Citations de Erika Nomeni (18)
Ça me torture, d’une certaine manière, notamment ma capacité à voir toutes ces structures sociales (race/genre/classe/etc.) et pourtant à continuer à faire de la merde, comme désirer à sens unique et finir par envoyer un texto qui te blesse alors que ça ne te concerne pas. J’ai du mal à sortir de certains schémas. En réalité, je traîne dans un milieu de type alternatif/culturel/hétéro/blanc, je suis une artiste/actrice d’une forme de culture minoritaire. Je suis entourée en permanence de personnes blanches de classe moyenne/moyenne-supérieure/supérieure. Mon entourage ne me ressemble pas et, parfois, ça me pèse. J’ai longtemps essayé et je continue à nouer des connexions avec des personnes venant de dimensions trop différentes, ce qui s’est souvent soldé par des échecs très violents pour moi. (p. 124)
En attendant, j’apprends à m’aimer. A aimer ce corps hors norme qui, malgré tout ce qu’il a enduré, a encore la force d’aimer. Aimé Césaire disait : « L’heure de nous-mêmes a sonné ! » Et, pour moi, l’amour de moi-même a sonné. (p. 145)
Je ne crois pas à la non-violence mais à la légitime défense. Et quand ils sauront qu’on est prêtes à tout pour défendre notre intégrité et ceux et celles qu’on aime, nous aurons la paix. (p. 145)
Pour moi, le bonheur, c’est d’être aimé.e pour qui on est vraiment. Ça peut aller si vite, être si intense et si beau. C’est ce vers quoi je tends : plus de profondeur, plus de compersion. » (p. 144)
Note de l’éditeur : compersion : bonheur qu’on éprouve en étant témoin de la joie de quelqu’un d’autre, en opposition à la jalousie.
Ce que je me demande, c’est qui me voit en tant qu’humaine, qui voit ma vulnérabilité au-delà de mon épaisse carapace de la première rencontre. Qui accepte, qui a envie de cette intimité, de mon désir de vulnérabilité – car s’il y a vulnérabilité, il y aussi une confiance. Je ne peux pas, ne veux pas être toujours aussi forte. Il est vital pour moi d’avoir des ami.es qui me voient au-delà des stéréotypes que la société pose sur moi. Je sais à quel point il est difficile d’en avoir des vrai.es, sur qui on puisse compter mais, surtout, qui nous voient. (p. 143)
(…) pour être une Noire normale, il faut être exceptionnelle. Ce n’est pas une question de compétences, mais de critères. (p. 140)
Je pense qu’on sait de manière à la fois innée et acquise qu’on vit dans le monde des hétéros. Qui, quand ils ne nous tuent pas, nous tolèrent. Tolérer, qu’est-ce que ça veut dire ? Je déteste ce mot, il est très insultant et ne reflète que de la condescendance. Parfois, je me demande qui ils sont pour nous « tolérer » ? (p. 140)
Parallèlement, je me dis que si j’apprenais à tout maîtriser, je serais probablement un monstre froid, mais peut-être que c’est ce qui m’attend. Il y a au moins une solution qui s’offre à moi : apprendre à dire « non ». Et faire attention à ne pas être entourée de violence. Parce que je ne veux plus absorber tout ça pour finir par le renvoyer. (p. 125)
Comme tu le sais, je suis une femme noire, queer, prolo, et en surpoids. Je cumule pas mal de stigmates sociaux et j’ai bien fini par me rendre compte que ça influençait la façon dont les gens me percevaient. Je pense notamment aux femmes cis blanches qui ont du mal à « voir » entièrement. Je ne veux pas que tu penses que j’essaie de dire ça juste pour justifier ce que j’ai fait. (p. 123).
J’avais sans doute besoin d’aller au bout de quelque chose, je ne sais pas exactement quoi – peut-être le fin fond de la blanchité. (p. 108)
C’est très compliqué d’expliquer aux gens que l’issue n’est pas de se cacher, mais de se battre, non pas pour affirmer ce qu’on est mais simplement pour être heureux.se. (p. 103)
Et d’un coup, j’ai ressenti une étrange compassion envers les dominants. Je me suis dit que beaucoup d’entre eux ne comprenaient sans doute pas du tout ce qu’ils faisaient vivre aux autres, et n’auraient sans doute jamais l’occasion de le comprendre – alors que moi, au moins, le fait d’être une femme noire queer m’offrait des prismes pour comprendre les différentes dimensions qui habitent notre monde – et quels prismes pourrait avoir un homme blanc cisgenre hétérosexuel de classe supérieure ? (p. 99)
J’ai souvent ce rôle dans mes relations avec des personnes blanches : celui de la personne forte, du gars, sans les rétributions symboliques qui vont avec, bien sûr. La charge mentale dans une relation interraciale est énorme, et je ne parle même pas du rapport avec ma belle-famille de gauche. (p. 98)
Je n’ai pas toujours eu une conscience aussi aiguë de ma place dans la société. Comme tout le monde, je pensais juste être une humaine. Et, progressivement, à l’école, dans mon éducation, mon entourage, on m’a fait voir ma place dans la hiérarchie sociale. J’ai compris que j’étais comme une moins que rien, un peu plus humaine qu’un chien. (p. 97)
Je crois que j’ai toujours vu la féminité comme une performance et le genre comme une mascarade. (p. 87)
Le mercredi, j’allais à la bibliothèque tout près de mon collège ou au centre commercial d’Italie Deux. Entourée de fans de mangas assis ou debout, je dévorais des shôjos et des seinens. (p. 85)
Au bled, on appelle les Blancs les wats, donc watiser veut dire qu’on parle comme eux. Je me suis mise à watiser, à parler comme les Parisiens avec un accent pointu. Encore aujourd’hui, je contrôle mon accent même si j’ai presque oublié qu’un jour, j’en ai eu un. (p. 84)
Je suis née dan un pays où les Noir.es sont majoritaires : c'est en France que j'ai compris ce que voulait dire être noir.e. (p. 83)