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Citations de Antoine Brea (17)


l y a aussi celui qui voit en rêve des anges à table qui lui tendent un plateau de fromages. Celui-là doit prendre garde. Un choureur pourrait tenter de rentrer chez lui. Celui-là devrait s’efforcer de conjurer le sort. La science des rêves lui conseille de coucher avec une arme sous l’oreiller. La science des rêves lui conseille de garder la nuit près de l’oreille comme un couteau El Baraka orné d’une croix d’Agadès comme on peut en acheter sur les marchés aux trucideurs de chèvres. Avec un tel talisman coupe-rasoir ça peut marcher. On soigne le couteau par le couteau.
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On raconte que qui voit Dieu en fureur tomber d’un ciel élevé ne passera pas la nuit. Qui voit Dieu sur un mur ou sur une montagne se trompe d’animal. La fureur est forcément tournée contre lui. Cela Dieu l’a écrit dans le Livre des Colères. Qui prend Dieu pour un rapace perché sur une potence il lui reste peu de temps. Il mourra pâle et amaigri. Dieu déteste que l’on s’abuse sur Ses natures divine ou bestiale. Qui prend Dieu pour un charognard effondré du ciel qui s’effrite au sol s’expose à la fureur de Dieu. Cela indique qu’il sera mutilé. Cela indique l’apparition de maladies dans l’endroit où il passe. Dieu est une bête du ciel a cou abîmé mais coriace. Qui ne se laisse pas tuer. C’est une bête au cou coulé de sang comme un fromage. Qui rend colère pour colère. Nuit pour nuit. Hurlement pour hurlement.
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Il y a le rêveur il y a le rêve et il y a ces bêtes qu’il doit nourrir et caresser. Le rêve est plein de bêtes dont il faut prendre soin. En rêve cinq bêtes seulement sont immorales. Évite les corbeaux-mâles les scorpions-à-deux-pointes les couleuvres-faux-corail les chevals-cornus et les chiens-en-nage. Ne rêve pas à ces bêtes. Ne donne pas à ces bêtes le rêve en pâture. N’interprète pas les rêves secoués de reniflements de telles bêtes. En rêve le rêveur est puissant mais il est affaibli. En rêve le rêveur tremble comme un main. En rêve on peut mourir si l’on surprend les bêtes que j’ai dites accrochées aux rideaux. Bêtes qui feraient voir le dessin du Visage de Dieu.
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Ce que nous dit le ciel. Ce qui nous purifie. Ce que nous dit la suie. Ce qui nous purifie. Ce que nous dit la sueur. Ce qui nous purifie. Ce que nous dit la peur. Ce qui nous terrifie. Ce que nous dit le feu. Ce qui nous purifie. Ce que nous dit le fiel. Ce qui nous magnifie. Ce que nous dit le buis. Ce qui nous purifie. Ce que nous dit la buée. Ce qui nous purifie. Ce que nous dit le sort. Ce qui nous pétrifie. Ce que nous dit la mort. Ce qui nous purifie. Ce que nous dit la nuit. Ce qui nous purifie. Ce que nous dit le rêve.
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C'était encore trop tôt pour être épris de toi directement, et il fallait que je susse d'abord ce que tu valais au quotidien : supporterais-je de bon matin au réveil ta viande en chemise de nuit et tes pieds nus, obscènes, enchaussonnés d'immonde ; tes simagrées d'étrangère à table le midi parlant ta langue exprès pour m'apprendre et me faire sentir seul ; l'odeur crépusculaire le soir avant de dormir derrière tes passages barbouillés aux toilettes ?
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Dans la série des événements récents, je veux t’apprendre d’abord la mort de maman, enfin. Son agonie aura été longue et dégoûtante. Vraiment, je ne suis pas fâché que c’en soit terminé. Ainsi soit-il. Tu seras heureux de savoir en tout cas que, peu avant sa mort, unissant nos efforts, nous avions fini par obtenir ce en quoi tu plaçais tant d’espérances : l’audience auprès du chef de service en charge de ton dossier. Nous avons pu transmettre ainsi la liste de tes réclamations et recueillir les renseignements les plus spécifiques à ton sujet.
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Le voyage en train Intercités vers la maison centrale de Clairvaux a été pénible. En ce début de mai il faisait déjà chaud et le soleil donnait en plein contre la vitre jouxtant mon fauteuil. Je transpirais au fond de mon costume. Je m’étais levé tôt, je sommeillais, mais à la gare de Romilly un confrère est monté qui a pris place en face de moi. Nous nous étions reconnus à nos dossiers sortis, et j’ai été contraint de soutenir la conversation quant aux avantages comparés d’être inscrit à Paris ou au barreau de Troyes. À peine étais-je débarrassé du gêneur qu’une compagnie d’élèves gendarmes a envahi la voiture et occupé très bruyamment l’espace. J’ai renoncé à me reposer. De toute façon, il faut le reconnaître, j’étais dans un état de grande nervosité. J’allais entrer pour la première fois en prison et me tenir en présence d’un assassin. L’idée m’impressionnait et dans le même temps me plaisait. « Une maison centrale reçoit les condamnés les plus difficiles. Leur régime de détention est essentiellement basé sur la sécurité », avertissait le site Internet du ministère de la Justice où j’avais été prendre l’adresse de Clairvaux. Y repensant, j’ai été traversé d’un frisson. J’ai ressenti une contraction brusque des muscles de mon visage. L’impression que partout autour on me scrutait. Je me suis enfoncé des boules Quies au creux des oreilles et repenché sur mon dossier.
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Je souffre d’une invalidante pathologie mentale. Des attaques de panique irrépressible dont la prise de repas ou de boissons en commun forme le terrain privilégié. On parle, dans ce que j’ai lu, de phobie sociale. Cela m’est venu après mon retour du Proche-Orient, lorsque j’ai commencé de travailler. Je demande pardon au lecteur de cette nouvelle inflation du récit et de livrer des détails aussi effrayants de mon intimité, mais il aura déjà conçu de toute façon que tout à l’heure j’ai pu mentir et que dans ces pages, autant que d’un certain dossier judiciaire, il serait question, pour citer Corneille, de l’ « étrange monstre » que je suis. Je n’ignore rien du caractère déraisonnable et même absurde des terreurs spécifiques que provoque ma maladie. Et je n’ignore pas davantage de quel marécage intérieur pareille perturbation remonte chargée de toutes les guerres que la sexualité a faites à un enfant. J’en perçois aussi les contours éventuellement sociologiques, sinon politiques : la dimension « sociale » du trouble émergé au coeur de l’adolescent blessé par sa condition, de l’homme sorti de celle-ci mais retenu à elle encore et écrasé par les usages, les codes, les rites et le langage propres à son nouveau rang. Mais l’intuition née du travail d’introspection ni la connaissance livresque de ces choses n’empêchent rien. Si les conditions sont présentes, le mal tourbillonne dans mes pensées, dont il opacifie la lucidité, aussi sûrement qu’autour du sucre un vol de guêpes qu’il serait drôle de raisonner.
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Je n’étais pas le défenseur d’Ahmet A. aux assises. En 1996, je suivais les cours de deuxième année à la faculté de droit. Les éléments de l’affaire portés à ma connaissance étaient dans le dossier qui plus tard m’a été remis. Au moment de mon intervention, en incluant la détention provisoire, Ahmet A. entrait dans sa seizième année de prison. La peine avait été purgée pour l’essentiel à la maison centrale de Clairvaux. J’étais jeune avocat, tout juste inscrit au barreau. « Jeune » n’est pas le mot : j’avais déjà trente-trois ou trente-quatre ans et connu d’autres métiers, d’autres occupations. Je passe sur le temps, fort long dans mon cas, des études. Après ma thèse en droit international, j’avais voyagé de nombreux mois, appris des rudiments de langues, les choses étaient moins compliquées alors, avoir sur son passeport, ses relevés de banque ou de téléphone les traces d’un séjour prolongé en Asie Mineure, en Syrie, en Jordanie ne vous rendait pas comptable au retour de vos déplacements auprès des « services » français. En revenant, j’avais cherché et trouvé du travail. À compter de 2005, j’avais occupé des fonctions de rapporteur à la Commission des recours des réfugiés, juridiction d’appel spécialisée en charge du contentieux de l’asile. J’étais agent contractuel en poste pour un an. J’instruisais les recours et j’établissais des rapports où je proposais que l’asile soit accordé ou non à des étrangers (des Turcs très souvent, militants d’extrême gauche ou partisans de la cause kurde) dont la demande de protection à la France avait été rejetée en premier ressort par l’administration. Je présentais ces rapports à l’audience devant des formations de trois juges, vieillards désoccupés et endormis qui sur la base de mes conclusions rendaient des conclusions habituellement conformes. À l’échéance, mon contrat n’aurait pas été renouvelé. La Commission s’était adjoint pour une durée restreinte le surcroît de personnel nécessaire à l’examen de dizaines de milliers de dossiers en attente ; et il faut croire que le recrutement massif, mais à temps, de rapporteurs ainsi que d’interprètes, de secrétaires, de greffiers, d’agents de tous ordres avait suffi pour présenter des chiffres satisfaisants au gouvernement qui les exigeait. Je ferme cette parenthèse fastidieuse, mais la suite de mon récit imposait que soit dit quelque chose de la Commission des recours des réfugiés.
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Louis, Ferdinand, Auguste Destouches né le 27 mai 1894 à Courbevoie, fut un maître en syntaxe
Il a été aussi médecin-policier d’entreprise
Dès petit, sa mère remarque qu’il parle en imparfait du subjonctif
Ce défaut d’élocution ne le quittera plus jusqu’à imprégner ses merveilleux livres
Cela en fait l’un des plus grands écrivains absurdes du XXe siècle, aux côtés de Marcel Proust
Grâce aux efforts, il apprend toutefois à parler en argot normal, ce qui permet qu’on le comprenne
Sa pensée déprimée, cafardeuse, se teinte d’accents héroï-comiques dont le trait le plus signalé est l’engagement collaborationniste
Après une jeunesse de cuirassier à Meudon, il arrive en Afrique où la vie est si dure, mais Destouches se résigne mieux qu’un autre
De retour, on ne sait plus bien ce qu’il fait, il est malade, il attrape l’antisémitisme
Il se choisit un nom – Céline – qui est un nom de bonne femme
Bien vite, il est inquiété par les autorités pour ses écrits qui entament la santé du public, et c’est pour trouver l’antidote qu’il se fait médecin
À la suite du Voyage, ses parents déménagent en raison des plaintes de lecteurs qui défuntent – Céline y fait allusion dans Mort à Meudon et dans D’une maison l’autre
Il se fait dorénavant appeler le docteur L.-F. Destouches, ou parfois le chevalier Destouches, car Céline sous des airs de gravité a le rire chaotique
De nombreux juifs ou persécutés témoigneront après la guerre de son humour devant la Haute Cour
Sous l’Occupation, les problèmes de santé de Céline s’aggravent, il devient mentalement allemand, apparemment des suites d’une artériosclérose cérébrale
Il écrit Voyage au bout de l’antisémitisme, qui lui vaudra de minces années de prison (il en tirera son fameux Voyage au bout du ballon à la Libération)
Son enfance au passage Choiseul (aujourd’hui chaussée du Voyage) lui inspire Voyage au bout des petits emplois, où il affirma avoir souffert d’une instruction sommaire auprès de déchus de l’existence tous tarés physiquement qui l’ont aimanté au désastre
Rien n’est vrai chez Céline, il romance tous ses romans, y combinant la langue écrite avec la langue physique
Le mythe célinien le plus tenace tient à sa blessure au cœur qu’il prétend avoir contractée auprès d’une danseuse américaine (en fait un coup de mitrailleuse durant la Première Guerre)
Le 1er juillet 1961, il atteint enfin le bout du voyage, il entre au royaume des morts et y prononce un discours intitulé : « J’arrive de l’existence et j’ai quelques récriminations à vous faire »
Il est enseveli dans une fosse au cimetière des Bons-Médecins
Laissant veuve Lucette Almanzor qui déclare : C’est très bien, c’est l’intérêt populaire
Charles Bukowski de son côté déclare : Il a assez fait chier le monde
Et Gustav Rasmussen : Ce médecin était surtout un grand malade
Mort, Céline n’a jamais été aussi vivant : il écrit encore plusieurs livres posthumes – ainsi Rigodon, Bagatelles pour un Voyage ou encore Mort aux Cadavres
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Knud Pedersen, plus connu sous le nom militaire de Knut Hamsun.
Après plusieurs tentatives romanesques décevantes, il entreprend un travail semi-autobiographique décrivant
La faim
La critique a interprété le livre comme infusant une vie nouvelle dans les veines délabrées du naturalisme
Or le protagoniste n’est en aucune manière un déclassé qui ne parviendrait pas à s’alimenter
La faim, le héros de La Faim la provoque, l’entretient, y pourvoit
Hamsun la qualifie de plan de guerre contre l’humanité qu’on traîne par devers soi
Marquant ainsi un intérêt croissant pour la psychologie et la folie
Suivent les mois sombres dont ont parlé bien des journaux, où il trace quelques chapitres de Benoni et un récit de vie glacial en Norvège
1945, la bête Hamsun est repoussée par tous
Pleurant la mort d’Adolf Hitler
Évitant un procès mais on l’interne
Hamsun ballotté d’hospice en hospice
Une existence inquiète, gênante, en sourdine
Il n’écrit plus une ligne, et lorsque des journalistes le retrouvent et l’interrogent, les médecins demandent qu’on le laisse
Si dehors il fait beau, les infirmières lui sourient, soutiennent son bras, échancrent leur corsage
Mais il fuit le soleil, car ses cheveux trop rapidement flamboient
Parfois la visite d’un officiel ou d’un notaire pour des raisons de droits, de curatelle – il tend ici un pan de robe de chambre pour qu’on lui baise, mais ce geste de vieux Nobel n’est plus compris
La démence, cet ennemi si ancien, presque hébreu, des écrivains, ressasse-t-il en déglutissant un médicament
Il termine vite sa vie, ce qui prouve qu’il n’est pas fou
Quand un indélicat évoque le parti Nasjonal Samling, il rit absurdement et fait la bête
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L’écrivain visionnaire William Seward Burroughs naît pour la première fois en 1914 dans le pays qu’on appelle Missouri
Fréquemment, il meurt, mais il se réveille grâce aux progrès que les hommes ont fait faire à Dieu en inventant la médecine
Il accumule les projets de romans ou poèmes dont la structure est toujours un peu celle d’une balle qui ressort du crâne écarlate
À Paris, rue Gît-le-Cœur, il réalise la transsubstantiation en compagnie d’Allen Ginsberg et Brion Gysin et aussi Kerouac
Il voyage au Mexique où, au cours d’un jeu d’adresse, il endort sa femme d’un coup de Colt en travers de la nuque
Et prouve qu’avec de l’entraînement, même Guillaume Tell eût certainement fini par ne plus rater la tête sous la pomme
En dernières noces il épouse le docteur John Dent, auprès duquel il achève sa mort avant de devenir un ange
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Bref, Jimmy m’expliquait à moi qui ne suis personne que c’était terminé, que ça suffisait, qu’il en avait soupé de ces salades, qu’il exigeait réparation. Il était prêt à payer mais il lui fallait trouver sans délai un escadron de la mort, un particulier pour se charger de l’holocauste, pour le débarrasser de la Veuve, du fils, et tant qu’à faire du grand-père avec. Jimmy insistait bien : ça devait se régler soigné et nickel-chrome dans un bain de sang ; après quoi on jetterait les cadavres dans la rivière avec une livre de ciment autour du cou et on discuterait d’autre chose. Jimmy disait qu’il serait reconnaissant, redevable, qu’il ne le regretterait pas celui qui s’en occuperait ; Jimmy avait de l’honneur à revendre, de l’estime, et quelques économies. J’avais été touché par Jimmy, toutes ses douleurs, je dois bien admettre. J’avais répondu que je devais réfléchir, voir si je connaissais quelqu’un susceptible. En y repensant, je ne sais plus si Jimmy m’avait vraiment demandé de piquer mon couteau de boucher dans la gorge de son grand-père, de faire du bel œuvre, de le travailler au fer à l’ancienne et maquiller la chose en crime sexuel. Ça m’avait semblé naturel, il fallait lire entre les lignes. En y repensant, je crois bien avoir convenu avec lui d’une date, d’un prix, d’une méthode. J’avais contracté l’engagement, on s’était tailladés les veines et frappés dans les mains.
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Avec toi les choses étaient simples, la réalité moins épaisse, j’avais bien assimilé le sens de tes mots, tes phrases, tout était cohérent et logique : c’en était fait de nous, je m’efforçais de me faire une raison, je pratiquais le suicide avec assiduité, je creusais pour rentrer sous la terre, en plus tu m’insultais. J’allais sous la terre et bien sûr toi tu marchais dans le soleil. Tu disais que l’on était des grands maintenant, plus des enfants ; tu insistais pour que l’on demeurât proches tous les deux, que l’on fût de nouveau simplement, magnifiquement, des amis. Tu le voulais à toute force, la situation était claire, assez peu dialectique, tu étais non amoureuse de moi, d’après moi étrangement folle à lier. Je m’attachais de mon côté à perfectionner mon rôle d’objet vaincu, dépouillé, de nu-vivant, de théâtre des batailles par après déserté.
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On se débrouillait comme on pouvait, on cherchait des expédients : normalement elle cédait et je finissais par réussir à la violer debout dans la cabine de douche. Une fois que j’avais terminé, elle m’arrosait d’un jet précis du pommeau et le sang courait s’évanouissait dans le trou d’évacuation. J’attendais qu’elle fût partie et je respirais dégueulais tout ce que je pouvais ses culottes tachées les odeurs fades ; je tâchais de me remettre frappé d’une commotion je m’asseyais sali sur le carrelage qui me rappelait l’hôpital, les murs hébétés, les corps, l’aile des fous dangereux pour eux-mêmes, la dérision des êtres qui marchent et pensent avec la liberté d’une tête coupée. J’avais pitié de cette petite fille électrocutée qui brûlait des cierges et grimpait aux rideaux ; cette belle noire élevée dans un sertão et que je connaissais à peine ou vaguement. La fille était à moi, rien qu »à moi : en matière de meubles la possession vaut titre. Je réclamais-revendiquais cette propriété active de tout son être, une manière de créance sur le temps. Pour moi elle consentait à n’être que chair inerte aux yeux pâles modelée à ma convenance, dont je faisais plier les épaules sous mon poing et elle tendait les reins. Avec la fille c’était que du plaisir, que de l’être, directement de l’être, de l’être en barre malgré les risques d’infection. La fille était impure et je faisais des efforts inhumains pour ne pas la lapider à coups de pierres. La fille était la Croix au pied de laquelle Judas j’étais coupable et me masturbais. J’étais vigoureux, plein de santé, juste quelques nécroses. J’étais bien avec cette inconnue cette folle de moi qui pour presque rien permettait presque tout. Je ne pouvais plus l’encadrer et j’eusse aimé en avoir dix comme elle qui eussent dansé le cul à l’air dans mon salon. La fille était payée, cherchait à m’abattre m’émasculer attenter à ma peau, elle se mourait bruyamment de ses secrètes passions pour moi. Elle était couchée contre mon flanc sur le canapé, elle était morte et pleurait doucement parce que sa mère et ses pays lui manquaient. Elle me suppliait de dire si oui ou non il fallait qu’elle se maintînt auprès de moi à mes pieds, si je ressentais quelque chose de pur pour elle, si elle devait tout abandonner pour vivre loin des siens dans mon ombre. J’avais de l’affection pour cette pauvre fille éternellement vierge, ses hésitations nauséeuses de jeune réglée, sa viande froide qui commençait de sentir. Je détestais cette putain asservie qui gisait là me posant des questions amorties, me faisait suer, sortir de mes gonds, me manipulait, m’enterrait humilié sous des tombereaux de bonne volonté ; je lui en voulais de faire de moi un être abject, immonde, psychotique, incapable de reconnaître le désir quand il se présentait. Je pleurais à chaudes larmes comme le sale gosse suicidaire que je n’avais jamais été. La fille a cru devoir rester. Vraiment je ne savais pas. Ensuite j’ai oublié.
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Tu étais partie vite et j’avais fait exprès de ne pas me retourner. Je m’étais retourné ; ce n’est pas vrai que j’avais tellement froid d’un froid à ouvrir les murs. Je m’étais tourné mais trop tard et je n’avais pas pu te voir mourir avec l’hiver au coin de la rue. J’étais bien, je pensais à ton manteau mais tu étais déjà loin partie regagner ton logis où t’attendait l’autre qu’on retrouverait demain mort assassiné je ne savais pas encore exactement où. J’avais commandé un grec et pris mon train ; avant cela je t’avais dit qu’on se verrait après les fêtes parce que tu repartais dans ton pays les passer avec tes parents qui enterraient justement ta sœur ou Dieu sait quel membre obscur de ton intarissable vieille famille franquiste. J’étais rentré à la maison me raser pour me faire beau pour les fêtes, pour toi après les fêtes. En me rasant, par mégarde, j’avais manqué de peu de me taillader les veines des poignets.
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Tu ne voulais pas d’enfant avec moi, aucun doute là-dessus, tu t’étais remise avec l’autre, tu étais parfaite. Tu m’avais interrogé au sujet de ton nouveau manteau acheté dernièrement dans une braderie : est-ce que je le trouvais beau ? Je trouvais étrange et difficile cette énigme à propos de ton vieux manteau tout neuf ; n’était-ce pas là un moyen féminin et étudié de m’enseigner que tu m’aimais ? J’avais du mal à me faire une idée précise, occupé que j’étais à mûrir l’assassinat de l’autre que tu avais repris. J’avais répondu oui très bien après m’être vaguement moqué de ses allures de peignoir en solde. Tu m’avais traité de connard en riant et tu paraissais contente de nous. Ta main à ce moment-là avait frôlé la mienne et je pensais que j’opterais probablement pour un coup de couteau dans la panse sous le porche de son immeuble.
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