Table ronde, carte blanche au collectif Smolny
Modération: Mylène HERNANDEZ, docteure de l'EHESS, éditrice du collectif Smolny
Intervenants: Robert FERRO, traducteur, Jérôme LAMY, historien et éditeur
scientifique, Sébastien PLUTNIAK, historien et éditeur scientifique
À l'occasion de la publication de l'ouvrage : Pour une autocritique du marxisme. Oeuvres complètes (1917-1936) de Julius Dickmann (Smolny)
L'oeuvre écrite de Julius Dickmann (1895-1941?) est non seulement un témoignage des crises, des guerres et des révolutions qui secouent la première moitié du XXe siècle mais elle est aussi et surtout un legs offert à l'avenir par l'un des francs-tireurs les plus singuliers du marxisme. Aussi riche que méconnue, cette oeuvre comprend des articles d'intervention dans l'actualité politique autrichienne et allemande d'alors, des essais de théorie marxienne, et des correspondances avec d'autres marxistes hétérodoxes tels que Boris Souvarine, Lucien Laurat ou Karl Korsch. C'est cette oeuvre atypique, novatrice, enfin disponible en français, qui rend compte de la pensée d'un des précurseurs de l'éco-socialisme, que nous vous proposons de découvrir.
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Je n’ignore pas les diffamations et persécutions de droite et de gauche qui ont assombri, jusqu’à sa mort en 1935, les dernières années d’Istrati, cet homme si bon, si généreux, si sincère et si émotif, si sensible, plus proche de Don Quichotte que des Gil Blas de Santillane. Sa biographie, par Édouard Raydon (« Panaït Istrati, vagabond de génie », Paris, 1968), et le livre de Ion Capatana (« Panaït Istrati ou l’homme qui n’a adhéré à rien », Soutraine-par-Rantigny, Oise, 1941) font justice de tant d’infamies. Je ne mentionne que ce que j’ai pu lire, et avec grand profit.
Staline a peur. Il se sent haï, se sait méprisé. Il connaît mieux que personne la précarité de son acier, dur mais cassant. Il appelle trotskisme son impopularité, le mécontentement général, la sourde hostilité latente qui le rend responsable de tous les malheurs, comme il appelle communisme sa dictature personnelle, oligarchique et inégalitaire. Il a beau exiger de ses courtisans une adulation permanente, de son innombrable domesticité les preuves incessantes d’un servilisme indicible, aucun superlatif ne le rassure. Il scrute les arrière-pensées et, devinant des restrictions mentales, crie qu’on l’assassine. Il en est venu à décider froidement d’anéantir au physique les anciens rivaux dont l’existence spectrale trouble son sommeil et d’annihiler au moral tous les contradicteurs invisibles pour supprimer même les virtualités de concurrence. Il interdit à présent l’apologie des chefs de deuxième ordre pour décourager les éventuels prétendants et affirmer son monopole. Il a peur. Il veut des têtes quand il perd la tête. Seuls ceux qui n’ont rien appris en étudiant l’histoire peuvent supposer que ces choses « finiront par des chants et des apothéoses ». (p. 81)
Quant au vacarme, il fut particulièrement haineux, saturé d'injures et de calomnies à l'adresse d'Istrati, comme les staliniens seuls savent le faire. Le maximum d'infamie fut manifesté par Henri Barbusse, véritablement prostitué au pouvoir soviétique, auteur d'une apologie de Staline qui donne la nausée. La presse communiste se surpassa dans la diffamation la plus abjecte quand parut Vers l'autre flamme. La plus cruelle épreuve pour Istrati fut la rupture avec Romain Rolland dont la conduite, sans s'identifier à celle d'un Barbusse, s'avéra odieuse et lamentable.
Les écrivains plus occidentaux s’alignent d’ailleurs sans effort. Un certain Prokofiev résume : « Tout est inclus dans ce nom tellement immense. Tout : le Parti, la patrie, la vie, l’amour, l’immortalité, tout ! » Un nommé Avdéienko, simulant à merveille la spontanéité, récite un grand air de bravoure appris par coeur, avec des strophes dans le genre de : « Je peux m’envoler vers la Lune, voyager sur l’Arctique, faire quelque grande découverte, inventer une nouvelle machine, car mon énergie n’est opprimée par personne, tout cela grâce à toi, grand éducateur Staline ! », et la finale : « Les hommes dans tous les temps, de tous les peuples, appelleront de ton nom tout ce qui est beau, fort, sage, merveilleux. Ton nom est et sera gravé dans chaque usine, sur chaque machine, sur chaque touffe de la terre, dans le coeur de tous les hommes. »
Babel n'était ni un dissident déclaré, ni ouvertement opposant. Comme Alexandre Blok, Serge Essénine, André Biély, et bien d'autres, il avait accueilli la "révolution d'Octobre" avec un grand espoir, aucun d'eux ne prévoyant la mutation du régime prétendu soviétique en une barbarie totalitaire.
Quand Mussolini retourne sa veste pour devenir "francophile", c'est-à-dire à cette date partisan de la participation italienne à la guerre, il est exclu de l'Avanti et ses camarades lui proposent une aide matérielle pour lui faciliter l'existence ; Mussolini répond : " je n'ai besoin de rien. Je brise ma plume, je n'écrirai plus un mot. Je travaillerai comme maçon pour cinq francs par jour". Dix jours après, il fonde avec grand fracas et à grands frais un quotidien antisocialiste.
Un aviateur re-nommé en U.R.S.S. proclame : « Là où paraît Staline, les ténèbres se dissipent…», prouvant que l’on peut monter très haut et descendre très bas, que certain héroïsme et certaine indignité sont compatibles.