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Citations de Azar Nafisi (95)


Les seuls moments où elles s'ouvraient et s'animaient vraiment étaient ceux de nos discussions autour des livres. Les romans nous permettaient d'échapper à la réalité parce que nous pouvions admirer leur beauté, leur perfection, et oublier nos histoires de doyens, d'université et de milice qui arpentait les rues. (…)
Les romans dans lesquels nous nous évadions nous conduisirent finalement à remettre en question et à sonder ce que nous étions réellement, ce que nous étions si désespérément incapables d'exprimer. (p. 64-65)
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« Vivre dans la République islamique, c'est comme coucher avec un homme qui te dégoûte », ai-je dit à Bijan ce soir-là après le séminaire. Il m'avait trouvée en rentrant assise au salon dans mon fauteuil habituel, le dossier de Nassrin sur les genoux, ceux des autres éparpillés sur la table à côté d'un bol de glace au café en train de fondre. Il s'assit en face de moi et me dit : « Tu ne peux pas laisser cette phrase flotter comme ça dans l'air. Explique-toi clairement.
- Eh bien voilà : si tu es obligé de coucher avec quelqu'un qui te déplaît, tu fais le vide dans ta tête, tu prétends que tu es quelqu'un d'autre, tu veux oublier ton corps, tu le hais. C'est ce que nous faisons ici. Nous prétendons tout le temps être ailleurs, nous en rêvons, nous nous y préparons. Ça fait des heures que je réfléchis à ça. Je n'ai pas arrêté depuis que mes étudiantes sont parties. »
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Cela me rappelle ce que disait Nabokov, les "lecteurs sont nés libres et devraient le rester". Nous avons appris à protester lorsque des écrivains sont emprisonnés, ou leurs livres censurés et interdits. Mais qu'en est-il des lecteurs ? Qui nous protégera ? Et qu'arrivera-t-il si un écrivain publie un livre et qu'il n'y a plus personne pour le lire ?
"Jusqu'au jour où j'ai eu peur de ne plus pouvoir le faire, je n'ai jamais aimé lire. On n'aime pas respirer." Ainsi parle Scout dans -Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur-, exprimant ce que ressentent des millions de gens. Nous devons lire de grands livres subversifs, les nôtres et ceux des autres. Ce droit ne peut être garanti que par une active participation de chacun d'entre nous, lecteurs citoyens. (p. 49)
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A l'époque je n'avais pas la moindre idée de ce qui m'attirait dans l'histoire du -Petit Prince-, je ne savais pas qu'elle m'apprenait à acquérir ce qui est l'essentiel des grandes œuvres d'imagination : ce battement magique du cœur qui nous définit en tant qu'êtres humains, qui nous relie les uns aux autres, qui nous donne une raison de vivre, un moyen de survivre, ainsi que la capacité de comprendre non seulement la valeur du bonheur et de l'amour, mais leur étroite parenté avec la souffrance et la perte, la capacité de comprendre le prix qu'il nous faut payer lorsque nous osons faire le choix d'une vie et d'un amour authentiques. (p. 16)
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Les histoires perdurent- elles nous accompagnent depuis la nuit des
temps- mais elles doivent être régénérées et de nouveau racontées à
chaque génération à travers le regard et les expériences de nouveaux
lecteurs qui partagent un espace commun sans frontières politiques
ni religieuses, ethniques ni genrées-Une République de l'imagination,
la plus démocratique de toutes. (p. 69)
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Plus que n'importe laquelle de mes étudiantes, Mahshid, me disais-je, pose sur la religion des questions vraiment inquiétantes. Dans ce qu'elle écrivait pour le séminaire, avec une rage aussi contenue que son sourire, elle avait passé en revue les plus petits détails de la vie sous la loi islamique. Plus tard, elle y noterait : " Yassi et moi savons que nous sommes en train de perdre notre foi. Nous la remettons en question par chacun de nos gestes. Sous le chah, c'était différent. J'avais l'impression de faire partie d'une minorité et de devoir continuer de croire, quoi qu'il arrive. Maintenant que ma religion est au pouvoir, je me sens encore plus impuissante qu'avant, et plus aliénée. " Elle racontait comment on lui avait dit depuis toujours que la vie en terre infidèle était un pur enfer. On lui avait promis que tout allait changer quand une juste loi islamique serait instaurée. Mais quelle loi islamique ? Ce carnaval hypocrite et honteux ? Elle parlait des hommes qui à son travail ne la regardaient jamais dans les yeux, des filles de six ans obligées de porter un foulard pour aller au cinéma et qui n'avaient pas le droit de jouer avec les garçons de leur âge. Elle-même portait le voile, et c'était pourtant une véritable douleur qu'on l'y oblige. Elle n'y voyait plus qu'un masque derrière lequel les femmes étaient forcées de se cacher. Elle parlait de tout cela avec une froideur et une rage terrible, terminant chaque phrase par un point d'interrogation.
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Pendant les premiers raids aériens, les bombardements touchèrent une maison d'un quartier chic. Le bruit courut que la guérilla antigouvernementale en avait occupé les sous-sols. Pour apaiser la population affolée, Hāchemi Rafsandjani, alors porte-parole du Parlement, annonça lors de la prière du vendredi que l'attaque n'avait pas fait de véritables dégâts, car les seuls victimes étaient « des gens riches, arrogants et subversifs » qui auraient de toute façon probablement été exécutés un jour ou l'autre. Et il profita de cette occasion pour recommander aux femmes de s'habiller de tenues correctes pour dormir afin de ne pas être « indécemment exposées aux regards d'étrangers » si leur maison devait être touchée.
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Je pense à mes étudiantes. Elles avaient beau venir de milieux différents et avoir des croyances diverses, elles affrontaient les mêmes dilemmes, tous provoqués par la confiscation de leurs aspirations les plus personnelles et des instants les plus intimes de leur vie . Le conflit reposait au cœur du paradoxe crée par la loi islamique. Maintenant que les mollahs gouvernaient notre pays, la religion était devenue un instrument de pouvoir, une idéologie.
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Quand mes étudiantes entraient dans cette pièce, elles n'enlevaient pas
seulement leurs foulards et leurs robes. Petit à petit, chacune se
dessinait, reprenait forme, retrouvait son inimitable personnalité. Le
monde que nous avons construit dans ce salon, avec les monts Elburz
qui se profilaient dans l'encadrement de la fenêtre, devint un sanctuaire,
un véritable univers qui narguait à lui seul la réalité des timides visages
encadrés de noir qu'on voyait dans les rues. (p. 19)
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Il y avait un aspect fondamental dans les différences qui existaient entre les femmes de mon âge et ces étudiantes, ou toutes les autres filles de leur génération. Nous nous plaignions d'une perte, du vide qui avait été crée dans nos vies quand on nous avait volé notre passé et fait de nous des exilées au sein de leur pays. Mais nous avions un passé à comparer avec le présent. Nous avions des souvenirs, des images de ce qui nous avait été pris. Ces jeunes femmes n'avaient rien. Leur mémoire était celle d'un désir qu'elles ne pouvaient exprimer, de quelque chose qu'elles n'avaient jamais eu. C'était ce manque, la faim qu'elles ressentaient pour ce qui faisait une vie normale, ordinaire, qui donnait à leurs textes la transparence lumineuse de la poésie.
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Quand, aux USA, nous scandions Mort à ci ou à ça, il s'agissait de morts symboliques, abstraites, et l'irréalisme de nos slogans nous encourageait à les crier plus fort. Mais à Téhéran, en 1979, les mots se transformaient en réalités avec une précision macabre. Je me sentais impuissante. Tous les rêves, toutes les exigences se réalisaient, et on ne pouvait leur échapper.
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En faisant de l'islam un instrument d'oppression, la révolution islamique lui avait plus porté tort qu'aucune puissance étrangère n'aurait jamais pu le faire.
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Une femme entre dans la maison de son époux en robe de mariée et elle en ressort dans son linceul
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Cette pièce devint pour nous un lieu de transgression. Le pays des merveilles. Installées autour de la grande table basse couverte de bouquets de fleurs, nous passions notre temps à entrer dans les romans que nous lisions et à en ressortir. Lorsque je regarde en arrière, je suis stupéfaite de tout ce que nous avons appris sans même nous en rendre compte. Nous allions, pour emprunter les mots de Nabokov, expérimenter la façon dont les cailloux de la vie ordinaire se transforment en pierres précieuses par la magie de la fiction. (p.22-23)
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Il m'arrivait de rentrer mes mains sous les manches presque inconsciemment et de toucher mes jambes, ou mon ventre. Est-ce qu'ils existent ? Et moi, est-ce que j'existe ? Ce ventre existe-t-il ? Cette jambe ? Ces mains ? Malheureusement, les gardiens de la révolution et de l'ordre moral ne voyaient pas le monde avec les mêmes yeux que moi. Ils voyaient des mains, un visage, du rouge à lèvres rose. Ils voyaient des mèches de cheveux et des chaussettes contraires au règlement là où il n'y avait pour moi qu'un être éthéré qui descendait la rue sans faire de bruit.
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Les joies et les chagrins des autres nous renvoient aux nôtres. Nous nous sentons en empathie avec eux en partie parce que nous nous demandons : Et moi ? Qu'est-ce que cela m'apprend sur ma vie, ma tristesse, mon angoisse ?
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J'en suis arrivée à croire que la vraie démocratie n'existe pas sans la liberté d'imagination et le droit d'utiliser ses œuvres en l'absence de toute restriction. Pour avoir une vie pleine, chacun devrait pouvoir façonner et exprimer ses mondes, ses rêves, ses idées et ses aspirations devant les autres, participer constamment à un dialogue qui s'établirait entre domaines public et privé. Comment savoir autrement que nous avons existé, ressenti, désiré, haï et craint ?
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Au bout de quelques mois de séminaire, nous avons découvert, mes étudiantes et moi, que nous avions fait pratiquement toutes au moins une fois, sous une forme ou une autre, un cauchemar au cours duquel nous avions oublié de mettre notre voile, ou n'avions pas voulu le mettre, et dans ce mauvais rêve, nous nous mettions toutes à courir, cherchant à fuir. Il y en avait une, peut-être moi, qui voulait courir, mais n'y arrivait pas. Elle était figée, enracinée devant sa porte. Elle ne pouvait pas se retourner, ouvrir et rentrer se cacher. Seule Nassrin échappait à ces angoisses nocturnes. " J'ai toujours eu peur d'être obligée de mentir. Vous savez, le Sois honnête envers toi-même, et tout le reste. Je croyais à ce genre de truc, nous a-t-elle dit en haussant les épaules. Mais j'ai fait des progrès ", a-t-elle ajouté après réflexion.
Plus tard, Nima nous a raconté que le fils d'une de ses amies, un enfant de dix ans, était venu un matin réveiller ses parents horrifiés en leur racontant qu'il avait eu un " rêve illégal ". Il était à la plage avec des hommes et des femmes qui s'embrassaient et il ne savait pas comment réagir. Et l'enfant répétait sans cesse " Je fais des rêves illégaux ".
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Est-ce ainsi que tout a commencé ? Était-ce ce jour-là, assis devant sa table à dévorer les sandwichs jambon-fromage interdits que nous avions pompeusement baptisés croque-monsieur ? Nous avons dû, à un moment donné, apercevoir chacun dans les yeux de l'autre la même expression de plaisir pur, sauvage, car nous avons éclaté de rire tous les deux en même temps. J'ai levé mon verre et je lui ai dit : " Qui aurait pensé qu'un repas aussi simple nous semblerait un jour un vrai festin de roi ?" Et il a répondu : " Remercions la République islamique de nous avoir permis de redécouvrir et même de convoiter toutes ces choses que nous trouvions normal de toujours avoir à notre portée. Manger un sandwich au jambon peut maintenant faire l'objet d'un travail de recherche. " J'ai dit : " Il y a tant de choses dont nous pouvons lui être reconnaissants ! " Et en ce jour mémorable, nous avons rédigé le début d'une longue liste de dettes que nous avions contractées envers la République islamique : nous réunir entre amis, manger des glaces, tomber amoureux, nous tenir par la main, mettre du rouge à lèvres, rire en public, et lire Lolita à Téhéran.
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J'avais commencé à faire des cauchemars et je me réveillais quelquefois en criant, la plupart du temps parce que j'avais l'impression que je ne pourrais plus jamais quitter ce pays. Il ne s'agissait pas que d'un fantasme. J'avais été à deux reprises refoulée de l'aéroport, et ramenée une fois sous bonne escorte au quartier général du Tribunal révolutionnaire. J'ai ainsi passé onze ans sans voyager, car même après avoir su que je pouvais y être autorisée, je n'arrivais plus à aller à l'office des passeports pour en demander un, ce qui n'était pourtant pas si difficile que ça. Je me sentais impuissante, paralysée.
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