- Dites-moi, vous y étiez?
- À Auschwitz? Oui.
- Puis-je vous poser une question?
- Bien sûr.
- On peut oublier?
- Non.
- Alors comment fait-on?
- On accumule d'autres souvenirs, vous savez, comme des meubles devant la porte pour qu'elle ne s'ouvre pas.
Je crois que les coïncidences sont de beaux visages. Personne n’est obligé de les trouver divinement beaux, mais le beau visage d’une femme qui se tourne vers vous est toujours, toujours, un événement. Il faut bien l’avouer, cette magie enchante. Pour ceux qui comme moi ne «croient» pas à l’abolition du hasard ou plus simplement ceux qui croient que le hasard est une donnée réelle de l’existence, répétons-le, c’est son apparente abolition qui nous réjouit, comme l’absence d’un instituteur sévère pouvait autrefois «enchanter» les écoliers malfaisants que nous étions.
Il n’y a rien de plus hygiénique que d’éprouver la banalité de ce que l’on croyait exceptionnel. C’est une expérience que l’on souhaiterait à plusieurs artistes qui nous ennuient au lieu de nous troubler, à ces trop nombreux rêveurs perdus en politique qui nous confortent complaisamment dans l’illusion au lieu de nous traiter «à la Churchill», en citoyens majeurs et vaccinés, ou, plus gravement, à ces amoureux professionnels qui bouleversent la vie de leurs proches, pensant venu le temps de l’éternité dans l’univers soudainement en expansion de leurs sentiments.
La lecture fait de nous les conjoints de fait d’un auteur, a fortiori, si cet auteur donne une teneur autobiographique évidente à son œuvre.
Les coïncidences sont tantôt un défi pour le rationaliste, tantôt du charbon pour le spirituel ou encore un signe pour le superstitieux. Elles peuvent être aussi un matériau pour le récitant, car les plaisirs de l’improbable, s’ils peuvent être goûtés, n’ont pas à être sondés. Les fruits du hasard, on peut se contenter de les cueillir et les croquer.
La difficulté de modéliser sera toujours la difficulté de maîtriser l’humain. L’humilité imposée alors à la raison n’est pas tant une glorification de l’irrationnel que le rappel de la complexité inhérente à la vie humaine. Son échec est une chance pour nous tous, le reflet de la richesse du monde et de ses probabilités infinies. Sommés d’être modestes, nous pouvons alors mieux reconnaître la parenté entre l’imprévisible et la liberté. Et nous en réjouir. Le hasard est cette bulle récalcitrante qui empêche la pellicule d’être lisse. Dans cette bulle, il y a l’oxygène.
Dans le grand jeu des relations humaines, la seule chose que l’on puisse provoquer sciemment, c’est la colère. L’amour? La grâce? Le souvenir? Ces ébranlements nécessitent un minimum de surprise et de séisme.
L’amour était quelque chose d’admirable au cinéma, pas ailleurs. Je revoyais les expressions de Romano, je n’occultais pas les stigmates de sa faiblesse et de sa lâcheté, car il n’avait pas su aller jusqu’au bout. L’amour qui avait surgi en lui était fort, trop fort, comme cet item luxueux que tous ne peuvent se payer. C’était, en quelque sorte, un habit volé.
Que si le hasard est le quotidien de la liberté, il peut aussi en être le génie. Comme ceux qui font le bien sans contrainte, le hasard fait le beau par hasard…
cette phrase lue dans les mémoires d'un homme politique : "À force de ne plus écouter sa conscience, elle finit par ne plus avoir rien à nous dire". p.63