Notre pays est un pays de fortunes récentes. Peut-être à l’époque coloniale le clergé et les propriétaires terriens se sont-ils partagé le gâteau sous prétexte de garnir notre table. Mais après l’indépendance, la table avait perdu ses pieds. Sans la protection de la Couronne espagnole, la nouvelle république s’est transformée en, comme nous l’appelons chez nous, rosaire d’Amozoc, donnybrook, chienlit, bordel, ou, pour le dire en argentin, quilombo, un orchestre sans autre musique que le tempo marqué par la jambe de bois du dictateur Santa Anna. Juárez et les libéraux ont vaincu l’ordre conservateur, l’empire de Maximilien et l’occupation française. Depuis lors, le Mexique lutte pour concilier l’ordre et le mouvement, les institutions et l’expansion. Je me dis et je mendie (je me dis mendiant), les millionnaires de mon enfance étaient presque des miséreux par rapport aux millionnaires d’aujourd’hui, mais ces derniers cohabitent avec une société très diverse, nombreuse, plus de cent millions d’habitants qui luttent pour s’en sortir et trouver leur place au soleil, coûte que coûte.
(…)
Non : ce qui est vraiment mauvais, pervers, terrible, c’est la nouvelle classe criminelle qui est en train d’usurper les pouvoirs petit à petit, à la frontière, puis en allant vers l’intérieur. Le flic illettré d’abord, le politique éclairé ensuite, tout ça sans intermédiaire personnel : d’où sortent-ils ces nouveaux criminels ? Ils ne sont ni paysans, ni ouvriers, ni de la classe moyenne, ils appartiennent à une classe à part : la classe criminelle, née, comme Vénus, de l’écume de la mer, de l’écume d’une bière chaude renversée dans un troquet minable. Ce sont les enfants de la comète. Ils corrompent, séduisent, font chanter, menacent et finissent par s’emparer d’une commune, d’un Etat, un jour du pays tout entier…
Ce qui est malheureux, c’est qu’il faut parfois, pour un résultat heureux, avoir recours au pire.
Et c’est ce qui m’arrive maintenant.
Inutile de redouter une insurrection de petits délinquants comme celle-ci, Presidente, ou une impossible révolution comme celles d'autrefois. redoute plutoôt le tyran qui arrive au pouvoir par le vote et devient un dictateur en ayant été élu. C'est cela qu'il faut craindre.
//----Dédicace : ----//
Aux amis du samedi,
Max Aub, Joaquín Diez-Canedo,
Jaime Garcia Terrès, Bernardo Giner de los Ríos,
Jorge González Durán, Hugo Latorre Cabal,
José Luis Martínez, Abel Quezada,
et, surtout, José Alvarado,
qui m'a fait comprendre cette histoire
//---- Titre original : La Desdichada ----//
Nouvelle extraite de Constancia et autres histoires pour vierges (Constancia y otras novelas para vírgenes - 1990)
//---- Langue originale : espagnol (Mexique) ----//
En effet, elle l'attendait devant les viandes froides habituelles qu'Alejandro avait décidé de manger sans crainte, car il s'était dit que sa seule porte de sortie était de se comporter normalement, comme si de rien n'était, sans participer à l'opacité croissante du mystère organisé, il s'en rendait compte, par les soeurs ennemies.
Les paroles d'un poème ne recommencent à "être",
parfaites ou imparfaites,
que lorsqu'elles coulent de nouveau,
c'est-à-dire lorsqu'elles sont dites - "dichas".
"Dicha" et "des-dicha" (heur et malheur : béné-"diction" et malé-"diction") :
le poème que je suis en train de traduire s'intitule "El Desdichado",
mais l'original français ne contient pas ce fantôme verbal
de la langue espagnole,
dans laquelle dire consiste non seulement à rompre le silence
mais à exorciser le mal.
Le silence c'est dé-dire ("des"-"decir") : une "des"-"dicha".
La voix est dire ("decir") : une "dicha".
Le silencieux est le "des"-"dichado",
celui qui ne dit pas ou qui n'est pas dit -
le maudit.
La violence de l'histoire du Mexique constitue un grand facteur de nivellement.
Celui qui se trouve un jour à la cime se réveille le lendemain,
si ce n'est dans l'abîme,
en tous cas dans la plaine :
le marais des classes moyennes
dont la majeure partie s'est formée à partir des déchus appauvris d'aristocraties éphémères.
L'habitude augmente le plaisir mais tue l'amour.
Celui qui dira que la création du corps humain est l'oeuvre du diable et que la gestation dans l'utérus de la mère est le résultat de l'oeuvre de démons,qu'il soit frappé d'anathème,qu'il soit frappé d'anathème.....................................................................
Il est plus dangereux de fermer les portes que de les ouvrir.