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Critiques de Ernesto Sabato (83)
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La Résistance

Je connaissais le grand auteur argentin Ernesto Sabato, j'avais lu deux de ses romans, mais pas le critique littéraire et encore moins l'essayiste. Pour tout dire, il a écrit davantage d'essais que de romans. La résistance est un de ces écrits de réflexion, le dernier qu'il ait laissé. Divisé en cinq lettres, il traite d'autant de sujets mais, curieusement, qui se mélangent bien et qui semblent ne former qu'un tout. La vie.



La première, si elle commence en douceur, aborde un aspect assez inattendu. « Une des choses qui m'affectent le plus, c'est le bruit. » Selon Sabato, les hommes écoutent trop la radio et la télévision, ils parlent et crient mais ne s'écoutent pas. Comment le pourraient-ils, avec toute cette animation ? Il faudrait revaloriser le calme, le temps passé, encourager les gens à s'arrêter un instant et à profiter du moment présent.



Ça me rappelle le discours de mes grands-parents. C'est facile vanter les mérites d'un passé idéalisé et se montrer réfractaire à une modernité qu'on ne maitrise pas complètement (ou vraiment). Je me demande ce que dirais un jeune Ernesto Sabato de vingt ans en l'an 2000…



Cette idée du calme et des bonnes vieilles valeurs mises de côté au profit du modernisme destructeur, elle revient souvent. Toujours selon Sabato, l'homme se complait dans la médiocrité. Offrez lui un divertissement abrutissant, il le préfèrera à une activité intellectuelle. C'est le début de la décadence… C'est une façon de voir les choses.



Puis, l'auteur-essayiste fait la transition avec son deuxième sujet, les valeurs anciennes (par exemple, l'altruisme, la dignité, le courage, l'intégrité morale, etc.). L'étayage de ses idées lui donne l'occasion d'évoquer quelques anecdotes tirées de son expérience personnelle. Pareillement pour les trois autres sujets qui suivent, le bien et le mal, les valeurs de la communauté et la résistance. Pas au sens révolutionnaire, bien sur.



Sabato ne réinvente pas la roue, plusieurs des idées qu'il présente sont des généralités avec lesquelles on ne peut qu'être en accord. Toutefois, si ce n'est pas original, ça n'en est pas moins vrai. (Il y a de ces leçons qu'on doit nous rappeler de temps en temps.) Ce qui fait en sorte qu'on y prête attention et intérêt, c'est qu'elles viennent du grand auteur argentin. Et c'est vrai. Quelqu'un qui a une longue expérience, qui a beaucoup réfléchi et qui a un discours articulé mérite notre attention.



Et il ne fait pas que critiquer ou se démoraliser du sort de l'humanité. Il propose quelques solutions bien qu'elles soient vagues et générales, par exemple, il faudrait envisager une éducation différente. Plus facile è dire qu'à faire… Dans tous les cas, La résistance se lit bien. Pas trop de mots ou de concepts compliqués, son humanisme s'adresse à tous. Parce que tous devraient penser, ne serait-ce qu'un peu, à un meilleur demain.
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Le tunnel

« Toute notre vie ne serait-elle qu’une suite de cris anonymes dans un désert d’astres indifférents? »

Avec cet intense roman de la solitude, de l’incommunicabilité, Ernesto Sabato projette son lecteur dans le tunnel des pensées flippantes de son narrateur, Juan Pablo Castel, et ce n’est pas de tout repos! On s’enfonce dans ce récit d’une relation amoureuse orageuse, au rythme des oscillations amour/haine (la demi-mesure, chez Castel, ça n’existe pas), dans les affres d’une jalousie infernale, dévorante, destructrice.

Le narrateur est en prison, mais ça ce n’est rien à côté de l’enfermement morbide dans l’incessante activité de raisonnement, d’interprétation, d’échafaudage d’hypothèses, opérée par son esprit, se saisissant du moindre silence ou d’un « vestige de sourire » pour nourrir ses soupçons, s’emmurant dans une logique délirante qui l’éloigne de la seule personne qui, selon lui, pouvait le comprendre:

« j’arrivai enfin à formuler mon idée sous cette forme terrible mais indiscutable : Maria et la prostituée ont une expression semblable ; la prostituée simulait le plaisir ; Maria simulait donc le plaisir ; Maria est une prostituée. » CQFD!

Le lecteur se retrouve dans une position particulière, pas forcément très confortable. On est invité à pénétrer dans les dédales de cette pensée folle du narrateur, séduisante par son énergie, touché par ce sentiment que Juan a de vivre sa vie dans un tunnel obscur et solitaire loin de « la vie agitée que mènent ces gens qui vivent au-dehors, cette vie curieuse et absurde où il y a des bals, et des fêtes, et de l’allégresse, et de la frivolité. ». Mais on est bien obligé de se dégager de cette proximité, de s’en distancier quand les signes de dérapages, de paranoïa deviennent trop évidents.

C’est fort, mais on est plutôt soulagé que Sabato ait opté pour la brièveté!
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Héros et tombes (ou) Alejandra

Héros et tombes (ou Alejandra, selon la version) est un roman déroutant, envoutant et mystérieux. Tout à fait dans l’esprit des romans d’autres grands noms de la littérature argentine de la première moitié du XXe siècle, par exemple Roberto Arlt et Adolfo Bioy Casarès. Ces romans à l’atmosphère glauque, peut-être vaguement gothique ou fantastique, dans tous les cas sombres et troublants. On aime ou on n’aime pas. Avec ce roman, l’auteur Ernesto Sabato nous livre un petit chef d’œuvre dans lequel il exploite les thèmes qui lui sont chers (à lui comme à ses collègues), dont les sectes secrètes, l’amour impossible ou difficile sinon unilatéral, puis surtout ce rapport ambigu face au passé, à l’histoire. Tant individuelle que collective.



Héros et tombes, c’est le récit de Martin, un jeune homme de dix-sept qui tombe éperdument amoureux d’Alejandra. Mais cette jeune femme, farouche et indépendante, aime s’entourer de mystère et laisse le pauvre garçon dans l’expectative. Avec le temps, elle se laisse apprivoiser et, au fur et à mesure de leurs rencontres, Martin lève le voile sur le passé et surtout l’histoire familiale d’Alejandra. Cette histoire se perd et se mélange avec ses ancêtres et les bouleversements qui ont touché l’Argentine, de la guerre d’indépendance au début du 20e siècle. Son père Fernando, fou, son grand-père, etc. Toute cette lignée de héros a contribué (à sa façon) à la naissance de la nation mais qui représente aussi sa décadence et sa ruine prochaine.



Puis, tout d’un coup, on fait un retour dans le temps, on passe à son père Fernando, qui erre dans Buenos Aires. Une histoire imbriquée dans une autre, un énième élément caractéristique du style des auteurs mentionnés plus haut. J’admets avoir eu de la difficulté, parfois, à suivre le pauvre Fernando dans ses errances et, surtout, dans ses élucubrations. Il voue une haine à des groupes de personnes, se sent persécuté, cherche à déjouer un complot probablement inexistant. En effet, ce qu’il voit et expérience, est-ce la vérité, son inconscient qui lui joue des tours ou sombre-t-il dans la folie ? À vous de décider. Dans tous les cas, c’est troublant et effrayant.



Le dernier personnage de Héros et tombes, c’est la ville de Buenos Aires. Dès le début, Martin fait le tour des grandes artères animées et des lieux publics, toujours à la recherche d’Alejandra. Cette dernière, à travers les chroniques qu’elle raconte, en fait une visite historique, virtuelle, celle d’une ville qui n’est plus. Puis, Fernando déambule de nuit dans les quartiers sombres, présente un aspect surréaliste de la cité. Les mystères de Buenos Aires ? Pourquoi pas. Moi, ça m’a donné l’envie de visiter cette grande ville.



Enfin, le roman se termine sur le coup d’État de Peron. Coïncidence ? La décadence de la famille d’Alejandra est-elle le reflet de la ruine possible du pays ? L’actualité politique a toujours été une grande source d’inspiration pour les écrivains du sud du continent américain… Les héros sont dans la tombe, chanceux. Tout ce qu’il reste à faire, c’est oublier ou s’enfuir, essayer de se purifier, un peu comme Martin qui prend le chemin de la Patagonie. J’écris cela comme si c’était l’évidence même, d’autres pourront y lire autre chose. Je dois admettre que plusieurs zones grises persistent, je n’ai pas tout compris. Et c’est correct, même plusieurs jours après en avoir terminé la lecture, ce roman continue à m’habiter. C’est souvent le signe d’une œuvre magistrale.
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L'Ange des ténèbres

L’ange des ténèbres se rapproche davantage d’une expérience littéraire que d’un roman traditionnel, dernier volet d’une trilogie, dernier roman autoproclamé d’Ernesto Sabato. D’ailleurs, cet auteur argentin est autant sinon davantage reconnu pour ses prises de position, ses essais, ses réflexions sur le monde, sur la politique, etc.



Ainsi donc, L’ange des ténèbres est tout à l’image de son créateur. Érudit, étrange, fascinant, labyrinthique. Une curiosité dans le paysage littéraire du milieu du XXe siècle. Surtout, une autofiction, dans laquelle Sabato joue son rôle en même temps qu’il est mêlé à des aventures insolites qui l’amènent à exposer ses opinions.



Ce roman le met en scène, oui, mais à la troisième personne. Les choses ne pouvaient être simples… On rencontre d’abord Sabato à travers les yeux de Bruno, un personnage de son deuxième roman, Alejandra (ou Héros et tombes, c’est selon). D’ailleurs, plusieurs éléments de son univers littéraire reviennent.



Ainsi donc, Sabato lui-même se met à regretter la publication de son dernier roman, il semblerait qu’il craigne les représailles de la Société des Aveugles qu’il avait dévoilé au grand jour. Un symbole pour dénoncer la situation politique en Argentine, où torturer son voisin était courant ? Dans tous les cas, ce n’est pas une histoire au sens conventionnel du terme. Les déambulations de son Sabato à travers Buenos Aires ne sont qu’un prétexte. Ses péripéties, ses observations, ses réflexions (peut-être mêmes ses confessions ?) deviennent l’essentiel. N’y cherchez pas une trame, surtout pas un début et une fin, du moins, pas dans le sens habituel du terme.



Plus haut, j’ai fait mention d’une autofiction mais c’est beaucoup plus. Le lecteur patauge dans un univers à la frontière du surréel, de la folie ou du fantastique. D’un style complètement éclaté, Sabato ne s’est imposé aucune limite, avec ses théories du complot, comme cette Société des Aveugles qui étendrait ses tentacules sur la société, sur le monde. À propos du roman, on dit qu’il s’agit essentiellement d’un manifeste. Rien ne le décrit mieux.



L’auteur termine L’ange des ténèbres avec son éventuelle mort, avec son épitaphe : ERNESTO SABATO Quiso ser enterrado en esta tierra con una sola palabra en su tombra PAZ (Eernesto Sabato a voulu être inhumé dans cette terre avec ce seul mot sur sa tombe : PAIX) Organiser sa propre fin ? Ou, plutôt, la mort du romancier en lui ? Pourquoi pas ? Ce voyage particulier ne pouvait que terminer sur une pareille note.
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Héros et tombes (ou) Alejandra

Écrivain peu prolifique (trois romans seulement à son actif!), Ernesto Sabato est un auteur assez atypique dans le riche Panthéon des lettres argentines contemporaines où il trône indiscutablement parmi les plus grands, à une place néanmoins unique et singulière . Ni tout à fait partisan d'un «réalisme» pur et dur en littérature («les réalistes imaginent que la réalité ne dépasse pas leur dimension personnelle et n'est pas plus compliquée que leur cervelle d'oiseau») mais auquel il s'y astreindra en grande partie, ne serait-ce que parce que selon lui l'esprit humain ne peut accéder à l'invisible «qu'à travers le visible»; ni d'autre part complètement séduit par le souffle «magique» qui s'était largement répandu dans le paysage littéraire latino-américain de son époque, alors même qu'un des principaux moteurs de son oeuvre résiderait dans une exploration exhaustive des territoires friables, équivoques du supra-réel et du supra-individuel et de leurs incidences sur la subjectivité de ses personnages, l'auteur avait cultivé au travers d'une oeuvre exigeante qui aspire à une forme de «totalité», une veine narrative s'abreuvant aussi volontiers aux sources mystérieuses, symboliques et archétypiques de l'inconscient collectif, ne cessant d'illustrer la prégnance de leurs dimensions immatérielles dans la détermination des choix et des destinées individuels, élevant enfin la folie même au rang quelquefois de métanoïa susceptible de faire accéder à une forme alternative de connaissance du monde.

Ernesto Sabato resterait donc en quelque sorte sur les bords d'un «réalisme magique». Sa démarche créative comporterait à la fois une perspective littéraire réaliste, analytique, naturaliste et objectivable, à côté d'un cheminement narratif guidé par une approche tout autre et complémentaire qui, ouvrant une voie d'accès direct, intuitif et immédiat à la connaissance du réel, chercherait à dépasser les frontières imposées par une rationalité trop cartésienne et positiviste, mais sans recourir pour autant à des éléments "magiques" et surnaturels du type cadavres qui ressuscitent, jeunes filles en lévitation ou pluies de grenouilles..Avec un style très personnel et une écriture maintenue en bordure du visible et de l'invisible, dans un équilibre savant, dans un va-et-vient perpétuel entre le cognoscible et l'ineffable, le raisonnable et le démesuré, l'auteur crée une machinerie d'autant plus infernale et capable de ravir implacablement son lecteur qu'elle ne s'encombre pas par ailleurs d'artefacts érudits superflus, se parant la plupart du temps d'une fluidité et simplicité renversantes et se servant volontiers de mots et de tournures d'un langage plutôt courant et oral que proprement châtié ou littéraire. Witold Gombrowicz, fervent admirateur de l'écrivain, qu'il avait côtoyé de près durant sa longue pause argentine, dans une courte préface à l'édition française de l'ouvrage, classait HEROS ET TOMBES parmi «ces lectures qui se terminent souvent à quatre heures du matin». (Je confirme ! Même si dans mon cas, ce fut plutôt vers deux heures du matin…)

Considéré comme l'oeuvre maîtresse de l'auteur, il s'agit pour moi d'un pur chef-d'oeuvre, tout court ! L'une de ces cathédrales comme l'on n'en visite plus, hélas, que trop rarement, édifice dédié tout d'abord à Santa Maria del Buen Ayre, la ville de Buenos Aires elle-même, l'un des personnages centraux de ce monument au style littéraire gothique portègne.

Le livre est bâti à l'image même de la métropole argentine, ville tentaculaire «aux frontières indéfinissables avec la pampa», présentée ici sous les traits d'une cité constituant à elle seule un univers à part avec sa mythologie propre. Il met en place des récits qui se ramifient selon un plan obscur et mouvant, à l'instar de ces réseaux souterrains des égouts de Buenos Aires aux innombrables anfractuosités creusées par les eaux ancestrales du bassin alimentant l'océanique Río de la Plata, décrits avec force détails par l'auteur. Récits parcourant des dédales tortueux où narration historique et temps psychologique ne cessent de se croiser, où les courants du passé et du présent s'enchevêtrent en des lacis inextricables, entre mémoire collective, généalogie familiale et construction possible d'une identité propre. Récits explorant enfin les tracés flous d'une raison délirante, ou au contraire les contours ambitieux d'un délire raisonné, sans pour autant rien céder de ce qui constitue l'humanité fondamentale de ses personnages, la clarté de la langue ou la cohérence de son intrigue.

À la fois roman d'apprentissage pour son personnage central, le jeune et ingénu Martín qui, après avoir coupé les liens avec sa famille, tente ses premiers pas dans la vie adulte et dans l'anonymat de la grande métropole, récit d'une passion dévorante et inassouvie qui l'enchaînera définitivement à la troublante Alejandra, jeune femme énigmatique dont l'auteur dressera un portrait psychologique absolument magistral, imprévisible et rebelle, cherchant par tous les moyens possibles et imaginables à se soustraire à son encombrant héritage familial, HEROS ET TOMBES intégrera par ailleurs, en arrière-plan, celui des fondations même de la nation argentine, s'étalant depuis les guerres fratricides entre unitaires et fédéralistes au XIXe siècle jusqu'à l'ascension et la chute de Juan Péron, en septembre 1955, histoire tumultueuse qui se confondra avec celle de la déchéance d'une vieille famille argentine conduisant au drame qui frappera son dernier maillon, Alejandra, inoubliable héroïne tragique.

Le roman s'ouvre sur le fait divers qui bouleversa Buenos Aires au mois de juin 1955 : une jeune femme issue d'une famille traditionnelle a tué son père de quatre coups de pistolet avant d'arroser la pièce, fermée à clé de l'intérieur, d'essence et d'y avoir mis le feu.

Le développement de la narration s'organisera autour de quatre grands chapitres, chacun d'eux mettant l'accent sur des éléments particuliers et susceptibles de pouvoir éclairer la genèse et les enchaînements fatidiques ayant conduit au drame terrible, construits néanmoins sans aucune chronologie stricte linéaire, l'histoire et ses enjeux se précisant et s'étoffant progressivement à partir de feedbacks et de feedforwards qui témoigneront de l'immense maîtrise technique et narrative de l'auteur. L'un de ces chapitres, intitulé « Rapport sur les aveugles » correspondant au manuscrit retrouvé par la suite au domicile secondaire du père assassiné, expose en détail un délire de type paranoïaque à l'architecture impressionnante. Il vaut à lui seul le détour. Traitant de la domination imminente du monde par une secte secrète d'aveugles, mêlant éléments autobiographiques, relations personnelles, telles les surréalistes Oscar Dominguez et le peintre roumain Victor Brauner, ainsi que faits concrets dont l'écrivain argentin avait pu témoigner lors de son séjour à Paris dans les années 30 (notamment l'accident qui aura énucléé Victor Brauner), cette reconstruction délirante exhale un irrésistible et inquiétant parfum, aux relents parfois extralucides et prémonitoires, en sachant que des années bien plus tard après la rédaction de son livre, et à l'instar d'un de ses compatriotes les plus célèbres, Ernesto Sabato serait lui aussi définitivement atteint de cécité…!

Étrangement universel et ténébreusement particulier, intelligent et émotionnel, accessible et pointu, concret et transcendantal, HEROS ET TOMBES, est une lecture absolument envoûtante que je conseillerais sans modération aux lecteurs qui apprécient la littérature à la fois comme un plaisir, un art et une tentative d'accéder à une forme complémentaire de connaissance du monde et des mystères profonds qui entourent l'existence humaine.

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Rapport sur les aveugles

Il y a 4 ans je découvrais le travail d’Alberto Breccia (ainsi que celui du scénariste Herctor Oesterheld) avec « l’éternaute », vertigineuse BD de science-fiction, ambitieuse tant sur le fond que dans la forme. Voilà que je retrouve Breccia avec « rapport sur les aveugles » qui est tout aussi ambitieuse.



Il s’agit en fait de l’adaptation d’un chapitre d’un roman d’un auteur argentin. Je ne connais ni le roman, ni l’auteur en question, je ne peux donc pas juger de la qualité de l’adaptation ni de la pertinence de n’adapter qu’un chapitre du roman. De toute façon, une adaptation d’une œuvre sur un autre médium doit se suffire à elle-même. C’est le cas ici, il n’est nul besoin de connaitre l’œuvre d’origine pour apprécier « Rapport sur les aveugles ». En revanche, tout comme « l’éternaute » c’est une œuvre très singulière, assez aride, pas forcément accessible. Elle n’est pas pensée pour séduire le lecteur et clairement elle ne plaira pas à tout le monde. Pour goûter cette lecture, je pense qu’il faut se laisser aller à une forme de lâcher prise, il faut accepter l’idée qu’on ne va pas tout comprendre, qu’on va être dérouté, emmené sur des chemins narratifs qui ne ressemblent à aucun autre.

C’est audacieux que de vouloir évoquer le monde des aveugles dans une B.D, art visuel par excellence. Breccia y parvient magnifiquement grâce à sa maîtrise des noirs et des gris, son talent pour créer des ombres et son sens de l’abstraction. Ce n’est pas le style de dessin qui plaira à tout le monde mais si on se laisse embarquer, c’est hypnotique et très immersif, c’est une expérience sensorielle troublante, un peu dérangeante mais fascinante.



L’intrigue est elle aussi fascinante par son étrangeté et dérangeante par le sentiment d’oppression dégagé par le récit. Cette plongée aux portes de la folie et de l’obsession est hypnotique même si on ne comprend pas forcement tout ce qu’on lit. L’histoire est en effet assez hermétique, son sens reste mystérieux et se prête sans doute à de multiples interprétations.



« Rapport sur les aveugles » n’est assurément pas une œuvre facile mais, pour peu qu’on soit sensible à ce genre de BD particulières et qu’on se laisse aller, elle se révèle d’une beauté envoûtante. Il faut vraiment que je poursuive ma découverte d’Alberto Breccia dont la maestria m’a encore une fois soufflée.



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Le tunnel

Juan-Pablo Castel est un peintre estimé et misanthrope : il n'aime rien ni personne, jusqu'aux critiques dont les louanges le hérissent... Incompris, il est prisonnier de sa solitude jusqu’au jour où il tombe amoureux fou de Maria qu'il finira pourtant par tuer, ainsi qu'il l'annonce dès les premières pages de son récit écrit en prison.

C'est le récit d'une passion dévorante et exclusive, une passion éprouvée par la jalousie, la vanité, la misanthropie et l'égocentrisme du peintre : Juan-Pablo ne profite jamais de son bonheur mais passe son temps à décortiquer les instants de bonheur qui lui sont accordés afin d'y trouver la preuve de la perfidie, de l'hypocrisie ou de l'infidélité de Maria. Il se sent incompris, persuadé que le reste de l’humanité ne lui arrive pas à la cheville. C'est un homme profondément seul, incapable de voir le bon, le beau sans y soupçonner quelque chose de mesquin ou de sale... et sa solitude le conduira jusqu’à la jalousie dévorante et la folie meurtrière.

Le récit implacable et minutieux d’une névrose pathologique et meurtrière.

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La Résistance

C'est bien d'une esquisse d'éthique qu'il s'agit. D'une proposition d'éthique de vie par la résistance qu'Ernesto Sabato, préoccupé par le destin social dans ses essais comme dans ses romans, offre aux lecteurs sous la forme de cinq lettres et un épilogue, telle une sortie de scène d'un écrivain humaniste engagé et inquiet du monde qu'il laisse aux vivants avant de s'en retirer pour toujours, monde qui depuis le début du 20ème siècle pourrait se renommer "âge des catastrophes".

Il n'y a pas de "c'était mieux avant" avec Sabato, il compare entre passé et présent ce qui n'a pas progressé ou a dangereusement dérivé. Cette analyse lui permet de détecter des tendances menaçantes pour le destin de l'humanité auquel il propose de résister : surpopulation, globalisation, massification, marchandisation, standardisation des désirs, hyper individualisation, abêtissement, solitude existentielle, sujétion, vide spirituel, indifférence métaphysique. Bref : un nihilisme en accélération.

Ce que Sabato regarde dans le passé, c'est la part grecque qui a participé à la fondation des valeurs de l'Occident, tout ce qui constituait l'éthique de la "vergogne" s'opposant au pire des défauts pour les grecs : l'hubris. Ainsi; il appelle à refonder l'humanisme et ses valeurs communautaires de camaraderie, d'empathie et de solidarité pour donner une chance éthique au genre humain, en misant sur la culture et l'éducation à la façon d'un José Marti qui prônait la liberté par la connaissance, replaçant les valeurs de l'esprit et l'homme au centre de tout.

Au fond, Sabato reprend le constat des philosophes de l'École de Francfort : le mythe du Progrès constant initié au siècle des Lumières n'est plus au service de l'homme mais de son asservissement voire de sa destruction.



Cet essai rédigé comme une mise en garde est aussi un témoignage de son temps. S'il doute du destin de l'homme, l'auteur garde un espoir d'avenir pour l'humanité.

Si son optimisme est admirable et touchant, Sabato semble avoir oublié selon moi que la post-humanité n'est pas ce qui nous menace demain : elle a déjà eu lieu. Dès 1933, les foules post-humaines étaient déjà là, bras tendus, magnifique prélude à la massification de l'obéissance et à la mise en oeuvre de l'apocalypse, ce nouvel âge ourlé de cendres. Plus jamais nous ne serons protégés d'être humains, plus jamais nous ne serons sacrés. "L'impossible ne peut pas être vu car il n'existe pas. Moi j'ai vu l'impossible" a dit mon grand-père déporté. de cela, l'humanité ne se remettra jamais.
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Le tunnel

Un court mais grand roman ! dès la quatrième de couverture, on sait que le narrateur Juan Pablo Castel, artiste peintre a assassiné sa maîtresse Maria Iribarne, mariée à Allende, un aveugle.

Juan Pablo est fou amoureux de Maria mais d'un amour exclusif. Au fil des pages, on assiste à sa passion dévorante, à sa jalousie morbide qui l'enferme dans une solitude intérieure insurmontable (référence au tunnel).

Le thème de ce récit est intéressant car il décrit avec beaucoup d'intensité la montée en puissance de cette jalousie destructrice, la possession maladive, le manque de confiance en soi et en l'autre.

L'artiste se triture l'esprit avec des suppositions tirées de son imagination, il psychote, il ressasse, il exige des preuves d'amour mais ne communique pas vraiment avec Maria.

j'ai aimé ce livre bien que l'atmosphère soit souvent étouffante et oppressante

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Héros et tombes (ou) Alejandra

L’histoire de Héros et tombes se situe à Buenos Aires, pour l’essentiel pendant les années 1950, bien que de nombreuses rétrospections évoquent les années 1920 ainsi que certains épisodes historiques du 19ème siècle. A la façon d’un texte d’Edgar Allan Poe, le roman s’ouvre sur un article de journal qui relate comment la jeune Alejandra a tué son père, Fernando Villar Olmos, avant de se laisser mourir à son tour dans l’incendie de sa chambre.

La première partie du récit, reculant de plusieurs mois à partir de l’article de journal, se focalise sur Martin qui semble relater son histoire à Bruno, un ami d’Alejandra, tout en laissant un doute sur l’identité du narrateur. Le jeune homme complexé et solitaire fait la connaissance d’Alejandra dans de singulières circonstances qui prêtent au personnage féminin une aura magique. A la passion du jeune homme, Alejandra répond par une distance cruelle. Cette descendante d’une famille totalement déchue de l’oligarchie habite un palais en ruine, entre un oncle fou et un arrière grand-père sénile. Entrecoupée par l’évocation des guerres du 19ème siècle auxquelles participèrent héroïquement les ancêtres d’Alejandra, cette première section narrative s’achève avec la rupture entre elle et Martin, au moment où éclate le coup d’Etat de 1955 contre Peron.

Le deuxième mouvement narratif est composé d’un rapport sur les aveugles de Fernando Villar Olmos, père sans doute incestueux d’Alejandra, où il verse de façon très documentée son délire au sujet d’un complot universel ourdi par les aveugles. La paranoïa du narrateur donne lieu à des passages hallucinés habités par un gothique souterrain, traversés par des images surréalistes.

Le troisième mouvement de ce roman est produit par la narration de Bruno qui s’adresse à un locuteur non identifié (l’auteur, le lecteur ?). Le dernier mouvement renoue avec le début du récit et décrit comment Martin, à la mort d’Alejandra, décide de partir vers le Sud pour un voyage d’oubli purificateur, clôturant ainsi le roman, en guise de confirmation initiatique.

Habités par une sexualité morbide et destructrice, mêlant frustrations et déchainements orgiaques, Fernando et sa fille Alejandra imposent à leur entourage une relation suicidaire et dominatrice et sont le duo central de ce récit qui explore les tréfonds les plus sombres de l’âme humaine. L’auteur leur oppose la candeur romantique de Martin, dont la naïveté rend attachant un texte à la noirceur appuyée.

Ce passionnant roman illustre également les préoccupations sociales de l'auteur, à travers l'évocation des milieux anarchistes des années 20 (que Sabato a lui-même fréquentés), et surtout à travers la description de la lutte des classes exacerbée des derniers mois de la présidence de Peron. De même, le rappel des guerres civiles argentines procure au récit une profondeur historique et suggère les pathologies destructrices des personnages.
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Le tunnel

Le récit d'une névrose meurtrière annoncée !



N'avez-vous jamais eu l'impression (que ce soit fondé ou non) d'être né(e) au mauvais endroit ? Voire pire, au mauvais moment, concernant les possibilités de rencontres amoureuses dans votre vie ??

On arrive toujours trop tôt, ou trop tard. Parfois on arrive en même temps, mais la synchronisation est de courte durée..



Dans ce livre, Sabato se met dans la peau de Juan Pablo Castel, un artiste peintre qui enfermé dans sa cellule, balance comment il en est arrivé à tuer la seule femme qu'il a aimé. Maria !

Aperçue lors d'un vernissage, Maria ne quitte plus ses pensées, c'est LA femme, sa moitié, son complément. Son âme sœur !

Juan erre à sa recherche dans les rues de Buenos Aires avec la conviction de la retrouver !

Il la retrouve, Maria est mariée !



Le tunnel fait référence à l'isolement affectif & physique de Castel par rapport à la société & envers lui même. Un roman noir & désespérant qui transmet tout le mal-être des personnes suspicieuses, obsessionnelle & habitées par la jalousie !

Bien que le livre date de 1948, j'ai été saisi par la modernité & le côté intemporel de l'histoire ! Un sujet toujours d'actualité: "La confiance dans l’amour de l’autre" où comment sombrer dans le doute qui conduit à la folie & par la suite à commette l'irréparable !

Dans le tunnel, ce ne sont pas des contraintes externes qui empêchent cet amour de s’épanouir, mais ce désir absolu de posséder complètement l'autre !



J'ai aimé ce livre, comme on aime un air de piano qui s’échappe d’une fenêtre ouverte un soir d’été !

Un livre qui m'a maintenu en éveil jusqu’aux heures les plus obscures de ma nuit !

Mais où partent les mots d'amour après l'amour ?

Et puis cette absurdité qu’a le cœur de s’accrocher à l’infiniment improbable ! Au final, connaît-on peut être l’amour que lorsqu’on l’a épuisé, quand il n’en est plus, à peine on l’a saisi, voilà qu’il s’évapore.

Un peu comme la vie !



Un roman très salué par Camus qui fait écho sud-américain à son existentialisme européen !
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Le tunnel

Il suffira de dire que Le tunnel est un court roman sur l’immense solitude de l’homme moderne, et de considérer qu’ainsi la critique en est faite. En réalité, si tout ceci peut être dit, il faudrait rendre justice à ce livre en le décrivant un peu plus. Salué par les auteurs européens comme un écho sud-américain de l’existentialisme qui interrogeait les philosophes à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le roman analyse précisément cette solitude à l’aune de la relation amoureuse.



Juan Pablo Castel, célèbre peintre, a été condamné pour le meurtre de Maria Iribarne. Il se propose d’écrire ses confessions qu’il espère publier, afin que quelqu’un, dit-il, le comprenne. Car Juan Pablo Castel a tué la seule personne qui l’ait jamais compris. Ainsi commencé, le roman propose un chemin littéraire hasardeux au lecteur. Ce dernier pense lire un roman policier dans lequel il s’agira de découvrir l’auteur du crime ; en vérité, il bascule dans un roman noir aux profondes motivations philosophiques.



Juan Pablo Castel a vu Maria devant l’un de ses tableaux durant un vernissage. A la différence des critiques qu’il exècre, Maria a remarqué un détail a priori insignifiant mais cela démontre, aux yeux de Juan Pablo, que Maria est comme lui. Juan Pablo n’aime pas la compagnie des hommes ; il les méprise, les trouve vils et pense que le monde est une horrible chose. Alors Maria devient rapidement une obsession pour Juan Pablo ; durant des mois, il cherche à la revoir.



Il y parvient et noue avec elle une relation amoureuse. Mais à peine établie, cette relation est ternie par les sombres pensées de Juan Pablo. Sans cesse à se torturer l’esprit, il tente d’obtenir de Maria des réponses claires sur ce qu’elle est, sur ce qu’elle éprouve pour lui. Tout au long du roman, l’ambiguïté est maintenue sur les sentiments de Maria et sur la vie qu’elle mène. En effet, Juan Pablo découvre qu’elle est mariée à Allende, un aveugle, et qu’elle se rend souvent dans l’estancia du cousin de son mari, Hunter, avec lequel Juan Pablo pense que Maria entretient une relation.



Le tunnel est la métaphore de la solitude. Juan Pablo évolue comme dans un tunnel, coupé du monde, isolé à jamais sauf à de rares instants où, par une fenêtre, il peut être vu. Juan Pablo croit que les tunnels peuvent parfois se croiser, ou peut-être ne le peuvent-ils pas. C’est là le paradoxe de nos sociétés – et la théorie de Sabato vaut encore plus à l’heure actuelle – qui idolâtrent la communication, cependant que les hommes et les femmes demeurent désespérément seuls. La jalousie, et notamment la jalousie amoureuse, n’est que la peur panique qui prend les êtres lorsqu’ils sont confrontés à la plus terrible solitude, celle qui succède aux plus tendres passions.
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Le tunnel

Roman magistral salué par Camus et Graham Greene, Le Tunnel, avec son titre énigmatique et sa brièveté déconcertante, est tout à la fois la métaphore de la relation amoureuse, mais aussi de la folie qui guette chacun d'entre nous, dans les méandres d'un esprit jaloux et possessif à l'excès. Le malaise qui envahit peu à peu le lecteur page après page repose pour beaucoup sur le caractère à la fois détestable et profondément touchant de son héros, ce peintre torturé, animé de délires presque paranoïaques et en même temps d'une soif d'amour extraordinaire. De l'amour à la haine, de la passion à la destruction, il n'y a qu'un pas, que les deux héros franchiront allègrement, jusqu'à la folie meurtrière. L'écriture est délibérément étouffante, plongeant le lecteur dans les abîmes d'un esprit malade et incapable d'aimer sans être aimé, mais cette prose retranscrit à merveille les sentiments du narrateur, au point d'amener le lecteur à ressentir ce mélange de fascination et de répulsion qu'exerce Maria sur Castel. Incroyable de perversion et de noirceur, ce roman nous emmène aux confins de l'âme humaine, dans tout ce qu'elle a de plus sombre et de plus diabolique, et nous conduit à nous interroger sur les comportements des différents personnages : la jalousie maladive de Castel, son besoin de posséder à toute force Maria, sans jamais lui laisser un instant de répit, sans jamais cesser d'analyser ses moindres faits et gestes, mais aussi Maria elle-même, à qui la parole n'est jamais laissée pour se défendre ou tout au moins s'expliquer, de sorte qu'on ne sait si elle est réellement victime de Castel et de son amour délétère ou si elle encourage sa folie en se dérobant perpétuellement à lui ; l'époux de cette dernière, Allende, l'énigmatique aveugle (ce qui n'est pas sans le rapprocher des célèbres devins de la mythologie grecque) pourrait passer pour un personnage secondaire si la conclusion de cet étrange roman ne lui revenait pas, conduisant le lecteur à remettre en question rétrospectivement son apparente naïveté, comme si pour Allende, un amour même univoque valait mieux que pas d'amour du tout : aussi son désespoir est-il d'autant plus touchant et compréhensible, lorsqu'il apprend la mort de son épouse, qui pourtant le trompait au vu et au su de tous ; c'est ainsi qu'Allende finit par condamner sans appel Castel, dans une parole de malédiction empreinte d'un stoïcisme désabusé qui clôt le roman et résonne encore une fois la dernière page tournée.



(la suite en cliquant sur le lien ci-dessous !)
Lien : http://ars-legendi.over-blog..
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Conversations à Buenos Aires

1974, Buenos Aires, Orlando Barone réunit deux grands noms de la littérature argentine (sinon mondiale) : Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato pour des échanges libres sur des thèmes aussi variés que le théâtre, l'écriture, l'histoire ou la mort. Les deux auteurs ne sont pas amis et ne font pas semblant de l'être. Ils sont de la même génération (à peu de choses près : Borges a alors 75 ans et Sabato « seulement » 63), et ont fréquenté les mêmes cercles (Notamment Silvina Ocampo et son mari Adolfo Bioy Casares) avant que les années et les divergences politiques (Borges est un libéral conservateur tandis que Sabato est un ancien militant communiste) ne les éloigne.



Le journaliste enregistre mais se fait volontairement très (trop ?) discret, arrangeant les rencontres, enregistrant les conversations et laissant généralement les conversations évoluer naturellement.

On abordera ainsi des thèmes très généraux comme le cinéma, le tango, la littérature en générale ou le Don Quichotte de Cervantès en particulier mais aussi d'autres plus personnel comme le processus d'écriture, l'enfance ou le rapport à la mort de Borges et Sabato. le rythme est tranquille, l'ambiance feutrée, Barone nous faisant ressentir les moments de silence, les blancs de la conversation, les sourires et parfois les rires complices des deux personnages.



Le livre est plaisant à lire, presque "confortable" tant on s'imagine bien écouter les deux hommes assis près d'un poêle à ergoter sur quelques oeuvres littéraires ou partager des souvenirs comme on écouterait des figures familières : ses grands-parents ou d'anciens amis parler du passé. Certes comme parfois dans ce type d'occasions, les sujets qui fâchent (les inimitiés, la politique) ne seront pas abordés et beaucoup de thèmes seront rapidement survolés ou vite évacués par une plaisanterie. Il n'en reste pas moins qu'on aura passé un moment agréable.
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Héros et tombes (ou) Alejandra

Comme pour tous les « grands chefs-d’oeuvre  de la littérature », il peut y avoir des moments de doute chez le lecteur lambda. J’en ai eu quant à ma capacité de comprendre la troisième partie de ce roman ayant pour titre « rapport sur les aveugles ».

Mais je me pardonne, la colonne vertébrale de ce texte m’étant bien claire.

Il pourrait s’agir d’une histoire d’amour heureuse, malheureuse , comme il se doit , entre Martin et Alejandra mais elle est calquée sur les soubresauts qu’a connu l’Argentine au siècle dernier.

Par exemple, le soulèvement de la Place de mai en 55 donne lieu à un hallucinant récit.

L’enquête sur le Mal est un récit philosophique suivi d’un long cauchemar prophétique .

Un texte magnifique, dur, cruel parfois, difficile à mettre dans une case ;

« On peut échapper à mille situations mais pas à son propre destin. »

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Héros et tombes (ou) Alejandra

Ernesto Sabato vous prend dans ses rets et bien malin celui qui peut dire de quoi sont faites les mailles du filet. L'envoutante, la mystérieuse, la contradictoire histoire de « Héros et tombes » ne justifie pas à elle seule l'enthousiasme ressenti à la lecture de ce livre. le roman est aussi le syncopé, multiple, poétique dévoilement de la secrète et phobique sensibilité sud-américaine.





La naissance sanglante et fratricide de la jeune nation argentine, la persistance des douleurs et des contractions post accouchement, sous la forme incessante de la domination militaire, constituent les arrière-fonds du roman. le temps historique d'un passé récent a marqué durablement les personnages, ils sont pour la plus part frappés de démesure et de folie. le présent du roman quant à lui est celui du populisme péroniste et des prolégomènes des dictatures sanglantes des années soixante-dix.



Dans ces pages, il est éminemment question de Buenos Aires, la ville fourmillante, multiple qui entoure, qui cerne, qui s'insinue. Les héros vagabondent, se débattent dans un décor proliférant, tentaculaire. Nous sommes aux prises avec leurs passions, leurs envoutements, leurs perversions, leurs fantasmes. le roman est un véritable traité des sentiments. Fernando fou, paranoïaque hait incompréhensivement les aveugles et hante, conscient et inconscient, les sous-sols, les caves. Alejandra, dernier rejeton d'une lignée d'aliénés et de héros, se joue du jeune Martin. Au gré d'errance urbaine, elle retrouve, repousse son improbable amant. L'auteur relie l'inconscient au monde extérieur, les cauchemars à notre réalité, le passé et le présent, la passion, la trahison et l'abjection.





Le roman d'Ernesto Sabato communique une émotion qui n'est pas réductible aux seuls sens ou au message délivré. L'auteur propose dans « Héros et tombes » une véritable poétique de l'art du roman. Paul Eluard écrivait : « le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. » Ce grand livre nous ouvre à la sensibilité argentine, à ses mythes, à ses fascinations, il nous fait entendre les battements de coeur de sa capitale.

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Héros et tombes (ou) Alejandra

J'attendais énormément de ce livre et de cet auteur tant loué... Je n'aurais pas dû... La déception est forte.

Si j'ai bien aimé le personnage de Bruno (bien aidé par le point commun avec moi) que je trouve réussi, intéressant, curieux..., je n'ai pas cru à cette Alejandra. Pour moi, ce personnage est creux, il est déclaratif et pas construit morceau par morceau le rendant consistant. Et le personnage principal - dont j'ai déjà oublié le prénom - (Martín, je crois) est faible, ridicule presque. Ses réflexions sont bien trop habituelles, sans surprise. Et il subit tout, et on ne comprend pas vraiment son attrait pour la soi-disant fabuleuse Alejandra.

L'intrigue se pose dans une Argentine foutraque, folle, de conflits, de complots, de guérillas, de violences, d'immigration tout aussi foutraque folle pas regardante... Ceci est assez bien rendu par Sabato.

Certains des personnages délirants sont plutôt bien rendus aussi, et le chapitre ou partie dite "Rapport sur les aveugles" est en soi une forme d'essai parfaitement dingue, rêverie malsaine, paranoïaque qui donne un poids supplémentaire à l'oeuvre. Même si il aurait pu ne pas être.

Mais c'est sans doute ça l'intérêt du livre, accumuler, accoler des morceaux disparates, intenses pour certains (pas tous, certains sont ratés, selon moi), qui forme une description d'une histoire d'amour, d'une histoire de famille ou de clan, d'une Histoire d'un pays, à la fois fantastique, pathétique et malade.



Déçu car je m'attendais à être ébloui, je peux reconnaître certaines qualités mais l'impression plutôt de déjà lu, ailleurs, mieux, plus fort, plus abouti.

Je dois sans doute reconnaître que plus le temps passe moins j'aime la littérature sud-américaine. Pour autant que ces termes veulent dire quelque chose.
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Le tunnel

Castel, peintre reconnu et encensé par la critique, vit dans une solitude sans partage jusqu’à ce qu’il reconnaisse cet être, une jeune femme en l’occurrence, qui pourrait déchirer ce voile de ténèbres et vous diriger vers la lumière. A courir vers la lumière, on peut s’éblouir ou encore pire finir comme le phalène à sa rencontre avec le feu. Et dans ce roman, personne ne sortira indemne car la mort est au bout de la route.

En effet, la narrateur de ce roman se présente comme l’assassin. Il souhaite trouver un éditeur pour se faire publier et expliquer sans aucun remords le déroulement de cette histoire d’amour aboutissant au drame. Drame de la jalousie dont la narration m’a rappelé de nombreuses fois l’Etranger de Camus.

Roman court qui a su tenir, du moins au début, toute mon attention mais, insensiblement, je me suis détaché du récit en ne lisant que par bribes de temps à autres. Mon impression initiale favorable s’est ainsi au fur et à mesure amenuisée pour ne s’achever que par une lecture polie envers le point final.

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Le tunnel

Ecrire une critique sur ce livre n'est pas une chose aisée (en ce qui me concerne).

Je suis sorti de ce livre avec une impression d'inachevé, de superficiel.

Malgré tout son côté philosophique ou plutôt "psychiatrique" m'ont maintenu à l'écoute. Le personnage principal, peintre de son état, est un être pour le moins complexe.

Un psychiatre pourrait surement d'écrire sa pathologie... je ne suis pas psychiatre!

Une femme, pour son malheur, s'intéressera de trop près à l'une de ses toiles...

L'auteur nous fait pénétrer dans l'âme torturé de cet homme. Nous le suivons dans le labyrinthe (ou plutôt le tunnel) de son cerveau, se démener avec ses obsessions, sa paranoia...

Ecrire un livre essentiellement sur ce sujet était osé. Il vaut cependant la peine d'être lu.
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Le tunnel

"Il y a eu quelqu'un pour me comprendre. Mais c'est précisément la personne que j'ai tuée.», cette citation résume parfaitement l'enjeu et le paradoxe de ce livre, publié en 1948 par l'auteur argentin Ernesto Sábato qui nous raconte l'histoire d'un peintre coupable du meurtre de son amante. Souvent comparé à l'Étranger d'Albert Camus, on y retrouve des thèmes similaires. le narrateur (Juan Pablo, le meurtrier), que l'on découvre en prison va nous raconter l'histoire de sa rencontre avec une femme, Maria, qu'il va croiser par hasard, rechercher désespérément, aimer démesurément et… tuer.





L'histoire développe avec pessimisme les thèmes de l'incommunicabilité (et de la solitude qui va de pair) entre les humains et nous verrons le narrateur plongé dans des tourments de plus en plus violents au fur et à mesure que le fossé se creuse entre la personne vraie de Maria et celle idéalisée par le narrateur, la seconde n'est finalement guère plus dans le regard égocentrique du peintre qu'un objet de fantasme et un miroir pour lui-même (car confidence pour confidence, c'est lui qu'il aime à travers elle) jusqu'à aboutir au dénouement tragique mais logique de cette histoire…





Mon principal souci avec ce roman, centré sur le personnage de Juan Pablo est justement ce personnage (le narrateur donc) avec lequel j'ai bien du mal alors même que j'apprécie d'habitude les personnages « égoïstes » et/ou inadaptés dans d'autres romans comme le Meursault de Camus et les anti-héros comme le capitaine Simonini, menteur, raciste et fourbe dans le cimetière de Prague d'Umberto Eco ou le « raté » pathétique David Selig dans L'oreille interne de Robert Silverberg. Ici, sans que je puisse dire exactement pourquoi je n'ai pas ressenti la moindre once d'empathie pour ce Juan Pablo ni même la jubilation que l'on ressent parfois à être du côté du « méchant ».





Du reste, le livre est court (140 pages), son style fluide et la narration classique permettent une lecture rapide et aisée. La lecture n'est donc pas désagréable et les thématiques sont loin d'être inintéressantes mais malgré cela j'ai éprouvé un arrière-gout de déception une fois le livre terminé. Dans le même genre, j'ai préféré à Ernesto Sábato son compatriote argentin Eduardo Mallea dont j'ai trouvé les écrits (Chaves par exemple) plus poignants.
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