine que je n'ai pas vu Thaïs. J'ai hâte de la retrouver. J'entends la porte du couloir s'ouvrir une nouvelle fois. Je me retourne. Elle est là.
Je l'étouffe entre mes bras et la couvre de baisers avant de la regarder mieux. Ses joues se sont légèrement arrondies, même si elle reste encore très maigre. Elle est pâle et elle a l'air si fatiguée. Mais elle a retrouvé son beau sourire. Et au fond de ses yeux brille à nouveau cette petite étincelle de vie. (...)
Azylis s'agite dans son couffin. Elle aussi va bientôt gagner sa chambre deux étages plus haut. Pour l'instant, elle vient rendre une petite visite à sa grande sœur. Thaïs est tout contente de la retrouver. Sa joie nous touche profondément. Je crois qu'il existe une réelle solidarité entre ces deux petites filles malades. Une complicité instinctive qui va bien au-delà des simples liens du sang. Gaspard est là aussi, tout fier au milieu de ses sœurs.
C'est pas grave la mort. C'est triste, mais c'est pas grave.
Oui, je réalise en cette nuit troublante que je ne n'ai jamais souffert à cause de Thaïs. Jamais. J'ai souffert avec elle. Beaucoup. Beaucoup trop. Tout le temps. Mais toujours ensemble.
"Je suis là". Elle aurait pu ne rien dire. Se tenir là en silence, et laisser sa présence me parler. Elle était là. Vraiment là. À mes côtés. Elle n'était pas seulement une infirmière de garde, mais une femme qui compatissait à la douleur d'une autre femme.
On interroge des personnes sur ce qu'elles feraient si on leur apprenait qu'elles vivent leur dernière journée. Tous les adultes conçoivent de grands projets, prévoient des repas gargantuesques, essaient de réaliser un maximum de rêves en un minimum de temps. On pose la même question à un petit garçon qui installe son train électrique. « Si tu savais que tu allais mourir ce soir, que ferais-tu de spécial aujourd'hui ?
− Rien, je continuerai à jouer. »
La consolation, c'est une relation, un coeur à coeur qui expose dans sa vulnérabilité autant celui qui peine que celui qui console.
Pourquoi est-ce que nous, adultes responsables, raisonnables, sages, avons-nous perdu cette belle simplicité? Nous nous empêtrons dans des faux-semblants, des non-dits, des tabous. Par pudeur, ou par peur, nous bannissons de notre vocabulaire des termes comme "mort". Ce mot devient imprononçable et inaudible. Pourtant c'est une réalité imparable. Gaspard me l'a rappelé avec beaucoup de naturel. J'ai voulu épargner mon petit garçon en tournant autour des mots; je l'ai troublé. Il n'avait pas besoin que je le protège, il voulait que je le console. Ce ne sont pas les mots qui blessent, c'est la manière de les dire.
Garder la tête froide et le coeur chaud, voilà tout l'enjeu de l'attitude des soignants envers leur patient. La tête froide pour optimiser leurs compétences médicales, le coeur chaud pour garder leur humanité, en toutes circonstances.
Les enfants ont cette faculté de rebondir après les larmes. Parce qu'ils ne se projettent pas dans l'avenir; ils vivent pleinement l'instant présent.
Le deuil (...) c'est une souffrance avec laquelle on apprend petit à petit à vivre.
Le deuil, comme toute épreuve, ne se réussit ni ne se soigne. Il se vit.
Et vivre la peine, c'est la seule façon d'être aussi capable de vivre la joie.
Je n’imaginais pas qu’il y avait autant de personnes seules et mal en point autour de moi. C’est ça qui est dommage en France, on vit les uns à côté des autres sans se connaître, commente-t-elle en essuyant sa tasse. Les personnes âgées n’ont pas leur famille au quotidien. Ça ne se passerait pas comme ça au Sénégal, c’est sûr. On enverrait un cousin, un neveu, une fille habiter avec les plus vieux pour s’en occuper. C’est tellement important, la compagnie.
Aucun capitaine ne choisit la tempête, mais il choisit ce qu’il va en faire. Chacun est le capitaine de sa vie
La fragilité, c’est devoir s’adapter,
c’est devoir se laisser bousculer.
La force d'une lionne dans le corps d'une libellule gracile. Voilà ce que je vois en veillant Thaïs étendue sur son lit, blême, maigre, à bout de souffle. Mais accrochée à la vie. Et décidée à se battre.
On ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux.
(Le Petit Prince)
Il a peut-être tort mais il ne se sent plus en sécurité nulle part. Il doute, de tout. De la loyauté du médecin et de son équipe. De la clémence du tribunal. Du pays de la Déclaration des droits de l’homme. Il a soudain l’impression de tomber dans un traquenard.
« T’es triste, tata Rosie ?
- Nostalgique, plutôt.
- C’est quoi, nostalgique ?
- La nostalgie, c’est l’amour qui reste. »
Quand on croit ne plus pouvoir rien faire, il reste encore l'amour.