Payot - Marque Page - Damien Murith - Dans l'attente d'un autre ciel
Le ciel est lourd et bas ; les nuages comme des forçats le tienne à bout de bras.
Le froid a roulé le long du mur , il dessine sur la vitre des toiles de cristal.
Mathilde aperçoit le reflet de son visage, et les toiles de cristal sont des rides qui se collent à ses joues, qui les creusent, qui les érodent, comme fait l'eau des rivières avec la pierre, comme font les larmes avec la peau, alors son ventre se serre, se noue, et dans la chambre désolée se répand le parfum gris des fleurs fanées.
Je suis la boiteuse, la tordue, la désarticulée.
Ils me disent : "Vilaine !", ils me disent "Sorcière !", et leurs yeux brillent rouges comme ceux des fous.
Qu'ils me pendent ! Qu'ils me brûlent ! Mes lèvres auront toujours assez de force pour cracher.
Mon corps est une ruine; les ronces le rongent. Comme des larmes, elles pénètrent ma chair, lacèrent peau, muscles, tendons, enserrent mes os qui se fendent, qui éclatent comme la roche quand le gel étrangle, et dans mes veines vibre un sang barbelé, il cherche le coeur, le trouve, le met en pièce, la douleur m'assiège, elle brûle, elle écrase, elle arrache, elle crucifie, ma bouche aux sourires morts s'ouvre, crie : "Vos âmes sont des taudis, je vous hais ! je vous maudis ! et avec mes ongles, je gratterai la terre pour y creuser vos tombes !".
Au pied des hauts sommets, la douleur en bandoulière, nous retournerons chercher notre dignité. Car la dignité n'est pas la capacité de faire. Elle est l'éclat du regard, la fraicheur du verbe.
Elle est le désir de vie.
Devant le miroir, Césarine coiffe ses cheveux, hésite, puis ose : met du pourpre sur ses lèvres.
Elle regarde son reflet, elle voit sa peau blanche, ses lèvres maintenant rouges, et son visage, comme un hiver blessé.
Elles sont assises à la table.
Leurs yeux sont pleins de silence.
Dehors, les arbres sont blancs de givre, et le ciel les suce.
Le temps glisse, nous échappe, s'éloigne du rivage comme l'eau des marées basses. A défaut d'ancrage, nous fixons le temps dans l'éternité d'un éclat de rire.
La honte, avec sa dégaine de chien battu, avec son visage empourpré, suant le feu de tous les péchés, avec ses regards fuyants, et sa bouche qui se tord ridicule en pardons incessants, si nombreux qu'ils n'ont plus aucune valeur, à part celle peut-être d'en être conscient, mille fois nous avons demandé pardon, pardon d'avoir mal, pardon de ne pas savoir guérir, pardon d'en avoir honte.
Nous sommes les survivants des jours hérissés de peut-être. Nous sommes les athlètes du tenir bon, du ça ira mieux demain. Enfermés dans une parenthèse de fer où ne vient rôder que la douleur, nous attendons, le regard figé, le corps entaillé jusqu'à l'os, que se pose sur nos lèvres le baiser d'un autre ciel.
L’eau froide de la mer ruisselait sur mes épaules, faisait autour de mes hanches comme une crinoline d’argent, et ses mains tremblantes qui doucement venaient vers moi, d’une brasse impatiente l’ont défaite.