Dans son nouveau livre, "De l'inconvénient d'être russe", Diana Filippova dresse un portrait sans concession de la Russie contemporaine.
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Le malheur des autres se mesure toujours à l'unité de souffrance du peuple russe; s'il est inférieur, c'est comme s'il n'avait jamais existé. Il ne faudrait pas que l'autre vous divertisse des tourments de votre propre cuisine, vous détourne du frigo encore plein.
Pour que les Russes se soulèvent, il faut que le feu se mette à manger leur cuisine.
Valentin est mon prénom, de nom je n'ai pas, ou alors je l'ignore, comme j'ignore mon âge. Je me donne cinquante ans, mais je pourrais en avoir dix de plus ou dix de moins. Grand échalas un peu voûté, cheveux d'un blond moyen, joues plates, front lisse. Dans le miroir voilé, l'homme qui me toise d'un regard clair est un fantôme. Sur son visage, rien n'imprime, ni la joie, ni le chagrin, ni le doute, seulement une stupeur de bas régime, l'abêtissement ténu des gens qui n'ont de mémoire que la courte traîne du présent.
C'est l'histoire d'une femme française, métisse dans le pays où elle est née, formée avant toute chose par la littérature du monde entier, écrivant en français. C'est l'histoire d'une femme russe qui depuis sa plus tendre enfance a décidé de ne plus l'être. C'est l'histoire d'une lente désunion et du commencement de la réconciliation.
Cette histoire en dit autant de la Russie que de la France.
On dit que Paris est rude, intense, brutale. C'est aussi ce que les Russes disent de Moscou lorsqu'ils ne s'y trouvent pas. Elle m'a semblé, dans l'anonymat, dans l'indifférence à l'autre, infiniment plus douce que la surveillance de tous par tous de ces villes qu'on dit à taille humaine. Ici, je pouvais faire ce qui me chantait, tout le monde s'en fichait. Prendre le métro, marcher pendant des heures, admirer la succession d'architectures bigarrées, flâner dans les librairies, me faire une toile. La vie qui pulse, l'euphorie de l'instant comme figé pour l'éternité, rien n'est plus, tout est possible.
Les métavers, que ce soit dans l’imaginaire de la pop culture ou dans notre société, ont toujours fasciné. Ils permettent de mettre en tension de grandes dichotomies anthropologiques qui structurent notre perception de la réalité : entre la vie physique et la vie virtuelle, d’un côté, et entre la figure de l’humain ordinaire et de l’humain augmenté, d’un autre côté.
Les métavers offrent la possibilité à chaque personne de s’émanciper de sa condition d’humain ordinaire et de faire exister ses mythes. Avec les avancées technologiques, devenir soi-même un dieu ou un héros n’a jamais semblé aussi simple.
Pour autant, l’ensemble de la population ne partage pas cette vision du monde : le métavers peut également représenter une dérive sociétale, et même conduire à la montée de la technophobie. Car croire au métavers, c’est croire en un mythe, celui non seulement du progrès, mais également celui du paradis perdu : c’est grâce à la technologie et aux mondes virtuels qu’un Éden virtuel s’ouvrira à l’humanité.
Le mythe du métavers représente un système de communication, comme l’expliquait le sémiologue français Roland Barthes, qui permet de faire passer des idées, des valeurs et même d’assurer le maintien de l’ordre social. (…)
Le mythe du métavers repose sur un système linguistique spécifique, celui d’un nouveau monde, présenté comme un Eldorado. L’utopie numérique va donner du sens aux actions quotidiennes et l’univers immersif et virtuel, lui, va donner une illusion de cohérence entre le nouveau monde promis et les initiatives mises en place dans un univers (concert, défilé de mode, etc.).
La signification du métavers se construit alors par la mise en lien entre l’objet (c’est-à-dire l’univers immersif et virtuel) et la double idéologie à l’origine de ce mythe. En fonction de l’idéologie dominante privilégiée par une personne, le métavers sera perçu comme une avancée sociétale ou, à l’inverse, une régression culturelle.
Rien n’a vraiment changé depuis 2021. D’ailleurs, aujourd’hui en 2050, le constat demeure le même : les métavers apportent l’espoir à tout un chacun de devenir un héros virtuel mais ne promettent pas un nouveau monde. (Fanny Parise)
Je n'ai pas pris la mesure de tout ce qu'emporte un tel façonnement autoritaire de mon identité. Au fond, je me rebiffe contre l'idée qu'une grande partie de nous est déterminée à notre insu. Ce que je voudrais, c'est être le pur et absolu artisan de moi-même.
Quel échec.
Quel soulagement, à l'inverse, de se laisser envahir par les vagues des choses qui font que nous sommes tels que nous sommes sans qu'on y puisse quoi que ce soit.
Tout à coup, jusqu’à mon nom de famille, mon lieu de naissance, ma langue maternelle, la guerre me ramena à ce que je n’avais plus voulu être.
Il n’a jamais bien compris ce que racontent les historiens ou les anthropologues. Pour lui, c’est une évidence indiscutable : l’être humain a toujours voulu se dépasser. Un point, c’est tout. Il se souvient d’avoir écouté une conférence qui traitait de l’origine du culte contemporain de la performance – une conférence qui le mit en rage. L’orateur y soutenait que, jusqu’au XVIIIe siècle, l’ambition de dépasser ses limites et d’établir des records était proprement absurde et même jugée pathologique. Les Grecs applaudissaient sur les stades l’exploit de ceux qui prétendaient approcher des modèles divins, mais ils n’attendaient pas d’eux qu’ils deviennent des dieux. Dans un monde qui excluait l’indéfini du progrès et qui pensait le temps comme circulaire, le plus sage était pour chacun de rester à sa place. Et ce préjugé qui dissuadait de cultiver la performance – ou invitait à la réserver aux héros – eut la peau dure. Toute une littérature hygiéniste, rappelait le conférencier, a incité les hommes pendant des siècles à observer les règles de la médiocrité. L’idée de définir l’humain comme un être indéfiniment perfectible est apparue au siècle des Lumières, et la volonté d’inscrire l’excès au cœur de la pratique sportive a été introduite par Pierre de Coubertin à l’aube du XXe siècle. « Citius, Altius, Fortius » : la devise olympique n’est décidément pas une loi dictée par la nature, et notre auditeur, persuadé de la prédestination de l’humain à augmenter ses performances, aurait bien dû réviser son jugement. À moins de mépriser les leçons de l’histoire…
Il méprisera l’histoire. Car l’heure de « l’homme augmenté » a selon lui sonné, non pas comme un événement culturel, mais comme l’aboutissement d’une nécessité attachée à l’évolution de l’espèce biologique elle-même. Et le voilà donc, émule des technoprophètes de la Silicon Valley, proclamant une nouvelle Renaissance : celle qui nous arrachera à des siècles d’obscurantisme et au diktat des loins naturelles. (Jean-Michel Besnier)
Dans le miroir voilé, l’homme qui me toise d’un regard clair est un fantôme. Sur son visage, rien n’imprime, ni la joie, ni le chagrin, ni le doute, seulement une stupeur de bas régime, l’abêtissement ténu des gens qui n’ont de mémoire que la courte traîne du présent.