Citations de Béatrix Beck (147)
- Justement il faut éviter de se perdre. Tu as l'air d'en dire trop peu parce que tu en dis trop. Par exemple, on se demande pourquoi l'assistante sociale vous avait envoyé les gendarmes.
- A moins d'être demeuré, on comprend bien que c'est Pa...
- Tais-toi, Noémie.
Je veux bien, mais pourquoi est-ce qu'il ne faut pas parler de ça dans un cahier de brouillons que je brûlerai quand j'aurai tout mis au propre ? Le mal est dans l'oeil de celui qui le voit.
Elle revient à la charge pour que je décrive la forêt, mais ça ferait deux forêts, une de trop. Il ne faut pas parler pour ne rien dire. La Décharge c'est différent, puisqu'elle n'existe plus, c'est un souvenir.
Dans notre chez nous on était bien, ça faisait caisse géante à nos mesures. Les gens disaient qu'on vivait comme des bêtes. Je trouve qu'on avait pas tort, j'aime les bêtes. Ils disaient aussi qu'on était des bohémiens. Ce n'est pas vrai. A cause des yeux noirs de Maman et Clotilde mais ça ne prouve rien. Est-ce qu'on leur a volé seulement un sou, une pomme ? On a bien trop peur des gendarmes. Maman n'était pas du village, elle venait de l'autre côté de la forêt, ici on aime pas les étrangers mais tant qu'on habitait Grande-Rue et que Papa avait ses deux bras, ils nous acceptaient.
Manière de parler, Marie n'était ni sainte, ni vierge, elle avait même trompé son futur, s'étant fait engrosser par un autre pendant les fiançailles. Joseph a été bien bon de s'envoyer un rêve, un ange disant que c'était par l'opération du saint esprit. Il aimait sûrement sa promise dur comme fer. Elle devait être drôlement jolie [...]. Je me demande avec qui Marie a fauté. Sûrement un qui n'avait pas froid aux yeux, pour prendre la promise d'un artisan. Peut-être qu'il l'a violée ? En tout cas, probable que c'était un beau salaud, pour l'avoir laissé tomber une fois enceinte. Il ne devait pas être du pays, il aura filé.
Abigaïl, chatte
Écureuil, loup, jeune fille, pousse des cris de rossignol
Mange cœur et foie sanglants
Au plus profond du lit, griffe le talon de la femme, hume la main
de l’homme
Boit le lait du nourrisson
Tue la souris Adélaïde la lance au septième ciel
Offre le cadeau le cadavre aux époux bien-aimés
S’endort justifiée, sa queue, sa traîne entre ses gants de fourrure
Tes amants, tes enfants morts ou vifs, tu ne t’en souviens plus
Muse quadrupède, égérie sur un arbre, ton regard mystique interroge Dieu et le boucher
On se moque beaucoup des écrivains qui se disent menés par leurs personnages mais ne l'est-on pas en partie, dans la mesure où ils sont la synthèse de nos souvenirs, de nos sentiments, des évènements de notre vie ? (p.18)
Il pouvait être huit heures du soir. Je revenais d'un village voisin, quand je fus frappée, en passant devant le parc municipal pourtant déjà fermé, d'y voir un groupe d'étranges jeunes hommes, qui s'accrochaient aux grilles pour mieux dévisager les passants. Ils étaient vêtus d'amples capes romantiques, d'amusants petits feutres surmontés d'une haute plume, et avaient l'air de dire :
Lancez nous des cacahuètes.
A l’école, j’avais appris en géographie qu’il y avait un habitant par kilomètre carré au Canada. Je voyais chaque habitant occuper à lui seul son kilomètre carré. Si les profs pouvaient se rendre compte à quel point on ne comprend pas….
Un simple voile transparent sur les noms s’impose pour moi en littérature, c’est la moindre des décences et des pudeurs, et guère plus hypocrite que de dire bonjour, ou, à l’américaine, bonne journée à quelqu’un, alors qu’on se fiche de savoir s’il va avoir une bonne ou mauvaise journée. C’est une convention de politesse. "Interview", de Christine Angot, que j’ai beaucoup admiré, n’aurait pas été un livre moins excellent si, au lieu de mettre les vrais noms, elle avait choisi des noms d’emprunt. Est-ce une question de génération ? Je n’aime pas les conventions mais suis très sensible, trop sans doute par mon éducation, à ce qui se fait ou ne se fait pas.
J'ai beau pédaler lentement, ma passagère est terrifiée, malgré les sangles qui la maintiennent sur son siège. En tournant la tête je vois ses griffes enfoncées dans la tête de son koala, sa gueule hagarde sous le bonnet-chat azur confectionné au crochet par Wendy qui regrettait de devoir faire, "à cause des oreilles", un ouvrage démodé. Cette presque adolescente, peut-être nubile déjà, porte sans amertume des nippes, à condition qu'elles soient au goût du jour. Ne pas se laisser distancer par les temps qui courent. Etre dans le vent, d'où qu'il souffle.
Quand j'arrête devant l'école, S grince : "Conne !", ce qui est un comble. Je feins de n'avoir rien entendu.
Soizic s'installe devant le feu, dispose somptueusement sa queue autour d'elle comme une dame d'antan son boa. S'étire. Queue sur l'oeil, devient pirate borgne.
Par mimétisme avec le courrier, le potager qui jouxte le bureau a l'air d'une page d'écriture : le A du portillon, les O des choux, les I des poireaux, le E et le T de l'échelle et du râteau appuyés contre le mur, le U du sac de jute accroché à un clou, le K de l'arrosoir, le Y du cerisier, le Q du chat assis entre les salades, le H de la balançoire, le X de l'épouvantail crucifié sur une croix de Saint-André.
Visiblement vexée par ma question, la chatonne, au lieu de répondre, se lèche avec affectation, passe lentement plusieurs fois sa patte par-dessus son oreille. Cette mégalomane s'imagine provoquer ainsi la pluie, alors que je dois accrocher la lessive sur les fils du jardin tendus du cerisier au cognassier, du cognassier au prunier, réseau par où on imagine les arbres échangeant des messages télégraphiques :
- Mieux vaut entretenir oiseaux (musique) que fournir Bredaine confiture. Messieurs Hâtifs.
- Musique vent suffit. Sommes harpes éoliennes. Montmorency.
- Sol manque potasse. Devrions réclamer purin, poudre d'os. Géant de V.
- Sommes mal émondés. Gourmands. Bredaine peu capable. Messieurs Hâtifs.
Aime s'immobiliser pour toujours à l'extrême bord des choses, rives de l'illimité.
De la langue elle se buvarde avec amour.
Quand j'ouvre une porte - celle de la rue, du jardin, de l'armoire ou du cellier - considère que je la lui ouvre et se précipite.
Obligée de marcher sur le carrelage mouillé, avec le balai-brosse je traîne derrière moi la serpillière comme un fugitif qui effacerait ses traces dans la neige, mais S s'assied sur l'étoupe humide pour se faire promener. Ne rater aucune occasion de divertissement. Ses devises : Rien sans moi. Moi partout.
Dans une contraction de texte, en cinquième, Marielle Bouzumat finit une phrase en bas de page et plaça le point à la page suivante : "Je n'avais plus la place", dit-elle entre deux clameurs de joie de la salle. A mon objection qu'un point n'a pas de surface, elle réplique : "Ceux de la géométrie, non, mais les vrais si."
Avoir résisté à l'envie de mourir donne le droit d'aimer la vie. J'ai passé l'âge d'être triste, où l'on croit ne pas faire partie de l'univers. L'epérience change les soupirs en respirations. (p. 20)
H mange, cuits sous la cendre et extraits de leur coquille, avec une épingle de nourrice ôtée à son châle, les escargots de ses pierrailles, même les jaunes ou les roses qui ne sont pas comestibles. Mange les orties de son potager cueillies les mains nues. Mange les mûres de ses ronces qui retiennent quelques fragments de sa garde-robe. Mange les hérissons écrasés, nantis par ses soins d'un sarcophage de glaise aux fins de rôtissage. Arrache pour renflouer son grabat les flocons laissés par les moutons aux barbelés électrifiés, le courant ne lui fait rien. (p.15)
6 ans
Même si j'avais zéro ça me serait égal puisque zéro c'est rien, c'est seulement un rond.
- un rond qui veut dire : cet enfant ne s'applique pas.
- c'est pas forcé de dire ça. Ça pourrait dire : c'est très bien. C'est eux qui disent que ça dit.
- Si tu continues à vouloir deviner les mots sans faire attention aux lettres, tu ne sauras jamais lire ni écrire.
- je sais lire et écrire, mais pas les mots des grandes personnes.