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Citations de Bérengère Cournut (373)


Durant ma longue nuit d'Inuit, j'ai appris que le pouvoir est quelque chose de silencieux. Quelque chose que l'on reçoit et qui - comme les chants, les enfants - nous traverse. Et qu'on doit ensuite laisser courir.
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«Alors comme ça, tu voyages dans la Maison des morts ?» Je ne savais pas trop quoi répondre : étais-je vraiment venue ici de mon plein gré ? Et qu'étais-je censée y faire ? Comme s'il avait entendu mes interrogations, Màasaw a dit : «En passant d'un monde à l'autre, tu ne fais rien d'autre que ce qu'on fait tes ancêtres au moment de l'Émergence, puis des migrations. Tu es jeune, tu n'es sans doute qu'au début de ton voyage et nous sommes là pour te guider, si tu le souhaites.» Mon seul souhait pour le moment aurait sans doute été de revoir mon père et de lui parler. Toujours comme s'il m'avait entendue, Màasaw a précisé : «Si tu décides de rester ici, tu ne devras chercher personne. Celui qui a été ton père ou n'importe qui de ta famille dans l'autre monde ne te sera plus rien dans celui-ci. De même que tu passes toi-même des frontières, il faut accepter le voyage des âmes et des esprits.»
Malgré ce qu'était en train de dire Màasaw, une part de moi vagabondait encore en bas de la tour, à la poursuite de mon père. Après tout, la situation ne me paraissait pas très différente de ce qu'elle était lorsque j'étais jeune fille : mon père vivait sa vie propre et je devais cavaler après dans l'espoir d'attirer son attention. Peu importe qu'il soit désormais le père d'autres enfants, en insistant un peu, il finirait sans doute par se souvenir de moi et me reconnaître.
Devinant ce qui était en train de se jouer dans ma tête, Màasaw, en bon Gardien des morts, a continuer sans s'impatienter : «Tu dois comprendre une chose : rien de ce qui a existé dans le monde des vivants ne saurait se reproduire au pays des morts. Ce que ton père était pour toi peut survivre quelque part sur ton territoire intérieur, mais nulle part ailleurs. En courant après la vie d'avant, la seule chose que tu pourras faire sera de ralentir sa route ici, où il a désormais une famille.»
Petit à petit, la parole de Màasaw faisait son chemin en moi. Il y a longtemps, Honahöhöqya m'avait déjà expliqué qu'il ne fallait pas pleurer les morts. Du coup, je n'avais presque jamais pleuré mon père, mais je n'avais jamais rien défait non plus du lien qui m'unissait à lui. Dans mon esprit, son passage dans le monde des morts n'impliquait pas que je libère jusqu'à son souvenir, ni que je mette fin au dialogue silencieux que nous avions noué lors des longues promenades où je lui courais après. Il me semblait toujours aujourd'hui que, quand je marchais, c'était dans son sillage, quasiment dans l'appel d'air ouvert par sa disparition. Je m'apercevait même qu'il y avait là quelque chose de substantiel, comme un souffle invisible et puissant.
Maintenant que j'avais vu mon père dans sa vie actuelle, avec d'autres enfants, cette perception allait peut-être changer. D'abord, il était à cheval, et je ne pouvais plus le suivre. Ensuite, je devais bien admettre que s'il attendait quelqu'un, ce n'était plus moi. Cela me faisait drôle, mais d'autres enfants dépendaient de lui. Enfin, bien que Màasaw ait eu la délicatesse de ne pas me le dire, j'ai compris ce qu'était cette pointe dans sa poitrine qui l'empêchait de vivre normalement : c'était tout simplement le souffle que je lui prenais, le souffle sien dont j'avais, sans le savoir, toujours besoin.
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Carte en main, je dévale la combe en trombe
Cette fois, c'est moi l'orage, c'est moi le vent
Je descends le torrent en éclaboussant
Ronces, bouleaux et coudriers-
Tout ce qui pousse en bosquet
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Je pose moi aussi un œil sur le Vieux. Je trouve qu'il ressemble à une vieille souche vermoulue. Il n'y a rien à faire de ce bois là. Pourquoi personne n'a jamais cherché à le jeter à la mer ?
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[...] nous nous tenons sereins au pays des morts. Nous n'y manquons de rien, car tous nos besoins se sont éteints.
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Je me demande parfois ce qu'il se passerait si nous ignorions tous ces tabous. Sauniq a vécu sa mort comme une libération - pourquoi son âme se vengerait-elle sur les vivants qui l'ont aimé ?
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Le soleil tourne en ellipses dans le ciel sans jamais toucher l'horizon. Ca ne durera qu'un temps ; Tulukaraq passe tout le sien en kayak.
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Il n’y a pas de remède miracle, rien qui puisse tout effacer pour toujours. Il n’y a que des petits pas en avant : une journée plus facile, un rire inattendu, un miroir qui n’a plus d’importance.
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Le chant du renard arctique
Je suis un flocon de neige
Qui est tombé du ciel
Jusqu’à une banquise inconnue
Je suis un souffle au creux de la nuit polaire
Je suis un renard blanc qui a fondu.
J’ai vécu moins de deux lunes
Au milieu d’un peuple de lanternes
J’ai vu des hommes qui vivent sous la glace
D’une mer antique à jamais disparue
Je suis le garçon qui cherchait la femme de pierre
Je suis l’enfant de l’ourse et de l’homme lumière
Mon père fait peur aux humains qui ne le connaissent pas
Aucun de leurs défunts n’a voulu me donner
Me donner un nom qui soit le sien
Je reviendrai sous une autre forme, à un autre moment
e suis une étincelle qui n’a vécu qu’un instant
Sous le ventre lisse et poreux de ma mère.
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J'ai sans cesse envie de rire et, lorsque je m'approche du rivage, j'entends les palourdes qui claquent sous la glace. Si j'avance seule sur la banquise, je perçois la mer qui bouge en dessous, je sais qu'elle rit avec moi. Cette fois, j'en suis certaine : un enfant est là.
Au dehors je ne laisse rien paraître. Je n'ai rien dit à Naja tant je redoute que le fœtus ne se soit pas fait en moi un habitat durable.
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Je suis à nouveau seule sur le territoire. À la recherche de baies et de petit gibier. Je dors sur des tapis de mousse quand il y en a, ou parmi les saules nains. Il fait chaud – trop chaud parfois. Cela n’est pas bon. Les moustiques m’assaillent, et j’ai peur que les maladies fondent sur moi. Ikasuk pleure certains soirs. Je me demande si des esprits ne rôdent pas.
Ce matin, j’ai cueilli une grande quantité d’airelles. Je les mange par poignées, ça finit par me faire grincer les dents. Je ne les aime qu’avec du sang de phoque, mais je n’ose pas revenir vers la côte pour chasser. J’ai peur de la mer depuis que j’ai touché le tupilak.
Je crains aussi de chasser sur la toundra, car toutes les armes que je possède – ma lance, mon couteau, mon harpon – ont servi récemment à tuer des animaux marins. Si je touche un animal terrestre avec ça, je vais mettre son esprit en colère. Je préfère encore mourir de faim.
Et puis j’ai à nouveau mal au ventre. Comme à chaque lune désormais, mais cette fois plus encore que d’habitude. Je ne vais pas tarder à perdre mon sang. J’imagine que les animaux le savent, et que je ne devrais pas regarder vers le nord, où passeront bientôt les caribous.
Qu’il est donc difficile d’être seule – sans père, sans époux, sans famille. Sans raison de vivre, finalement. Le géant et la veuve ont raison, il me faut un enfant – mais où le trouver ?
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P38 De temps en temps, la journée, il m’emmenait marcher avec lui. J’étais alors là plus heureuse du monde, car mon père savait tout et l’avoir pour moi seule était un privilège. Il m’apprenait à suivre la trace des animaux et, pour peu qu’il soit disposé à parler , me décrivait leur habitude aussi bien que s’il avait été l’un des leurs. Il m’enseignait a n’en craindre aucun et ne jamais rien faire qui puisse les déranger. Non seulement parce que les animaux représentaient des esprits sacrés et utiles à notre peuple, mais aussi, je crois, simplement par respect de leur tranquillité. Il y avait quelque chose de profane et d’intime dans son amour des créatures de nos plateau. La chasse le répugnait et la capture des faucons pour les besoins de certaines cérémonies l’attristait. Ce qu’il admirait vraiment chez les rapaces, plus que leur capacité à transmettre nos prières aux esprits, c’était leur acuité et leur précision en vol. Il pouvait passer des heures à les observer. «  Regarde ! Me disait il. Celui-ci est à cent mètres de nous, il sait exactement à quel endroit nous allons déranger ses proies et à quel moment il pourra les saisir. » Ce spectacle le fascinait bien plus que celui des danses apaches, pourtant réputées pour leur rapidité et leur légèreté. Pour lui, l’agilité appartenait au monde animal pas à celui des hommes"
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Et il y avait le rite des morts. Ma mère et ses sœurs ne voulaient pas que j'assiste au lavage des cheveux ni aux peintures du corps, mais dès qu'elles avaient fini, je me rendais auprès de mon père pour accomplir un rite qui m'était propre.
Sa mort ne me faisait pas peur. Sous la couronne de pahos que lui avait confectionnée ma mère, son visage brun était tranquille. Il ne m'était pas permis de le toucher - lui-même m'avait appris avec les chats qu'il ne fallait pas "tripoter la mort" - mais j'avais l'impression qu'en le frictionnant, il aurait été possible de le ramener à la vie. Le masque de coton blanc qui flottait à côté de sa tête et qui lui servirait à rejoindre le peuple des Nuages l'enveloppait d'une douceur qui m'apaisait.
Maintenant qu'il était couché là, ma parole était encore plus libre qu'autrefois sur les chemins. Je lui racontais tout ce qui me passait par la tête : nos journées chez Itangu, les réactions des uns et des autres à l'annonce de sa mort, tout ce que nous faisions pour honorer son esprit en attendant le jour où son corps partirait - chaque détail de ces trois journées froides et sèches, que je n'arrivais pas vivre autrement que dans une sorte d'exaltation.

C'est Honahöhöqya la première qui, quand elle est arrivée à Oraibi le quatrième jour, a cherché à me persuader de cesser de parler à mon père. "Il est mort, disait-elle. Tu dois maintenant laisser son esprit partir en paix." Les autres n'avaient pas eu la force de m'interdire cela. Comme il m'était difficile de l'accepter au moment même où son corps allait être emporté, ma grand-mère m'a emmenée à l'ouest du village, pour me montrer la butte blanchâtre qui se dressait en direction du nord. Je ne pouvais pas la voir, mais d'après elle, sur cette butte se situait l'entrée de la Maison des morts. C'est vers elle que mon père était en train de cheminer. De là, il redescendrait par l'est et continuerait un chemin que nous ne devions pas essayer de connaître. Il avait besoin de toutes ses forces. Il ne fallait pas le retenir.

p. 51-52
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La première tentative de greffe a échoué. Peu après notre rencontre, il a décidé qu' il ne se soumettrait pas à un deuxième essai. « Ce n'est pas la peine, disait-il. On vit autant de ses manques que de ses capacités. Et je sais dresser les oiseaux à la voix.»
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« Non, attends, arrête ! je suis chatouilleuse....» Puis m'est revenue dans la foulée la fluidité trouvée avec les années celle de tout ton être s'offrant à moi, nuit après nuit. Même lorsque tu portais nos enfants, Odile, tu restais souple et légère à mon approche. J'ai l'impression de n'avoir jamais usé de mes muscles avec toi. T'aimer, c'était comme descendre un cours d'eau, je me laissais porter par le courant. Nous finissions toujours ensemble dans la furie de la mer, mais ton corps était l'élément premier dans lequel je me noyais... D'où te venait cet abandon, Odile ? Est-ce lui qui t'a finalement emportée tout entière, cette nuit-là ? Odile... Je n'en peux plus de ton absence. Je n'en sortirai pas.
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J'ajouterais même que tu étais puissant, car seuls les êtres puissants cassent ainsi, face à l'adversité, et font le grand saut pour mettre un terme à la souffrance. Ils cassent, ils éclatent - comme la pierre sous le marteau ou le burin. Et c'est ainsi qu'ils délivrent leurs secrets, leurs beautés - et rayonnent longtemps dans la mémoire des vivants.
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Je n'étais plus une masse liquide
Seulement un cœur chaud dans une main d'enfant
Sans rage sans furie sans force aussi...
Serre-moi serre-moi une fois, Zizi
Et laisse-moi partir, toi aussi
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"Je ne sais plus trop quoi penser:
Je suis parti pour fuir son amour insensé
Puis en chemin, j'ai cessé de croire à sa réalité
Tu l'as vraiment vue, toi, la Vouivre?"
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Les deux hommes chantent
Des trucs qui datent de la révolution
« Mais de laquelle ? je demande
- Bof, dit Philémon. C’est toujours la même … »
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Comme toutes les pierres
Elle vient du fond de la Terre
Elle a la vie longue
Et tout au fond d’elle
Quelque chose gronde…
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