Ce soir, tout le monde ne parle que d’argent. Deux ou trois cents personnes entre vingt et quarante ans, agglutinées les unes aux autres, se cherchent, s’épient, s’approchent, se quittent sans formalité après s’être échangé leurs cartes de visite. Que des hommes ! Il n’y a que des hommes ! Je ne sais pas si c’est la féministe en moi qui se révolte ou la célibataire qui se réjouit...
J’ai besoin de faire de cette histoire qui commence une belle histoire. Belle, simple, naturelle. Comme si c’était la première fois.
Comme toujours avant d'interviewer un grand patron, là, une grande patronne, j'ai le trac. Pour essayer de me détendre, je m'enfonce dans un fauteuil en mousse rouge. Au dernier étage de cet ancien atelier industriel new-yorkais, je m'imagine de retour à l'école maternelle : un plateau ouvert et lumineux, des murs de couleurs acidulées et des ordinateurs qui ressemblent à de gros jouets, tout semble conçu pour travailler en s'amusant. Les employés jouent à la start-up dans leur petit bureau en cubicule : ils ont l'air tellement heureux de créer le premier des magazines féminins sur Internet. Il y a de quoi, ce sont tous de nouveaux millionnaires. Leur société vient d'entrer en Bourse, cotée au Nasdaq et l'action a triplé dès le premier mois. Ce n'est pas à moi, en France, en travaillant à la télé, que ça risque d'arriver...
Ma prochaine émission traite de l'incroyable succès d'Internet aux États-Unis. Il n'y a eu encore aucun reportage dessus en France, faut se dépêcher, c'est dans l'air. Après une semaine passée dans la Silicon Valley, j'ai les nerfs qui débordent de jalousie. Tous, tous, tous, ils ne parlent que d'argent, en millions de dollars, des millions qui coulent comme du sang frais dans le gosier d'un vampire. Ils doivent me mépriser, moi, pauvre journaliste d'un pays du tiers-monde numérique venue les admirer dans leur parc technologique.