Tout l’art de l’édition consiste à publier un très bon texte au bon moment. Gallmeister a su se saisir d’une excellente dystopie pour le publier au meilleur moment possible.
La fin des hommes est un roman qui nous parle intimement d’un phénomène dont on aurait préféré se passer : en 2025, une maladie extrêmement contagieuse se propage dans le monde entier, et ne touche que … les hommes.
De mon point de vue, ce livre est publié à point nommé. Sorti avant la pandémie de Covid19, il serait passé inaperçu ou n’aurait intéressé qu’une minorité d’amateurs de dystopie. Sorti au coeur de la pandémie, personne n’aurait eu envie de lire un livre lui rappelant ses propres angoisses. Mais aujourd’hui, deux ans « officiellement » après le début de la pandémie, les vagues se succèdent mais font moins de dégâts grâce au vaccin, alors oui, ce livre nous rappelle ce que nous avons vécu, mais en prenant un angle différent : 90% de la population masculine décède, les 10% restant étant étonnamment immunisés.
Quel tour de force ! Je suis épatée par la prescience avec laquelle l’autrice a imaginé toutes les conséquences d’une pandémie en 2025. Il faut lire l’avant-propos pour découvrir que l’autrice a commencé l’écriture de ce roman en septembre 2018 et en a fini le premier jet en juin 2019. Elle y a apporté des corrections jusqu’en avril 2020.
Malgré tout, tous les sujets sont abordés tels que nous les avons connus : la lenteur des autorités à se saisir du problème, les gens qui essaient de fuir à l’étranger, contaminant ainsi des populations jusque là protégées, engendrant l’interdiction de voyager, la quarantaine, les cérémonies funéraires par webcam, l’espoir et la nécessité d’un vaccin. Bref, l’autrice est entrée dans les détails pour imaginer les effets d’une pandémie sur la population jusque dans le quotidien de chacun.
Elle propose une galerie de personnages féminins importante, ayant toutes des fonctions différentes : Amanda est le médecin urgentiste qui a découvert la maladie. Catherine est une anthropologue, mariée à Anthony, avec qui elle a un fils, Theodore. Il y a également Elizabeth, une jeune scientifique américaine envoyée en urgence au Royaume-Uni pour aider les équipes britanniques à développer un vaccin. Lisa, est une doctorante canadienne, convaincue qu’elle sera la première à le créer. Rosamie, une jeune gouvernante philippine doit s’occuper de deux enfants à Singapour. On trouve des articles du Washington Post rédigés par une certaine Maria Ferreira qui va consacrer sa carrière de journaliste au Fléau et son effet sur l’humanité. Il y a encore d’autres personnages, ma liste n’étant pas exhaustive.
Chacune à leur manière raconte leur vie, les nouvelles obligations qui leur incombent. Aucune femme n’était préparée à ce que les hommes disparaissent de la surface de la planète. Ce n’est un secret pour personne, aujourd’hui les hommes sont aux plus hautes positions dans les entreprises, ils sont majoritaires dans des secteurs comme l’armée, la police, la politique, la logistique, les métiers manuels. Ils sont partout et ont crée le monde à leur image, à leur convenance.
Comment les femmes s’organisent pour prendre la relève ? Pour organiser des secours, protéger la population, évacuer les corps, prendre des mesures afin que le Fléau n’échappe pas aux mains des autorités ?
On va voir qu’avec les flux migratoires, les déplacements professionnels, et surtout le fait que les femmes sont asymptomatiques, les hommes ne l’étant que 2 jours avant de décéder, ce virus (dont on connaîtra heureusement l’origine) se propage à une vitesse hallucinante. Les hôpitaux n’ayant aucun moyen de soigner ces hommes, on les refuse à l’entrée, ils finissent par mourir chez eux, souvent seuls. Commence pour les femmes un travail de deuil, tout en continuant à travailler, à s'occuper de leurs filles ou à organiser le rationnement.
Puis viendra « le monde d’après » , dans lequel il est difficile de rencontrer des hommes, d’avoir des enfants.
Un chapitre est consacré à la communauté trans, des passages mettent en lumière la difficulté d'être homosexuel dans une société où il ne reste que 10% d’hommes. Quelles femmes seront prioritaires pour les FIV ?
J’ai le sentiment que l’autrice a mis l’accent sur le deuil d’une femme, Catherine. Toutes les femmes (ou presque) ont perdu un mari, un père, un frère, ou encore un fils. J’ai trouvé que le sujet du deuil était trop présent, trop longuement développé, et j’avoue ne pas m’y être reconnue du tout. Je manque peut-être d’empathie à ce sujet… je comprends cependant ce fort sentiment de jalousie quand d’autres femmes ont encore la chance d’avoir un mari, de pouvoir procréer naturellement, tandis que Catherine a perdu le noyau de son existence et la possibilité d’une famille.
C’est vraiment le pitch qui me plaisait : la fin des hommes. Une société matriarcale, comment ça se met en place ? quelles mesures sont prises ? peut-on faire mieux que le monde construit par et pour les hommes ? qu’est-ce qu’on développe pour créer un monde pour les femmes ? C’était ça que je voulais lire, surtout. Bon, j’ai quand même eu des réponses, mais ce côté intime du deuil a pris le dessus sur l’organisation d’une société nouvelle.
Il y a beaucoup de dialogues, des passages correspondant à des e-mails, et finalement peu de descriptions de ce à quoi ressemble ce monde sans les hommes. Par exemple, a-t-on laissé plus de place à la nature ? je crois que j’aurais aimé en savoir plus sur les mesures écologiques et économiques : les femmes continuent-elles de payer leur crédit aux banques ? Les banques existent-elles encore ? J’aurais pu lire encore 100 pages de plus sans problème si ces sujets avaient été développés.
Je suis subjuguée par l’imagination de l’autrice. Egalement par sa capacité à imaginer les relations entre les femmes vivant des expériences différentes (quelles sont les priorités de chacune ? comment supporter que son amie ait encore son mari, puisse encore avoir des enfants avec lui ?) Ou par sa mise en scène de quelques hommes face à ce Fléau (qui déserte ? qui fait face ? comment accepter de voir la mort s’approcher de si près ?).
Sa plume est simple et souvent factuelle, mais parfois on sent percer des sujets importants qui touchent l’autrice, parce que le ton est plus vindicatif, plus impliqué. En faisant le pari du roman choral, elle apporte une véritable dynamique, abordant des sujets intéressants sous différents vécus.
Un passage m’a fait rire jaune : « J’ai l’impression que la planète entière vient de pousser un soupir de soulagement. Ouf. Elles ont réussi. On a survécu. Dieu merci, putain. Je viens juste d’affronter le Fléau, je refuse de faire face à une Troisième Guerre mondiale avant la retraite. Hors de question. »
Voilà. Personnellement, j'aurais aimé qu'on évite une nouvelle guerre après 2 années de pandémie (qui n'est toujours pas finie d'ailleurs !)
Depuis quelques jours, je traînais sur des lectures qui ne m’emballaient pas plus que ça. Alors quand j’ai senti cette envie irrépressible de lire ce livre, j’ai cédé et je l’ai dévoré, c’est un page-turner intelligent.
Si vous n’êtes pas un.e grand.e adepte des dystopies, celle-ci est absolument abordable. Elle énervera peut-être quelques mâles cis blancs (et oui comment se passer d’eux, même dans un roman ?!), mais elle donnera à réfléchir sur la place des femmes dans la société.
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