Il fait bleu sous les tombesCaroline Valentiny
Éditions Albin Michel
Alexis, un jeune homme de 20 ans, vient de mourir. Enterré dans un cimetière de campagne, il perçoit encore la vie autour de lui et guette la visite de ses proches. Pour tenter d'apaiser son chagrin, sa mère retrace le parcours de son fils et retrouve son mentor, un professeur d'université trouble et charismatique. Premier roman. ©Electre 2020
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Madeleine prit une craie et écrivit au tableau d’un trait grinçant et appuyé: « La mort, c’est un peu comme la connerie. Le mort, lui, ne sait pas qu’il est mort… Ce sont les autres qui sont tristes. Le con, c’est pareil… »
Jamais dans le passé il ne s’est trouvé sans voix devant l’élégance des tournures d’esprit d’un étudiant imberbe. Une telle clairvoyance surprend chez un garçon qui semble pendu à un cintre.
[Chapitre 2]
Il expirait sans fin. Doucement il se posait. Comme un baiser peut être, comme la note la plus basse que peut gémir un violoncelle. Son cœur ne battait plus. Le souffle de son désir s’échappait dans les graves. Ses yeux ne cherchaient plus. Le monde battait encore, mais en dehors de lui. Il l’entendait, alentour, sans plus rien dire, sans rien faire. En lui, petit à petit, montait le silence.
[Chapitre 2]
Évaluation de fin d’année, en maternelle. Qu’est-ce que c’était encore que cette invention-là. Qu’évaluait-on à cinq ans? La précision du picotage, lard du non-dépassage ? Il fallait que chaque enfant soit dans les temps, en avance sur le temps même, qu’il n’aille pas manquer une étape, celle des lacets par exemple, celle du pipi, celle de l’intégration sociale, de la capacité d’abstraction, de la première révolte, de… Cela valait bien la peine de se presser, si c’était pour finir dans une tombe à vingt ans.
C’était un bel après-midi de printemps. Les feuilles des arbres bruissaient légèrement sous la brise et le soleil accrochait ses rayons sur les pierres tombales comme si tout devait durer toujours. Il vint à peine à l’esprit de Madeleine qu’un tel endroit puisse recéler tant de beauté. Elle abandonna le prêtre à ses étranges paroles et laissa son esprit la porter jusqu’aux cimes des arbres. Là, il se pouvait que son fils ne fût pas mort. Elle s’appuya un peu plus fort sur le bras de son mari. D’une légère pression de la main il lui fit savoir qu’il la soutenait. Mais depuis quelques jours plus rien ne soutenait Madeleine.
Elle regarda distraitement la première pelletée de terre s’éparpiller sur le bois du cercueil. Elle songea à s’allonger près d’Alexis et à laisser la terre la recouvrir à son tour. Dieu sait pourquoi elle ne le fit pas. Sans doute ne raisonnait-elle plus très juste. Car il n’est pas juste qu’une mère continue à se promener à la surface du monde quand son fils dort dessous.
[Chapitre 1]
Il n’y a jamais de bonne raison pour s’excuser d’être là où on est.
[Chapitre 2]
« Par les fentes de l’éternité
Nous parlerons ensemble
Cherchant nos souffles
Peu à peu laissant nos voix
Se réaccorder
Toi ciel moi terre
Nous parlons longtemps longtemps
Jusqu’à ce que l’été
Nous couvre de volubilis » ...
Anne Perrier , Lettres perdues .
« Elle voulait retourner là où il avait passé ses dernières journées , en palper l’atmosphère , approcher, du moins tenter de supporter , le vide terrible à l’intérieur.
Penser était une torture ; elle avait besoin de toucher, de sentir , de
respirer » ....
« Elle transpirait , elle dégoulinait sa peine par tous les pores , elle marchait reliée à Alexis par l’air et le silence , elle marchait sous sa poussée .
Il y a la lumière du fleuve et le sel sur sa lèvre. Il y a les feuillages tremblant au loin. Il y a son fils mort et l’écho de ses pas qui lui massent le cœur » ...
Je m'assieds deux minutes sur un banc pour reprendre mon souffle. Mais au moment où je m'assieds, le paysage s'assied avec moi. Les couleurs tombent, la brise se fige, l'odeur des arbres disparaît, comme ça, sans prévenir.