Préface
Octobre 2006. Je reçois un coup de fil inattendu. Les archives de C.T. Loo, le plus grand marchand d’art asiatique de tous les temps, viennent d’être trouvées par hasard, cinquante ans après sa mort, dans la cave de sa galerie parisienne. C’est un secret. L’un de ses petits-fils m’invite à les consulter sur place dans la pagode rouge du 48, rue de Courcelles. La découverte est exceptionnelle : des milliers de pages de correspondance de l’antiquaire avec ses proches, ses associés et ses clients, des centaines de photographies personnelles. Le dépouillement dure des semaines. Je suis la première à lire l’ensemble.
Commence alors une formidable enquête de plus de six ans.
Derrière la figure de ce maharaja moderne, icône de l’élégance et d’un style de vie devenu un modèle pour les autres princes indiens, s’en cache une autre, plus mystérieuse. Déchiré entre les deux mondes irréconciliables qu’il habite – l’Inde et l’Occident –, voulant vivre dans les deux tout en refusant d’appartenir à aucun, il finit par s’apercevoir qu’il ne pourra jamais être heureux. Désorienté, le bonheur des Européens n’est pas pour lui et l’allégresse des Indiens n’est plus pour lui. Cette mélancolie chronique le rend aussi singulier et bizarre aux yeux des siens qu’énigmatique aux yeux des Occidentaux.
De Yeshwant Rao Holkar II, on ne sait rien directement. Ce silence s’explique par la volonté du maharaja lui-même d’effacer les traces. Peu avant sa mort, il brûle discrètement ses correspondances et autres papiers, dont le petit carnet de poche rempli de notes qui ne le quitte jamais, une habitude britannique prise enfant, lorsqu’il étudiait en Angleterre. Il abandonne à la fin de sa vie son projet d’autobiographie, une manière sans doute d’affirmer que, ce qu’il n’écrirait pas, personne ne se risquerait à le raconter à sa place.