« La Révolution, se dit Ito Baraka, est un grand mot, une terrible bête à cornes qui emballe et gobe ce qu'elle veut, des vies surtout, avec ce qu'elles contiennent de chair, os, sang et voix. C'est ce temps où lui et ses compères furent avalés par la Bête qu'il essaie de retrouver dans son cahier, ce temps qui l'attriste et le fascine à la fois, comme un vieil objet que l'on veut sortir d'une malle pour voir s'il aurait sur nous le même effet qu'il y a longtemps, ou si sa beauté, à nos yeux d'antan enfiévrés, avait pu être trompeuse. Parce que tout cela est loin maintenant, à l'instar du dernier sanglot étouffé de sa mère dans un hall d'aéroport le jour où il a quitté le pays. Il y a de cela vingt ans. Peut-être plus. Il tente de ressusciter ce monstre qu'ils avaient nommé La Révolution, dans l'emballement des coeurs jeunes et le fracas des rues. »
J'avoue avoir refermé Explication de la nuit avec un certain soulagement, et cela n'a rien à voir avec l'oeuvre en elle-même, sa qualité littéraire ou la force de sa narration. le titre est particulièrement évocateur, tant de la vie sous une dictature que de la nuit dans laquelle est plongé Ito Baraka, un « disparu », emprisonné et torturé dans un camp de détention alors qu'étudiant en 1980, il a manifesté contre le régime en place. du Vieux-Hull à Gatineau au Québec où il vit maintenant, se sachant gravement malade, il sent un besoin impérieux de revenir sur ces événements qui l'ont profondément meurtri et qui le hantent, qu'il couche sur le papier avant qu'il ne soit trop tard. L'auteur, qui réussit particulièrement bien à rendre la désespérance d'un peuple sous un régime totalitaire, écrit: « Toute ressemblance entre cette fiction et une quelconque réalité serait bien intéressante… et triste. ». Au même moment, j'ai lu dans le journal La Presse un article d'Alexandre Sirois du 6 novembre 2023 dans lequel le journaliste écrit que 72% des habitants de la planète vivent actuellement « sous une forme ou une autre de régime totalitaire », un recul aux années quatre-vingt qu'évoquent Awumey... Triste et affligeant, en effet…
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« Longtemps, nous avons été sur les routes, mon fils. Et partout, on nous a appelés les pieds sales. Si tu partais, tu comprendrais. Pourquoi ils nous ont appelés les pieds sales. » Ainsi parlait la mère d’Askia lorsqu’il était enfant, tous deux exilés et revenus d’un périple à pied dans le Sahel, ayant perdu en chemin la trace du père, Sidi Ben Sylla Mohammed. En fuite lui-même à quarante-sept ans, Askia est maintenant chauffeur de taxi sans papiers à Paris et court la clientèle la nuit. En constante recherche de son père, l’homme au turban blanc, il croit l’apercevoir au détour des rues et s’en persuade au contact d’une photographe qui affirme l’avoir pris pour modèle une dizaine d’années plus tôt.
Un récit peuplé d’errances, de fantômes, d’idéaux brisés et de fatalité, fort bien écrit et construit, et dont la brièveté agit ici comme une fulgurance. Une lecture belle et triste par un après-midi ensoleillé et venteux.
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Leonora Miano invite 10 hommes écrivains francophones, nés dans les années 1970, à écrire une nouvelle pour évoquer le désir, expression de vie qui lui semble absente de la littérature de l'espace francophone d'Afrique et des Caraïbes. Si la sensualité de la première nuit est dite avec puissance ou tendresse, de manière réaliste, poétique ou fantastique, le désir n'est pourtant pas dissocié de l'expérience de la violence, de la passion et de la mort (Julien Mabila Bissila), de la trahison (Insa Sané), de la nostalgie et de l'exil (Edem Awumey), de la séparation (Jean Marc Rosier), de la solitude (Sunjata), de l'attente et de l'abandon (Felwin Sarr), de la souffrance (Julien Delmaire), du mépris (Frankito), du trouble et du mystère (Georges Yemy). L'intérêt de cette anthologie, en dehors de fait de découvrir ou de relire des auteurs, et de plonger dans l'antre de sentiments masculins souvent tus.
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Un peu étrange et déstabilisant comme roman mais intéressant, original carrément génial. L'histoire, je ne vais pas vous la conter, les 2 résumés déjà postés sont parfaits. Mais par contre je vous conseille de vous laisser emporter par ce récit étrange peuplé de fantômes ,d'une quête vers un père certes et aussi vers un pays qui n'existe plus ou pas pour tous les exilés. Ils errent entre le passé et un présent incertain, leur vie volée en éclats, fuir toujours inlassablement le long des routes, quémander l'hospitalité puis se voir chasser. En Afrique ou ailleurs, Askia comme Olia, deux êtres qui cherchent le chemin, des racines, un père, un visage. Le récit est un peu comme une belle image qui volerait en éclats et morceaux par morceaux le lecteur finit par imaginer la beauté de ce paysage qui se dessine dans leur désir d'être tout simplement : eux quelque part sur leur terre avec leur famille, leurs amis et leurs souvenirs. L'auteur laisse des grands espaces nous invitant à deviner, susciter le récit à son besoin de savoir à quoi peut bien ressembler ce drôle de récit tantôt rêve, tantôt cauchemar. C'est sans doute un peu farfelu, mais tellement sensible, poétique aussi, presque trop court. On ressent ce besoin de recoller les morceaux mais avant il faut rassembler toutes les pièces, c'est un peu cela qu'Askia est parti chercher, un père qui détient le bout du fil d'Ariane de son histoire, de sa mémoire.
Une très belle découverte avec ce roman et cet auteur atypique je dois bien le dire mais tellement touchant.
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J'avoue, je n'ai pas tout compris. Peut-être ne connais-je pas suffisamment l'histoire du Togo pour pouvoir m'imprégner de l'histoire...
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Togolais d'origine, québécois d'adoption, Edem Awumey exprime dans ses romans l'aller et retour permanent entre les deux continents, par la pensée aussi bien que par les actes. Rose déluge a une tendance à l'onirisme et au baroque qui était moins prononcée dans son livre précédent, Les pieds sales. Le roman pêche d'ailleurs par excès de lyrisme dans une prose parfois hallucinée, manifestement inspirée par le réalisme magique latino-américain. Ces passages fantasmatiques alternent avec une description plus réaliste d'une histoire d'amour qui prend forme entre deux déracinés et de deux villes que l'auteur rapproche par le même danger qu'elles courent, celui d'être englouties par les flots. Lomé et La Nouvelle-Orléans sont constamment présentes dans le livre alors que ses deux héros sont encalminés dans la petite ville de Hull, au Canada. Mais même immobile, le voyage est possible, entre songes et évocations du passé. Rose déluge flotte dans un monde incertain, fait d'obsessions et de rêves peut-être pas inaccessibles. Un bateau ivre qui donne le mal de mer et qui menace de faire naufrage. Il faut s'accrocher fort au bastingage pour ne pas passer par dessus bord.
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Dans Paris, Askia, chauffeur de taxi erre à la recherche du père absent Sidi Ben Sylla Mohammed, image fantôme de l'homme au turban. Cet homme qu'il n'a pas revu depuis trente ans, ce père parti rejoindre un soit disant lointain cousin qui travaillait dans une usine à Aubervillier comme ouvrier chez Simca. Il rencontre Olia , une jeune photographe d'origine bulgare, elle aurait pris son père, en photo ?
Askia vit dans un squat, il doit ce logement à Tony originaire lui aussi de Guiné. En parallèle, à Paris Edem Awumey, nous évoque les racines d'Askia, l'Afrique : Nioro en Guiné, le lieu de départ quand il avait cinq ou six ans. Il va souvent sur le parvis de Beaubourg où là il retrouve ses amis des pieds sales comme lui des hommes et des femmes, à la recherche d'identité ?
L'auteur fait référence à un grand classique de la littérature mexicaine autour de l'identité et la recherche du père : Pèdro Paramo de Juan Rulfo, entre autre, livre peuplé de fantômes. Mais Askia est aussi un Télémaque, la figure de Don Quichotte
est présente. Malgré que ce roman soit court, est d'une grande richesse en informations qui en font un roman fort passionnant . J'aime les romans qui demande au lecteur un travail d'imagination, nous sensibilise, nous fait ouvrir grand les yeux, en ce qui concerne l'autre l'étranger. En un mot un livre excellent !
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