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Critiques de Bryan Stanley Johnson (20)
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Les malchanceux

Découverte totale avec Les Malchanceux : un auteur et une forme de lecture assez originale. Ce roman est un boîtier regroupant de 27 feuillets, d’une à une dizaine de pages, qu’on peut lire dans l’ordre souhaité excepté le début et la fin. L’auteur propose de piocher au hasard le prochain chapitre à l’aide des symboles. Plus que le format du livre, c’est le fait de « choisir » notre chemin de lecture, puisque l’ordre, finalement, importe peu. Petit inconvénient, la boîte est moins facilement manipulable qu’un livre quelconque. Il faut être minutieux dans le maniement des feuillets afin de séparer ceux lus de ceux restants à lire.

Lors d’un déplacement professionnel, le narrateur se souvient de son amitié avec Tony, son meilleur ami, mort d’un cancer. Quelques souvenirs lui reviennent, sa première rencontre avec lui, des moments forts, d’autres plus douloureux… La mise en page est parfois déplaisante mais j’ai aimé partager ces souvenirs qui s’empilent les uns aux autres, pour faire une histoire de l’amitié à travers la passion journalistique et celle du football. Les souvenirs sont parfois un peu flous mais c’est l’essentiel, les sensations qui restent… Sans doute un roman avec quelques notes autobiographiques tant l’ensemble sonne vrai. J’ai déjà jeté un œil sur ses autres productions… à suivre.

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Christie Marly règle ses comptes

Bryan Stanley Johnson, né en 1933 et mort en 1973 est l'une des figures de proue du roman britannique d'avant-garde, bien que "Christie Marly règle ses comptes" soit le plus abordable de ses textes.

C'est l'histoire d'un jeune homme fasciné par la comptabilité en partie double dont il étend le système à toute son existence : chaque dette ou préjudice qui lui est infligé par autrui doit être compensé, selon les principes d'une équilibrage délirant, par un crédit lui permettant de se faire justice à lui-même.

Peu à peu se met en place un mécanisme monstrueux : le modeste employé de bureau s'arrogeant les pouvoirs de l'Etat, puis de Dieu, extermine sans regret une partie de la population londonienne.

Ce roman acide et peu conformiste, à portée philosophique et politique, remet en cause la forme traditionnelle du roman.

L'auteur développe des considérations difficilement réfutables, notamment sur la valeur de la vie humaine. Autant dire que son style alerte et vif ne suffit pas à masquer son effroyable pessimisme : le cynisme affiché n'est que l'ultime politesse qui permet au lecteur de se dérober à temps s'il ressent le besoin de se préserver.
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Chalut

Brian Stanley Johnson (1933-1973) dédicace son roman autobiographique à ses parents. Il se suicidera à quarante ans. La solitude existentielle qui l’étreint dès l’enfance revient en leitmotiv tout au long de son voyage en chalutier dans la mer de Barents. Embarqué comme plaisancier afin de couper les ponts et de se cogner à l’âpreté de la solitude, l’auteur se remémore les moments déterminants de son existence au gré ou malgré le roulis et le tangage du bateau de pêche. Le récit entrecoupe passé et présent, scandé par la houle et le vague à l’âme. Les points de suspension, les onomatopées, « CRANNGK ! » rythment le flot des souvenirs rendus parfois pêle-mêle entre deux nausées. L’enfance avortée, les amours contrariés engendrent une amertume qui n’apparaît pourtant jamais larmoyante. L’auteur pose un regard sans complaisance sur ses mésaventures. Il cherche à retrouver le point de départ, l’instant décisif, le fait significatif où les sentiments se forment, les événements se produisent. Ainsi, un simple vol de fruits laisse une brûlure à vie : « …je devais avoir dix ans… Le Directeur [de l’école] m’a fait asseoir en face de lui… Alors comme ça tu aimes les fruits, hein ?… Pourquoi les voler ? a-t-il poursuivi. Je n’ai rien dit. Si tu veux des fruits, ce n’est pas la peine de les voler : je peux t’en donner… a-t-il dit, les yeux toujours baissés… la honte ressentie par la façon dont il avait choisi de me punir, en m’humiliant, en me faisant sentir que j’étais pauvre, un voleur issu d’un milieu défavorisé… est restée gravée en moi. (p. 79) » Les expériences amoureuses navrantes sont racontées sans fard, dans une nudité qui peut décontenancer le lecteur : « …je me rappelle bien la sensation de son sein gauche, tout flasque… alors elle m’a dit, Essaie l’autre, les gosses ne l’ont pas encore tout ramolli, et je me suis dit, Seigneur ! . . (p. 21)… je me suis remis à l’ouvrage pour m’entendre dire, tu sais, je suis plutôt large, j’ai eu trois bébés : alors, je me suis dit, Seigneur !… et lorsque je me suis retrouvé à l’intérieur, sans vraiment savoir si elle était aussi large qu’elle le prétendait… elle s’est soudain mise à crier… » (p. 23) Les récits sexuels reviennent régulièrement aiguillonner la mémoire de l’auteur. Le lecteur se prend à sourire en les resituant dans l’Angleterre puritaine des années soixante. Brian Stanley Johnson est aussi un écrivain inventif qui ne manque pas d’humour : « La défection de Laura… m’a pourtant fait souffrir pendant des années, j’ai revu l’image de son petit visage, la légère inclinaison des épaules quand elle marchait, ces images m’ont hanté des années durant, la manière dont elle avait fait irruption dans sa chambre, la première fois, dans son déshabillé ample et la manière dont elle m’avait littéralement aspiré en elle, dont elle m’avait fait pénétrer, à vif, les tréfonds mystérieux de sa féminité : et autres boursouflures de style. » (p. 132) Entre deux écœurements, un souvenir heureux jaillit avec une force décuplée. Ainsi Mr. Proffitt, le bien nommé, devient le professeur merveilleux qui éveille les consciences des élèves relégués par le système éducatif anglais : « …grâce à une pédagogie hors du commun, grâce à sa seule personnalité. Ma classe de première année éprouvait pour lui un respect absolu ». Une parole de réconfort glissée par un quasi inconnu, le don d’une orange fait par le capitaine du chalutier rendent une grandeur inespérée à l’humanité vacillante. Le monologue de l’auteur agit comme une thérapie, en symbiose avec le voyage en mer. D’ailleurs la couverture du livre montre une vague, à la manière d’Hokusaï, remplie de bouts de phrases. Les souvenirs dégorgent comme les poissons du chalut. Les aiglefins sont éviscérés ; les entrailles du plaisancier se tordent et se vident. Ses pensées se dévident. Le lecteur déchiffre une conscience en mouvement avec ses hésitations, ses ressassements, ses phrases en suspens. La forme romanesque nourrie par la propre vie de l’écrivain n’exclut pas la vérité en se complaisant dans la fiction. La poésie affleure parfois : « L’océan est tout et rien à la fois : il est neutre:/ Les hommes s’en remettent au hasard de sa surface:/ Lui attribuent bienveillance et sauvagerie:/ Mais l’océan se contente d’être, simple et puissant. » (p. 50) Le lecteur n’aura pas fait le voyage en compagnie de B.S. Johnson pour rien. Il en sortira lessivé et lavé de l’intérieur, du swing dans le sang, sur un tempo en stop-time.
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Les malchanceux

Toute l'originalité de ce livre réside dans le fait qu'il est constitué de 27 cahiers et que ceux-ci peuvent se lire dans n'importe quel ordre. La seule "contrainte" est de lire le premier et le dernier chapitre tel qu'ils sont identifiés par leur couverture. Tout cela est contenu dans un boitier, ce qui en fait un fort bel objet !



Un journaliste sportif est envoyé dans les Midlands pour son travail. Chargé de commenter les rencontres, notamment de football, il est aussi hanté par ses souvenirs. Parmi eux, ressurgit l'image de son meilleur ami, Tony, qui est mort emporté par un cancer. Des épisodes de leur vie, lorsque l'ami était encore là, marquent la nostalgie du héros.

C'est aussi l'occasion d'évoquer Paul, un autre ami qui s'est suicidé et a laissé tout le monde dans l'incompréhension. Il y a aussi June, la femme de Tony, qui tient vaille que vaille lorsque la maladie s'est déclarée chez son compagnon et même pendant son deuil. Et pour notre héros c'est aussi l'amour qui lui fait apprendre de la vie. Il y a, dans ses rencontres successives, Wendy "l'amour avec un grand A" et Ginnie, celle qui reste.



L'histoire n'est pas très gaie, les personnages sont quelque part hantés par des démons, mais leur force de caractère les pousse à aller au-devant de l'autre. Car quitte à être "malchanceux", autant l'être l'ensemble. Et c'est donc un roman sur l'amitié qui donne toute sa place à l'instinct de vie.



C'est un récit qui, par la force des choses, est déconstruit (les cahiers sont tenus par un bandeau), les situations sont des flash-backs et peuvent donc aisément se lire dans le "désordre". La pagination n'est donc pas celle d'un livre standard et c'est assez agréable de passer de chapitre en chapitre (qui sont de taille inégale) sans trop savoir quelle est la suite des événements.



Mon seul bémol est justement dû à l'absence de pagination : il est dur de retrouver son positionnement dans la lecture, alors que les cahiers n'ont aucun signe distinctif les uns des autres. Mais c'est tellement "fun" d'expérimenter ce type de lectures qu'on pardonne volontiers la petite difficulté liée au contenant.



Bravo à Quidam pour le beau travail éditorial ! Voilà un livre original qui marquera les esprits et qui m'a fait découvrir un auteur que je relirai avec plaisir.
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Les malchanceux

Mémoire brisée, disjointe et inconsolable d’un ami emporté par le cancer. Chef d’œuvre.



Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2015/04/02/note-de-lecture-les-malchanceux-b-s-johnson/


Lien : http://charybde2.wordpress.c..
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Les malchanceux

Roman éclaté, brut et néanmoins émouvant. Eclaté par sa forme : vingt cinq feuillets allant de une à une dizaine de pages, à lire aléatoirement plus un PREMIER et un DERNIER. Ce livre est une sorte de tombeau à la mémoire d'un ami de Johnson, mort d'un cancer. Ce roman a pour ambition de dire toute la vérité sur cette amitié, d'où le côté brut de décoffrage, les multiples "je ne sais pas" et "qu'est-ce que ça fait". La progression dans la narration se fait à travers le déplacement du narrateur, journaliste sportif chargé du compte rendu d'un match de football dans une ville des Midlands. Pour avoir lu auparavant la magnifique biographie que Sebastian Coe a écrite sur B.S. Johnson, je sais que la part de fiction est sans doute assez réduite, rapprochant ce roman d'une forme d'autofiction avant l'heure. J'avais peur d'être déçu car je pensais que le biographe avait peut être surévalué l'oeuvre, mais il n'en est rien, au moins pour ce roman, qui ne devrait pas se laisser oublier de si tôt.
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Les malchanceux

Roman social anglais, mais c'est aussi un autoportrait. Langage est réel, violent parfois une note d'humour, les phrases sont souvent très longues. Cette lecture fut une expérience vraiment intéressante, elle permet de nous interroger sur notre vie, sur la vie de nos proches. Et cette boîte, B.S Johnson a voulu en faire le tombeau à la mémoire de son ami Tony, c'est aussi un très beau livre sur l'amitié, un bel hommage que l'auteur lui fait.
Lien : http://livresdemalice.blogsp..
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Christie Marly règle ses comptes

Christie Malry règle ses comptes - 1973 (Quidam Editeur 2004 pour la traduction française)



Dernier de ses romans publiés du vivant de B.S. Johnson, « Christie Malry règle ses comptes » parut en 1973, quelques mois avant son suicide en Novembre de cette même année.



Christie Malry est un homme simple. Il souhaite côtoyer l’argent dont il est démuni et devient donc employé de banque. Rapidement lassé d’un travail fastidieux et d’une ambiance de travail "ternie par l’aigreur, la mesquinerie et l’esprit de bureaucratie", il abandonne la sécurité de l’emploi de la banque et, pour faire fortune, rejoint une entreprise qui fabrique des pâtisseries et des bonbons, tout en étudiant la comptabilité.



Pour surmonter, ou se venger de frustrations ou vexations initialement mineures, Christie a alors une Idée de génie, appliquer le principe de la comptabilité en partie double à sa propre vie. Tout préjudice qu’il subit vient à son débit (réprimandes du chef comptable, malaise du au comportement d’un employé des pompes funèbres lors de l’enterrement de sa mère, etc.), et doit être exactement compensé par une réparation, à son crédit. Ainsi, Christie Malry règle ses comptes avec EUX, la société capitaliste contemporaine. Cette Idée de génie devient son unique but et, considérant toute sa vie comme un jeu ou une guerre, il n’a de cesse de découvrir ainsi les points forts et les points de vulnérabilité du monde des affaires, les "possibilités de chaos, blessures et autres accidents mortels", qu’il voit comme autant d’informations utiles au recouvrement d’un crédit considérable.

Logiquement, en bon technicien, Christie Malry procède périodiquement à une clôture comptable, où l’on constate que son solde créditeur à reporter ne cesse d’augmenter, dans une inquiétante escalade.



Pendant que son personnage donne une forme nouvelle et objective à la vengeance avec cette histoire féroce et drôle, B.S. Johnson réinvente la narration en piétinant les convenances et en mettant sa méthode à nu pour nous, lecteurs. Chacun ne cesse de changer de place : l’auteur discute avec son personnage de la nécessité de terminer le roman, le même personnage devient par moments commentateur extérieur ou bien critique du roman, et le lecteur est amené aux côtés de l’auteur pour contempler avec lui les principes directeurs de la construction de ce roman, et participer à son élaboration.



Un livre nécessaire, à la fois déprimant et immensément drôle.

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Les malchanceux

S'il est un livre à garder dans le secret crépusculaire pour une échappée sans retour. Se sentir riche d'une littérature culte, classique, certaine et salvatrice. Le voici, le chef d'oeuvre « Les Malchanceux » de B.S. Johnson. La préface de Jonathan Coe est posée, aboutie, explicite. Un conseil, la lire deux fois voire plus. Une fois au début et l'autre après le point final. Comme une révérence renouvelée au monde. « Les Malchanceux » comme l'exprime Jonathan Coe « C'est un livre unique et merveilleux, un classique de son temps et du nôtre. (Février 1999) » Le concept de « Les Malchanceux » est original, perfectionniste. Ouvrir le coffret et voir, toucher, avant de lire. Vingt-sept sections. La première et la dernière à lire dans l'ordre. Les autres à l'instar d'une fleur cueillie dans le hasard du champ littéraire. Et là, c'est un signe du destin qui s'affirme alors. La section prise est à vous. Lisez-les toutes. Recommencez encore et encore. B.S. Johnson offre ici par ce choix l'approche révélée du tout possible littéraire. Et, c'est bon de se sentir en diapason avec l'auteur. Attention, les amis prenez soin de ce grand livre. Lorsque les chapitres sont retirés, il y a un secret à l'intérieur du coffret, sur chaque côté intérieur. Avant de les découvrir lisez bien : « Note sur le texte » en page finale de la préface. Trois épigraphes sélectionnées par Johnson sont ici. Lisez- les doucement. Soudainement, les braises, alors, reprennent force et vigueur. Maintenant, vous pouvez lire ce sublime, ce culte, « Les Malchanceux » Tony est malade : un cancer. Tumeur. (Tu meurs). le verre se brise en main, tombe. June est sa jeune femme, lumineuse, battante et digne. Les fragments restent en main, cartes que l'on ne repose pas. L'écriture est souffle et rédemption. « Tony dommage qu'il soit mort, depuis, j'ai trouvé une bonne définition, à ce mot, académisme : Les réponses du passé, apportées aux problèmes du présent ! Je suis sûr qu'il aurait adoré… » L'auteur retourne la terre. Ensemence les souvenirs ; sa voix attire les séquences de vies, belles, graves. Comme un drap frais, tiré, sans plis. le juste. Sans colère ni sanglots. Ecrire en promesse. A la Jules et Jim, à la frappe d'un ballon, aux actes manqués. A la jeunesse fusillée en plein vol. « On dirait une vague, cette foule qui se penche pour voir le corner opposé, se penche et se redresse. » Les fragments s'entrechoquent, fusionnent, on ne lit plus. Mimétisme avec ce qui se passe, se dit et s'élève. Les mots guident et apaisent. Le liant est vif et tenace, magnifique et théologal. Cette voix qui emporte tout vers le rivage, appel, rappel. Tony est le point dans ce cercle amical qui vacille. On ne bouge plus. « Quelle valeur accorder à la mort ? Aucune ? Peut-on parler ainsi de la mort ? J'en sais rien, tout ce que je sais, c'est que ça fait mal. Tellement. » Cette ode à l'amitié, à la fraternité célébrée, voix qui résistent à la transparence sont les fiançailles de la beauté, de la simplicité et de l'hommage absolu. « Les Malchanceux » est bleu nuit, superbe et indispensable. « Elles plongent dans le ciel, puis remontent, ces lignes télégraphiques qui passent et se croisent, lestes, au gré des courbes du paysage, des hangars, indistincts, et des gares, que nous passons. » Le regain, ici, est la grandeur d'âme qui brille dans le filigrane. C'est l'envol, les ombres qui soulèvent l'après. L'hymne est sublime. Racines mémorielles. Traduit de l'anglais par Françoise Marel, publié par les majeures Editions Quidam éditeur.
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Chalut

Auto-analyse et introspection face aux défis de la mémoire, à bord d’un chalutier hauturier.



Publié en 1966 (en 2007 en France grâce à l’impressionnant Quidam Editeur, dans une traduction de Françoise Marel), le troisième roman de B.S. Johnson nous propose une étonnante séance de traque mémorielle, dans laquelle le monologue intérieur haché du narrateur tente désespérément, au milieu du bruit et de la fureur des treuils, des brutales ouvertures du chalut sur le pont et des embardées des diesels, en mer de Barents hivernale, de recoller les morceaux de son identité écrasée jusque là par la vie. De la solitude glacée, insomniaque, bruyante et voulue, dans les affres du mal de mer, comme chemin vers la résurrection du moi…



Si de fugaces tranches de vie à bord du chalutier hauturier, ou plutôt des bribes qu’en discerne celui qui est, aux yeux des membres d’équipage, un « plaisancier » (ceci dit sans acrimonie particulière par eux), se glissent dans le récit, l’enjeu pour le narrateur (extrêmement proche du B.S. Johnson « réel ») est bien d’élucider, en fouillant au hasard apparent des libres associations d’idées et des coqs à l’âne provoqués, les éléments de son passé qui ont fait de lui ce qu’il est, un Britannique de la classe défavorisée, élevé par sa mère seule, puis presque abandonné par elle, « pour son bien », à la faveur des évacuations de Londres sous le Blitz en 1940, lourdement handicapé socialement et psychologiquement, en quête inextinguible d’amour et de tendresse allant au-delà de la pure mécanique sexuelle. Ayant peut-être enfin trouvé cette femme salvatrice, la plongée en soi, par cette curieuse méthode que ne renieraient pourtant sans doute ni les tenants de la psychologie introspective ni même le premier Freud, s’imposait…



L’occasion pour le narrateur et pour le lecteur de parcourir une enfance, une adolescence et de premières années d’adulte marquées par la guerre, la différence sociale, le manque de points d’appui, la raideur du système d’éducation et la morgue hautaine de tous ceux qui ont « davantage » (d’argent, d’éducation, de naissance,…) dans cette Angleterre des années 1940-1950, comme un distant écho aussi d’une autre enfance, écossaise elle, à la même période, celle du narrateur des deux parties centrales du formidable « Lanark » d’Alasdair Gray.



L’introduction rêvée, sans doute, à l’œuvre de cet « éléphant fougueux », comme l’appelle Jonathan Coe, qu’est le trop tôt disparu B .S. Johnson (dont la biographie écrite par Jonathan Coe, justement, est aussi disponible en français chez Quidam).

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R.A.S infirmière chef

Ce livre de 1971, publié en français en 2003 grâce à Quidam Editeur, est mon entrée en matière dans l’univers de B.S. Johnson, une première incursion qui, clairement, me donne envie d’aller beaucoup plus loin.



Sous la forme d’un exercice de style annoncé en introduction par l’Infirmière-Chef, au fil des neuf chapitres de ce livre, nous pénétrons dans l’esprit de huit patients d’un établissement gériatrique (qui mérite plutôt l'appellation d'hospice), du plus lucide au plus sénile, pour finir par une plongée dans l’esprit dérangé de l’Infirmière-chef.



Chaque chapitre reproduit à l’identique la même séquence temporelle, page à page, ligne à ligne, pendant laquelle les patients mangent, chantent, travaillent, et sont les témoins ou les participants des divertissements orchestrés par l’infirmière-chef.



Sous cette forme de monologues intérieurs et dialogues à une voix par chapitre, avec des blancs grandissants dans le texte, reflets des trous de mémoire et absences des patients, on entrevoit en quelques lignes les parcours de vie de ces vieillards, dans leurs mémoires en bouillie comme la nourriture qu’on leur sert ici, mémoire dans laquelle surnagent encore des filaments de vie de plus en plus épars ; nous sommes les témoins de la comédie absurde et par moments sadique que l’infirmière-chef autocratique fait exécuter à des patients qu’elle entend dominer du haut de ses obsessions, et de la lubricité toujours vivace de leurs chairs affaissées.



Livre du délitement, « R.A.S. Infirmière-chef », sous-titré « Une comédie gériatrique », est une vision à la fois drôle et terrible de ce qui se passe derrière les murs d’un hospice et derrière les crânes des vieillards, un livre fascinant où le texte fuit les pages qui blanchissent avec la béance de la vieillesse.
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R.A.S infirmière chef

que dire alors de « R.A.S. Infirmière-Chef », toujours traduit par Françoise Marel, (2003, Quidam, 208 p.) qui narre les confrontations de cette infirmière-cher, quelque peu despotique, avec les cerveaux de huit pensionnaires, quelque peu délabrés pour leur part. Un humour typiquement anglais à savourer.
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Albert Angelo

« Albert Angelo » également traduit par Françoise Marel (2009, Quidam, 184 p.) dans lequel il y le fameux trou, qui permet d’aller voir ce qui se passe deux pages plus loin, pour le lecteur pressé. Evidemment cela va faire hurler les lecteurs grincheux qui payent un livre au poids du papier et non du trou auquel ils ne comprennent rien.
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Chalut

« Attention, on va jeter l’ancre, attention l’encre que l’on jette »



Œuvre de fiction totalement réaliste, « Chalut », publié en 1966, est l’aboutissement d’une auto-expérimentation de B.S. Johnson, alors âgé de moins de vingt-cinq ans, embarqué à bord d’un chalutier en campagne de pêche en mer de Barents, pour créer une œuvre littéraire et pour trouver sa place d’homme et d’écrivain. Monté sur ce bateau pour rester en surface, il se confronte aux raisons de son isolement, revient sur ses déceptions, tente d’apprivoiser sa mémoire, d’ordonner chronologiquement cette matière naturellement déstructurée.



«…Mais ça ne va pas durer, très vite, ils auront filé une nouvelle fois, ils n’aiment pas le voir hors de l’eau trop longtemps, le chalut, inutile, improductif trop longtemps, quant à savoir le moment précis, impossible à dire, je ne sais pas, d’ici, en bas, quant ils vont filer, mais ça ne saurait tarder, ce n’est jamais assez tôt, peut-être alors pourrais-je retourner à mes pensées, ou dormir, je préférerais dormir, bien sûr, mais penser ne pourrait mieux tomber, c’est pour ça que je suis ici, filer les mailles étroites du chalut de mon esprit dans le vaste océan de mon passé. »



Au gré du roulis de la narration, le narrateur rend compte avec force détails des activités à bord du bateau, des étapes de la pêche, de l’éviscération des poissons, puis de son intégration à bord, lui, le passager passif qui reste le plaisancier pour les autres marins, du mal de mer insurmontable qui lui retourne l’estomac, et enfin, comme les remontées des filets de pêche, des souvenirs détaillés ou flous qui lui reviennent par paquets, son enfance, la séparation incomprise d’avec sa mère pendant la guerre, les humiliations à l’école, la lutte des classes durement ressentie par l’enfant, les relations amoureuses et le sexe, encore et toujours.



Un passage comme une sorte de ventre mou au centre du livre (sans rapport avec les conditions météo à bord) n’affaiblit pas la force de ce récit : Fascination de la mer et de la mémoire qui accaparent et se dérobent sans cesse, des malaises nés du mal de mer et des souvenirs qui remontent à la surface, de l’évacuation de la bile et des mauvais souvenirs, pour cette campagne en mer qui agit comme une purge.



L’inconfort de la condition humaine ne passe finalement pas au travers des mailles du filet. Reste la solitude d’un écrivain inventeur qui nous fait lire les arcanes de la mémoire.
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Albert Angelo

Albert Angelo, architecte dilettante, n’arrive pas à percer, et fait donc des remplacements en tant que professeur pour gagner sa vie. Il se retrouve face à des classes de plus en plus difficiles et abandonne assez vite sa volonté d’être juste et son ambition éducative. En même temps, sa vie affective et sexuelle est un désert car il ne peut se détacher du souvenir de son ancienne petite amie Jenny.



Albert Angelo expérimente face à ses élèves pour tenter de contenir leurs excès, et B.S. Johnson, lui, expérimente une large palette de techniques de narration ; les trous dans la page pour voir le futur de la fiction, qui ont beaucoup fait parler d’eux, ressemblent plutôt à un gadget, à côté notamment de ce chapitre extraordinaire en double colonne qui nous permet de suivre en parallèle ce que dit Albert à ses élèves et les volutes de ses pensées, ou en comparaison des variations de la posture du narrateur qui passe et revient du je, au tu ou au il selon la sphère dans laquelle il se situe - familiale, professionnelle, amoureuse - et selon son degré de détachement.



L’éventail des procédés de narration utilisés par B.S. Johnson dans ce deuxième roman est impressionnant mais, de même qu’Albert Angelo est attiré par l’architecture classique dans Londres, c’est avant tout un talent d’écrivain classique que BS Johnson déploie dans ce roman véritablement poignant – à travers le récit de cette expérience des salles de classe difficiles des années 60 et enfin lorsque le narrateur nous dévoile le parallèle entre le destin d’Albert Angelo et la fragilité de son propre destin d’écrivain.



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Chalut

Je n'ai pas aimé ce roman car pour moi trop de houle sur le chalut!

Partir en mer se ressourcer ok, mais partir pour vomir tout le long du voyage, être touriste parmi les pêcheurs qui marnent toute la journée dans des conditions épouvantables, pour se retrouver et faire l'introspection de soi.....Non je ne le recommande pas!
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Chalut

Qu'ai-je ressenti lors de cette lecture ? Sur le moment, beaucoup de curiosité pour le style, pour ce qui est dit, pour cette apparente banalité de ce que Johnson a vécu et raconte. Quoique l'évacuation de Londres tout de même, vivre sans ses parents, pas si banal. Tiens, d'ailleurs, c'est le seul moment du livre où j'ai failli me lasser, trop long ce passage à High Wycombe ou était-ce moi qui avait la tête ailleurs ? Possible, car après quelques pages, j'ai replongé, ne lâchant le livre qu'avec regret, me surprenant même à y trouver une sorte de suspens : mais que cherche-t-il donc ce Johnson, là sur ce chalutier, malade comme un chien, farfouillant dans ses souvenirs, les étalant et les dépliant devant nous comme si une aiguille y était cachée, quel est le but de tout ça ?



Et à quoi bon ces longues descriptions de son mal de mer, de la pêche, des éviscérations ? Passionnantes d'ailleurs, ce qui m'étonne encore vu ce que je pensais être mon faible intérêt pour tout cela. Descriptions « secouantes » aussi, m'ont valu quelques grimaces, heureusement sans aller jusqu'au haut le coeur . . . Je disais donc à quoi bon cette logorrhée de Johnson, tous ces détails, ce travail d'introspection ? Il est clair que je ne vous en dirai rien, à vous de le lire, de le découvrir. Ce que je peux vous dire c'est que la fin m'a d'abord rendue perplexe, m'a peut-être même un peu déçue . . . non, pas déçue, surprise, du genre « tout ça pour ça », du moins en instant premier. L'instant second (et tous ceux qui ont suivis), ça a plutôt donné ça : mon dieu, quelle justesse, j'aurais presque envie de dire quelle vérité si je ne détestais pas ce mot !



Voilà, c'est ça, justesse du propos, de toute cette quête qu'il accomplit, de sa façon de l'écrire et d'en rendre compte, et surtout justesse de sa conclusion.
Lien : https://emplumeor.wordpress...
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R.A.S infirmière chef

R.A.S Infirmière Chef était sur ma liste de lecture depuis un bon bout de temps. Je l'ai enfin lu !



C'est très difficile de critiquer ce livre sans le spoiler. Il m'a surprise en tout cas. L'atmosphère est un peu malsaine... on croit vraiment sentir ce mélange de renfermé et d'urine qui flotte dans les maisons de retraite, même les clean. Je ne suis pas sure que le roman m'ait vraiment plu mais.. je dois reconnaitre que d'un point de vu de la construction c'est juste brillant : La même soirée nous est raconté de chapitre en chapitre par des personnage différents, avec leurs mémoires sélectives (parfois très sélective), leurs défaillances, et leurs digressions. 21 pages pour chacun et le déroulement des événements est identique à la ligne près ! C'est bluffant.
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R.A.S infirmière chef

C'est le cinquième roman de B.S. Johnson, il est dans sa forme et par son sujet hors norme, il date du début des années soixante dix, mais c'est un texte qui n'a pas pris une ride. Il vient trois ans après Les Malchanceux. Où, il était question justement de la mort, et ses questionnements. Comme l'est d'ailleurs assez tout son œuvre littéraire et les livres que j'ai lu de lui on ne peut pas dire que ce sont des livres avec une structure classique !

R.A.S Infirmière-chef, il est constitué de neuf chapitres. Huit vieillards de 74 ans à 94 ans, sont regroupés avec d'une infirmière-chef. Monologue intérieur pour chaque personnage, ils revivent chacun leur vie. Chacun d'entre eux mange, chante, travaille, joue, fait un peu d'exercice, et pour finir assiste au numéro de divertissement proposé par l'Infirmière-Chef en personne. Chaque nouveau personnage est plus infirme que le précédent, si bien que les monologues se font de plus en plus fragmentés, partiel et incohérents à mesure que l'ouvrage avance.



L'infirmière-Chef est une femme louche, pas très nette, pas très catholique. Elle est tout simplement bien sadique avec sa baguette. Il plane un univers étrange. En arrière plan cela grince, l' humour noir voir féroce est au rendez-vous !Le texte met en scène la vieillesse et l'irrésistible décomposition des corps, la fin de vie le préoccupe beaucoup, la durée de vie s'allonge.

La typographie ce roman est remarquable, elle est écrit comme une partition de musique. Les blancs sont des silences et des trous ce mémoire, c'est très bien rendus. J'ai trouvé que tous ces monologues sonnaient terriblement juste. C'est là que l'on voit que B.S Johnson a écrit pour le théâtre, j'avais déjà ressenti la même chose en lisant Alberto Angelo. À chaque fois que je lis cet auteur c'est une expérience hors norme de lecture, il sait nous questionner sur nous même sur notre entourage, sur la vie.
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Albert Angelo

Albert Angelo ne trouvant pas de travail comme architecte. Il est professeur vacataire dans les quartier populaire de Londres. "Je suis architecte avant tout , et pas prof, je suis un créateur, pas un passeur.""On vous apprend pas à enseigner à ce genre d'élèves." Il enseigne aussi bien dans le primaire qu'au collège. Sur le plan sentimental cela n'est pas le beau fixe, Jenny l'a quittée elle lui manque énormément.

L'auteur multiplie les points de vue narratif, cela donne un ton original au livre qui surprend dans un premier temps, puis on s'y fait sans que cela pose problème. En musique, on pourrait rapprocher à du free jazz et en peinture à du Pollock.

Le sujet du livre est l'enseignement, la transmission du savoir tout ce qui va avec, des élèves qui n'ont aucun pour respect pour leur professeur et parlent mal. La violence du quotidien entre les murs de l'école, le puritanisme anglais,l'enfant tête de turc. Difficile pour Albert de faire respecter l'autorité, le règlement, pas aidé par la direction non plus . Il enseigne dans des écoles de plus en plus difficiles" Et l'école n'est rien d'autre qu'un microcosme de notre société." Londres, son architecture tient une place au centre du livre, l'auteur aime sa ville comme si elle était un personnage.

Ce livre date des années soixante et il est toujours d'actualité, oui et entre autre le suicide des professeurs est toujours à l'ordre du jour malheureusement, c'est effrayant . "Enseigner dans les Écoles Difficiles Pousse les Professeur au Suicide" disait l'article, il s'agissait tout bonnement d'un compte rendu du suicide de mon prédécesseur à Whitsun, Burroughs, ou Bugs Bunny, comme ils l'ont surnommé." Il livre qui fait réfléchir, c'est pas un livre intelligent, d'une grande force, c'est sûr aussi que se dégage de ce livre une grande noirceur, tristesse. Il ma plut car il s'adresse à des lecteurs exigeants et il se trouve que moi c'est ce que je recherche en tant que lectrice. J'ai été hanté par ce livre jour et nuit, non j'exagère pas, c'est vrais ! J'ai refermé le livre la gorge nouée. Un livre choc, coup de poing, très poignant, il ne ménage pas le lecteur.
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