Antonio R. Damasio

Il était bel et bien content. Sa frugalité n’était pas un stratagème. Il ne se posait pas en exemple de sacrifice pour la postérité. Sa vie et sa philosophie en étaient bel et bien venues à fusionner au bel âge de 35 ans

Le mécanisme essentiel des émotions dans un cerveau normal est assez similaire entre les individus, ce qui est un bienfait car cela procure à l'humanité, au sein de cultures diverses, un fonds commun de préférences fondamentales en matière de douleur et de plaisir.

Si nous avons notre corps en esprit, c'est parce que cela nous aide à gouverner le comportement en toutes sortes de situations qui pourraient mettre en danger l'intégrité de notre organisme et compromettre notre vie.

[Les] neurones miroirs sont en effet le dispositif parfait de "corps comme si". Le réseau dans lequel ils sont pris réalise le système de "boucle corporelle du comme si" dont j'ai formé l'hypothèse : la simulation, dans les cartes corporelles du cerveau, d'un état du corps qui n'a pas réellement lieu dans l'organisme. Le fait que l'état du corps que les neurones miroirs simulent ne soit pas celui du sujet amplifie le pouvoir de cette ressemblance fonctionnelle. Si un cerveau complexe peut simuler l'état du corps de quelqu'un d'autre, on peut supposer qu'il est capable de d'abord simuler celui de son propre corps.

Pour le dire sans ambages, la valeur par excellence pour les organismes tout entiers consiste à survivre en bonne santé jusqu'à un âge compatible avec la procréation.

Un corps se définit par une peau. La cellule en a une, qui sert de frontière entre les mondes intérieur et extérieur ; on l'appelle membrane cellulaire.

... le soi est le seul moyen naturel dont nous disposons pour connaître l'esprit ...

Il me semble que la chute libre qu'est la vie des addicts commence par suite des distorsions créées dans le sentiment et des handicaps de décision qui s'ensuivent, bien que les indispositions physiques produites par la prise chronique de drogues causent d'autres maladies et souvent la mort.

... l'idée selon laquelle les émotions sont intrinsèquement rationnelles remonte à il y a longtemps. Aristote comme Spinoza pensaient que certaines émotions, au moins quand il le fallait, étaient rationnelles.

... la sagesse populaire a depuis longtemps remarqué le lien qui existe entre cette opération et le corps. Les intuitions qui sont souvent ce qu'on appelle le coeur - comme dans la formule : "Je sais au fond de mon coeur que c'est ce qu'il faut faire." Le mot portugais pour désigner l'intuition est d'ailleurs palpite, qui est très voisin de "palpitation", forme d'accélération des battements de coeur.

Un sentiment au ventre peut vous suggérer d'éviter un choix qui, dans le passé, a eu des conséquences négatives et ce, sans que vous ayez besoin que votre raisonnement vous dise précisément : "A éviter." Le signal émotionnel peut aussi produire le contraire d'un signal d'alarme et dicter de passer vite à une certaine option parce que, dans l'histoire du système, elle a été associée à un résultat positif. En bref, le signal marque les options et les résultats d'un indice positif ou négatif qui réduit l'espace de prise de décision et augmente la probabilité pour que l'action se conforme à l'expérience passée. Parce que les signaux sont reliés au corps, j'appelle ces idées "hypothèse du marqueur somatique".

La joie et la tristesse, ainsi que d'autres sentiments, sont des idées du corps qui s'efforce de manoeuvrer pour atteindre des états de survie optimale. La joie et la tristesse sont des révélations mentales de l'état du processus vital, sauf lorsque des drogues ou une dépression portent atteinte à la fidélité de cette révélation (bien qu'on puisse soutenir que le mal-être révélé par la dépression est après tout fidèle à l'état réellement vécu).

Conformément à ce que dit Spinoza de la tristitia, les cartes de la tristesse sont associées à la transition de l'organisme vers un état de moindre perfection. Le pouvoir et la liberté d'agir se trouvent diminués.

Certaines des cartes "sous drogue" peuvent refléter une amélioration transitoire des fonctions de l'organisme. Au bout du compte, cependant, l'amélioration s'avère intenable en termes biologiques et elle prélude à une dégradation fonctionnelle.

... chaque partie élémentaire de notre organisme, chaque cellule de notre corps n'est pas seulement animée ; elle est vivante. Plus frappant encore, chaque cellule st un organisme vivant individuel - une créature individuelle ayant une date de naissance, un cycle de vie et une date de mort. Chaque cellule est une créature qui doit veiller à sa vie et dont l'existence dépend des instructions données par son génome et des circonstances de son environnement. Les procédés de régulation vitale innée que j'ai discutés précédemment à propos des humains sont présents en bas de l'échelle biologique dans chaque système de notre organisme, dans chaque organe, dans chaque tissu, dans chaque cellule. Le bon candidat au titre de "particule" élémentaire essentielle pour notre organisme vivant est une cellule vivante, pas un atome.

Il n'est pas tout à fait juste de dire, comme c'est souvent le cas, que la transmission neurale qui a lieu dans le tronc cérébral et l'hypothalamus n'est jamais consciente. Je crois au contraire qu'une partie en est rendue consciente sous une forme particulière et que c'est précisément ce qui constitue nos sentiments d'arrière-plan. Il est vrai que les sentiments d'arrière-plan peuvent apparaître sans qu'on y fasse attention, mais on y fait attention assez souvent. Pensez-y la prochaine fois que vous serez cloué par un rhume ou, encore mieux, que vous vous sentirez au septième ciel et le plus heureux des hommes.

Quand nous parlons de "sentir" une certaine note de musique, nous nous référons en fait au sentiment affectif qui accompagne la vision de cette nuance de bleu ou l'écoute du son de cette note, quelque subtile que puisse être la perturbation esthétique en jeu.

Les sentiments sont peut-être aussi mentaux que n'importe quelle autre perception, mais les objets encartés sont des parties et des états de l'organisme vivant dans lequel apparaît le sentiment.

... le sentiment de tristesse ne porte pas sur une maladie du corps ou sur un manque d'énergie pour continuer à vivre. Il renvoie souvent à un mode inefficace de pensée suscitant un nombre limité d'idées de perte.

... nous n'avons pas d'"expérience" de notre niveau sanguin de glucose lorsqu'il descend en dessous d'un certain seuil, mais nous faisons rapidement l'expérience des conséquences de cette dimension à travers la façon dont d'autres systèmes opèrent (la musculature, par exemple) et dont certains comportements s'engagent (la faim par exemple).