Catherine Delors, femme de lettres et auteure de romans historiques, nous éclaire sur le complotisme et le féminisme à la fin du XVIIIe siècle.
Son nouveau livre, "Blanche et la bonne étoile", est paru le 4 mai 2023 aux Éditions Héloïse d'Ormesson.
Ceux qui disent que le temps atténue la douleur du deuil ne connaissent rien du chagrin.
A l'époque, les maîtresses se divisaient en deux catégories. Les premières étaient mariées ou veuves, de rang égal à celui de leur amant. Ces liaisons ne s'affichaient pas de façon scandaleuse. Et puis il y avait les femmes que l'on entretenait. Elles recevaient, au vu et au su de tous, une compensation financière pour leurs services. Elles étaient à peine au-dessus des prostituées, si ce n'est qu'elles étaient censées réserver leurs faveurs à leur protecteur.
Je ne pense pas, madame, avoir jamais rencontré quelqu'un d'aussi répugnant. Ces dames ne doivent pas être bien difficiles.
Avec l'innocence et l'arrogance de ma jeunesse, je pensais maîtriser le cours des événements. J'aurais dû me souvenir d'une chansonnette en langue d'oc que me chantait Mamé Labro de sa voix haut perchée :
Fillettes de quinze ans,
Qui avez des galants,
Ne les aimez pas tant.
- Tu oublies, chère citoyenne, que nous sommes tous nés libres et égaux en droits.
- Non, je ne l'oublie pas. Et justement, puisque je suis libre, je n'appartiens à aucun homme.
- Mais nous ne parlons pas de la liberté des femmes ici, mais de l'égalité entre les hommes! Si tu refuses les avances d'un homme au prétexte que tu en aimes un autre, tu violes le principe d'égalité.
- Sottises! Je n'ai pas besoin d'alléguer quoi que ce soit pour décliner les attentions d'un homme qui ne me plaît pas. Crois-tu donc qu'une femme a non seulement le droit, mais le devoir de se donner à tout homme qui sollicite ses faveurs?
- Absolument.
- Et quelle liberté aurais-je si je ne pouvais l'utiliser pour envoyer au diable un homme qui ne me plaît pas?
- Ah, mais tu ne le ferais pas au nom de la liberté! Tu le ferais par pudeur. Ce sentiment méprisable n'existe pas dans la nature. La preuve : les animaux ne sont pas pudiques.
- Mais nous ne sommes pas des animaux. Tes opinions, citoyen Lacoste, reflètent le mépris le plus absolu pour les droits des femmes.
- Les femmes n'ont pas de droits. Selon moi, la loi devrait établir des maisons de prostitution où tout homme pourrait convoquer, par la force publique au besoin, toute femme qu'il convoite. Je soutiens que cette règle devrait s'appliquer, quel que soit l'âge de la femme.
- Même si c'était une enfant?
- Évidemment. Et même si c'était la fille ou la sœur de l'homme en question.
- Citoyen Lacoste, tes idées sont pour le moins répugnantes .
- L'inceste, la sodomie, le blasphème, l'adultère, tous ces crimes dits religieux sont maintenant abolis. C'est l'un des plus grands acquis de la Révolution. Mais il faudrait aller beaucoup plus loin. Le mariage, à mon avis, devrait être interdit. Ce n'est rien d'autre qu'une forme de servitude.
Mais il me semble que tu as bien vite oublié comment les affaires de justice étaient menées sous l'Ancien Régime. Je l'ai vu de mes yeux quand j'étais avocat. Les juges d'alors, ces juges qui nous méprisaient tant pour avoir été nommés par les élus du peuple, avaient acheté ou hérité leur charge. Il n'y avait pas de jury. Beaucoup d'accusés, les pauvres évidemment, n'avaient pas d'avocats. La procédure pénale était secrète. Même l'accusé et son avocat, s'il en avait un, n'avaient pas accès au dossier de l'accusation. Ils allaient à tâtons, sans connaître les preuves. Comment voulais-tu te défendre, dans ces conditions ?
Je ne saurais dire, citoyenne. Avant la Révolution, mon père était chiffonnier. Il fréquentait assez peu les salons.
Certes, pour son père, Fouché était le pire des scélérats : impitoyable envers ceux qui tombaient en son pouvoir, servile envers ses supérieurs, prêt à trahir tout le monde dans la poursuite de son propre intérêt. En revanche, pour Roch, c'était un protecteur providentiel.
Après cinq jours de voyage, le chevalier annonça que nous approchions de Paris. J'ouvris la fenêtre et me penchai au-dehors, impressionnée par la taille de la muraille fortifiée qui se construisait autour de la ville. Nous franchîmes une porte inachevée, ornée de colonnes dans le style antique. La poussière de la construction me fit tousser.
- Au moins, Paris sera défendu.
Le chevalier haussa la voix pour couvrir le tonnerre des marteaux et des cris des ouvriers.
- Ceci n'a rien à voir avec la défense de Paris, madame. Ce mur est construit tout autour de la ville au profit des fermiers généraux, pour empêcher les denrées alimentaires d'entrer en ville sans être taxées aux barrières d'octroi.
Il secoua amèrement la tête.
- Je crains que ce mur n'enflamme la populace. Les fermiers généraux sont déjà haïs. Ils sont chargés de la collecte des impôts et versent au trésor royal un montant fixe. Maintenant, ils seront accusés d'affamer Paris.
Je me déshabillais, ne gardant que mon corset et ma chemise que je nouai autour de mes cuisses. Je m'avançais prudemment dans la rivière. les bras écartés, attentive à ne pas glisser sur les pierres arrondies du fond.