Christina Sweeney-Baird in Conversation with Christina Dalcher
Je pensais que virer Raymond m'apaiserait. De fait, je suis dépitée. Je pensais me sentir vengée, vivante, prête à avancer. Je pensais éprouver du soulagement, sachant que cet homme minable et incompétent était hors d'état de nuire. Cela semble si simple puis, une fois l'acte accompli, on se rend compte à quel point il est vide de sens. Je viens de découvrir sur le tard que désigner un bouc émissaire est une solution de facilité. Qu'arrive-t-il lorsque vous avez dénoncé le coupable ? Le monde ne change pas pour autant. Que fait-on ensuite ?
Ceux qui ont survécu sont désespérés et les plus grandes découvertes scientifiques naissent rarement du désespoir. Une persévérance sereine est bien plus susceptible de remporter la bataille.
Maintenant, pour parler des gens, on dit " les femmes ". Je n'aime pas ça. Je l'ai fait remarquer à une prof de sociologie. Selon elle, c'est une question de majorité. À mon avis, ce n'est pas une raison suffisante pour ignorer les hommes qui ont survécu. Je n'ai pas insisté, parce que je ne veux pas m'attirer d'ennuis.
Pourquoi les hommes mauvais survivent-ils ? Il doit y avoir une erreur.
Les femmes n'ont pas inventé Le Fléau toutes seules. Les bêta ont sacrifié leur genre pour que la gynarchie puisse nous détruire. Et je sais comment ça va se terminer. Les hommes vont être affectés aux fermes et aux travaux forcés. Ils serobt obligés de donner leur sperme pour que les femmes continuent à procréer sansxeux. Nous assistons à la fin des hommes.
J'étais si convaincue d'avoir causé la perte de ma famille qu'il m'était impossible d'écouter mon désir d'enfant. Je veux un bébé. Je veux être une mère à nouveau. Je veux m'ouvrir à la vie au lieu de ressasser mon deuil. Vivre et survivre sont deux choses très différentes.
-Rappelez- leur qu'avoir un travail, c'est avoir un but. Même si on n'en veut pas, un travail est une raison de se lever le matin. C'est avoir un avenir auquel on ne croyait plus.
Je suis censée rentrer dans trois semaines, juste à temps pour reprendre le travail en janvier. « Le Fléau européen est voué à disparaître, Elizabeth, a déclaré mon supérieur. De toute évidence, il comporte un élément génétique. » Son arrogance est à couper le souffle. Nous ne sommes généticiens ni l’un ni l’autre. J’aimerais posséder cette assurance, cette confiance en ma propre opinion qui me permettrait d’affirmer qu’un virus comporte un élément génétique bien que je ne connaisse rien à la génétique et que je n’aie jamais observé ledit virus sous un microscope.
Je suis toujours à Devon. Rester ici n'a aucun intérêt, pour autant, je ne peux me résoudre à partir. J'ai commis le premier crime de ma vie : j'ai enterré mon fils. Drôle de manière d'enfreindre la loi, après des années d'obéissance civile scrupuleuse. Je n'aurais pas supporté que l'on emporte le corps de mon fils pour l'incinérer. Je n'ai rien, ni objet ni endroit, pour commémorer Anthony. Je refus d'être privée de Théodore aussi.
- Vous avez perdu qui? Qui dans votre famille est mort ?
Jamais on ne m'a posé la question de manière si directe.
- Anthony, mon mari et Theodore, mon fils, dis-je d'une voix douce.
Déconcertée, je sens monter les larmes.
- Je demande, comme ça ils ne sont pas oubliés, dit Poppy. Vous vous souvenez d'eux et moi aussi, maintenant.