Citations de Françoise Guérin (99)
La foule est féroce quand elle se croit dans son bon droit.
Croire que quelqu'un nous appartient, ce n'est pas de l'amour, loin de là ! c'est le début de la violence.
- (...) Pourquoi est-ce que c'est si difficile de croire les victimes d'inceste ?
Il met quelques secondes à répondre et tu apprécies ce bref silence qui te permet d'entendre la profondeur de la nuit.
- Je ne sais pas. Parce ce que ça se passe dans la famille, précisément ? Le danger, c'est l'autre. L'étranger au cercle, le barbare, la personne différente à laquelle on ne peut pas s'identifier. On met en garde les enfants contre les inconnus patibulaires qui rôdent dans les ruelles sombres alors que le risque vient d'abord des proches, des semblables : un parent, un ami de la famille, un entraîneur ou un copain de promo.
On ne te croira pas. Tu n’as ta place nulle part. Tu es nulle. Cette fichue certitude à laquelle tu ne parviens pas encore à renoncer et qui, fatalement, modèle ta façon de dire.
La langue tenait lieu de paravent. Eté comme hiver, les mots étaient boutonnés jusqu'au cou. Dire, ou même mi-dire, c'était déjà médire.
Comme elle te semble loin, à présent, la Clara d'avant la grossesse avec ses certitudes et sa lucidité sans faille ! En mettant au monde cet enfant, tu as dangereusement dévié de ta trajectoire.
Je souris à mon tour mais j’ai envie de pleurer. Trop de douceur, trop d’attention. Le trop souligne le trou. Il y a de l’insupportable et, pourtant, c’est aussi cela que je viens chercher, au-delà de la parole qui me brûle et, pourtant, me guérit.
- Qu’un autre entendre… Non ! Qu’un autre entende ! Voilà, c’est ça !
Je ris. Un petit lapsus de rien du tout… mais qui en dit long sur mon attente dans le transfert. Et je reformule :
- Encore faut-il qu’un autre entende… avec tendresse.
Elle hoche la tête.
- Oui, votre interprétation est intéressante.
Je m’offre un peu de silence, le temps d’écouter résonner ce qui vient de m’échapper.
Un autre pour m’attendre…
Un autre vers qui me tendre…
Un autre assez tendre pour me prêter l’oreille…
Mes pensées égarées. Contrées défendues, territoires occupés. L’enfance au bord des lèvres. Amère.
Jusque là, pas un pli, jour après jour. Elle parle. Elle
croit dire. Fidélité des mots qui glissent, lisses, dans les
replis charnus du silence. Ce silence les contient, lui qui
sait qu’il ne sait rien, elle qui ne veut pas savoir qu’elle
sait. Elle file la métaphore, de tout son être, de tous ces
mots qui servent à ne pas dire. La phrase, ourlée, tissée
serré, ne laisse rien échapper. Jusqu’au jour…
Un accroc. Le bas file. Escarmouche de mots, coup
d’ongle incisif dans la maille phrasée du discours,
brillant, poli, maîtrisé. La métaphore déchirée laisse
entrevoir l’indicible. Les mots s’en échappent, ahuris,
embarrassés. Certains n’ont jamais vu la lumière
La puissance est une douleur lancinante.
Être mère, c'est renoncer pour recevoir.
Pour quitter ceux qu'on aime, on a parfois besoin de les voir comme des bourreaux ou des monstres d'indifférence. On se récite les outrages répétés, les violences qui ont fait trace, les paroles aussi destructrices que les coups. On vacille au gré de la mémoire. On doit aussi, afin de sauver sa peau, se rappeler ce qu'on a cherché à enterrer. Le temps qu'une parole soit possible. Qu'un autre se prête à entendre ce qu'on a été contraint, si longtemps, de taire. Oublier et se souvenir, tour à tour, comme une palpitation.
Oui, tu aimerais qu’il te retienne, qu’il te supplie de rester. Mais il se contente de hocher la tête.
Être mère, c'est renoncer pour recevoir.
La naissance s'accompagne toujours d'une perte. On perd l'enfant rêvé pour l'enfant réel. On perd sa vie d'avant, sa taille de guêpe, sa liberté... C'est pourquoi ce n'est jamais un bonheur sans ombre.
Elle dit qu'on ne devrait jamais accoucher seule. Que donner la vie est une grâce et qu'on doit entourer les femmes, pleurer et chanter avec elles pour les encourager, leur crier qu'on les aime. Elle dit toutes sortes de choses auxquelles tu ne croies plus mais qui, étrangement, te réchauffent.
Depuis toujours, je me fie à ce qui me traverse, lorsque je suis sur une affaire. Même quand j’ai du mal à voir où ça ma mène, je suis attentif aux associations incongrues qui me viennent ou à ce qui m’obsède, en marge de l’enquête. Cela finit toujours par me conduire quelque part, vers un savoir jusque là inconscient mais qui, au final, s’avère décisif. Sauf que, depuis quelques mois, mon esprit est encombré de trop de choses pour que je puisse me fier vraiment à ce que, parfois, mes hommes qualifient d’élucubrations.
-Hum... mon maître à penser, dans ce métier, répétait toujours : " Quand on a plus de trois suspects dans une enquête, c'est qu'on s'y prend comme un manche!"
Ouais... Pourquoi c'est toujours les conneries que je dis qu'on retient pour la postérité ?
Cela surgit sans prévenir.
Un mot. Un son. Une pensée.
Une image qui en appelle une autre.
Et une autre encore.
Une invisible chaîne qui convoque le pire.
Et soudain, c'est la, qui te secoue.
Te pousse vers la tempête.
Et te fait chavirer.
La honte est volatile. Quand l'agresseur ne l'éprouve pas, elle se pose sur la victime. C'est la double peine.