Citations de Françoise Lapeyre (31)
Geneviève- --- La Solitude survenue
Quand elle s'est retrouvée seule, elle a passé un mois sans voir personne à réfléchir à sa situation, rédiger des listes de ce qu'elle voulait faire et ne pas faire, accepter et ne pas accepter. Au terme de cet inventaire, elle a passé des contrats avec elle-même. Il en est ressorti qu'elle gardait la maison, elle n'avait pas les moyens de faire autrement et n'envisageait pas de vivre en ville, en HLM. Il ne lui restait plus qu'à s'adapter, arriver à dormir seule, surmonter la peur des bruits, la peur des orages mais surtout trouver du sens à vivre ainsi. C'est venu peu à peu. Elle a appris la douceur du chat qui vous attend le soir dans cette grande cour obscure quand il faut tâtonner seule jusqu'à la porte de la maison. Ce petit animal affectueux qui a besoin de vous et reste néanmoins solitaire, lui aussi, est devenu indispensable. (p. 93)
Judith
Dans cet aboutissement, la campagne n'est peut-être pour rien, mais l'isolement n'est pas étranger à l'indispensable concentration sur la recherche des matières et des formes. C'est à la solitude, au vide autour d'elle, qu'elle doit d'atteindre ces moments d'élan, elle dit d'effusion. " Là, dans l'atelier, j'oublie tout, je ne vois pas le temps passer, je peux commencer à peindre dans la journée et me retrouver encore là à trois heures du matin. Il y a comme une excitation, une ivresse, le désir d'aller plus loin, comme dans l'aventure." Pour autant Judith ne se dit pas solitaire, la création, pense-elle, a besoin de l'expérience des autres, de confrontations à d'autres univers. Elle se ménage tout le repli qu'elle peut, convoque le silence, mais prévient les amis quand elle se retire pour être sûre de les retrouver au bout de la retraite. (p. 40)
La solitude des ermites
Mathilde
Dans la solitude, il se passe des choses éprouvantes. Intérieurement, ça bouscule. Au début il y a des compensations. Le sentiment de réaliser ce qu'on a recherché". Et puis le lieu était magnifique. J'étais face au panorama des Alpes. Il y a tout ce qui se passe dans la prière, tout ce qu'elle apporte. Mais il y a aussi la part d'ombre de la solitude. Je l'avais déjà vécue, avant, mais pas avec cette force. On va à l'extrême, au bout de quelque chose. Alors il faut énormément de patience. Dans cette vie-là, rien ne vient mettre un terme au sentiment de solitude il n'y a pas d'autres solutions que d'aller au bout. (p. 153)
La solitude réparatrice--- Claude
Sa vie d'aujourd'hui se construit contre l'ancienne : au lieu de l'abandon, la solitude; au lieu du mouvement, "Le "mouillage"; au lieu de la ville, la nature; au lieu de la parole, le silence; au lieu de la dérobade devant la condition mortelle de l'ombre, la détermination philosophique du face à face. (p. 120)
Il y a une solitude de l'espace
Une solitude de la mer
Uns solitude de la mort, mais elles
Sont société
Comparées à ce site plus profond
Cette polaire intimité
D'une âme qui se visite
Infinité finie. [Emily Dickinson ]
(Introduction, p. 14)
La Solitude survenue
Hélène, Lucienne, Geneviève, Alice et Gisèle vivent seules parce que leur vie s'est faite ainsi. sans désir ni vocation de solitude, sans tempéraments de solitaires, elles vivent seules, mangent et dorment seules. Erreur, deuil, handicap ou traumatismes les ont laissées sans personne avec qui partager leur toit, une condition non choisie mais entièrement assumée.
La solitude impressionne et beaucoup l'appréhendent. (...) Etrangement ou naturellement, l'histoire des lieux épaule l'histoire des vies. (p. 57)
Geneviève- --- La Solitude survenue
Récemment, j'ai coupé les liens avec elle ( mère de la narratrice). Pourquoi attendre de l'attachement là où il n'y en a pas ? Moi, je suis dans la solitude depuis ma plus tendre enfance."
"Toujours j'ai ressenti une perte-
Du plus loin qu'il me souvienne
J'étais veuve- de quoi je ne savais
Trop jeune pour qu'on se doute
Qu'une Endeuillée rôdait parmi les enfants "
[ Emily Dickinson, Poèmes ]
(p. 100)
Judith---- La solitude nécessaire
" Mes vacations me dévorent et ne me font pas manger." elle sent cependant qu'elle arrive à transmettre son amour de la peinture, à restaurer fugacement chez certains l'image de soi, à en entraîner quelques-uns dans la création. Et elle a le sentiment de devoir cette parcelle de réussite à sa propre maturité de peintre. (p. 38)
"On apporte le charbon. Ce sont des Noirs qui font ce travail. Leur chant n'est pas le chant gai des marins anglais, c'est une mélodie douce et monotone avec des paroles africaines, mais ce chant fait mal; ce n'est pas celui d'un peuple libre, la plainte est, au fond, comme un écho sourd et douloureux, un cri sortant d'une poitrine déchirée et qui revient à chaque refrain."
Emma
Emma a dépouillé sa vie de tout superflu. Sobriété, construction stricte, lignes rigoureuses, ses dessins, toutefois, inscrivent dans leurs traits un raffinement et un silence de paix. Mais on n'ose pas trop y croire tant sont extrêmes ses conditions de vie et de travail."Moyenâgeuses", dit-elle. Elle a fait du dessin une ascèse, et d'elle-même une ascète. Pour ne pas s'interrompre, il lui est arrivé de repousser la corvée des courses au prix de deux jours de jeûne. (p. 42)
Tout son récit est étrange. Il contient une excursion plaisante de gens cultivés et favorisés naviguant sur un fleuve funèbre, immense et magnifique. Les cadavres frôlent l'embarcation, la fureur des tigres gronde dans la nuit, les bûchers consument des morts, mais aussi des vivantes, d'énormes animaux s'entretuent, et le bateau continue de glisser sur les eaux pendant que les passagers s'enchantent de leurs conversations et admirent le spectacle du soir qui tombe.
Elle a construit sa plénitude dans l'isolement, le silence et le refus.
Geneviève- --- La Solitude survenue
J'ai fait un chez -moi où je me plais beaucoup parce que c'est moi qui l'ai réalisé. C'est ça qui a du prix. Pour mon mari, on me disait que j'aurais pu le détruire, mais je l'avais aidé à faire de lui ce qu'il était et on ne détruit pas ce qu'on a fait. (p. 104)
Anna
La solitude, elle l'aime ou, du moins, la préfère à tous les autres conditions quitte à l'élire pour ne pas la subir. Cette maison qui l'a consolée de ses grands chagrins lui offre, pour une somme dérisoire, la nature, le calme, l'espace: " c'est un vrai luxe, avoir un paysage comme ça devant soi, un tel calme. J'ai un grenier plein de livres, des pièces en supplément, je peux déambuler dans cette maison. Même sa vétusté ne me gêne pas, c'est beau ! L'escalier de pierre est beau. Les matériaux sont beaux. Je suis assez monacale, c'est blanc, avec presque rien et c'est le nid." Deux dispositions lui permettent de se sentir bien: elle ne connaît ni la peur ni l'ennui. sa passion de l'écriture finit d'alimenter cette cohérence. (p. 25)
La notion de solitude est incertaine, et le terme polysémique: la solitude comme souffrance ( l'exclusion) ou comme sérénité (la retraite), la solitude comme force ( l'autonomie) ou comme disposition pathologique ( l'asociabilité), la solitude parmi les autres ( le sentiment d'abandon) ou la solitude intégrale ( l'état d'être effectivement seul) ( Introduction, p. 9)
En société, j'ai l'air à l'aise mais c'est une apparence, ma vraie nature est d'être solitaire.
Elles ne se constituent pas en un groupe isolé des autres, elles ont tout autant besoin de courage dans l'adversité des épreuves quotidiennes, mais il y a dans ces existences un plaisir de la solitude qui lui donne l'aspect d'un don..
Je me trouvais déjà seule parmi les autres.
La solitude réparatrice--- Claude
s'il lui arrive d'affronter l'angoisse de l'existence, à la tombée du jour, par exemple, et de penser à la mort, Claude a le sentiment de faire, cependant plus que d'autres, face au destin humain. Trop regarder la télévision, ne pas supporter d'être seul, s'accrocher au téléphone, vivre dans le bruit, sont, à ses yeux, des façons de conjurer la peur existentielle en bradant la vie. (p. 119)
Emma
On comprend que ces pièces sombres et rudimentaires, sans eau, sans électricité, sans le moindre confort la protègent et apportent la paix nécessaire à l'oeuvre qui réalimente à son tour cette paix. "rien ne peut m'arriver si je dessine". (p. 45)