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Critiques de Gérard Noiriel (63)
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Le venin dans la plume

Le scandale génère de l’audience et l’audience génère des recettes publicitaires



Je souligne d’abord la patience érudite de Gérard Noiriel. Lire attentivement les textes injurieux et racistes d’Edouard Drumont, d’Eric Zemmour et les commentaires sur le site d’extreme-droite Risposte laïque, pour nécessaire que cela soit pour présenter des analyses, reste un exercice éprouvant pour celleux qui prônent l’égalité, qui refusent les hiérarchies civilisationnelles, raciales ou sexistes, l’essentialisation des groupes sociaux et des nations, et qui cherchent justement à faire histoire et émancipation.



Le langage du polémiste et celui du chercheur en sciences sociales, « L’un des buts de la présente étude est d’essayer de comprendre pourquoi les polémistes comme Zemmour ont, au final, toujours raison, alors qu’ils bafouent la raison », les professionnels de la parole publique, le vocabulaire injurieux, les atteintes à la dignité, les calomnies répercutées par des médias, les types de pouvoir et de privilèges (je soutiens l’idée de l’auteur de dévoiler publiquement sa feuille d’impôts, son patrimoine, de dire dans quel quartier il vit. L’exigence de connaître les éléments d’où les un·es et les autres parlent devrait relever de la bonne déontologie). « Le « populisme » au sens vrai du terme, c’est l’usage que les dominants font du « peuple » pour régler leurs querelles internes ».



L’auteur fournit quelques éléments biographiques, son parcours, sa trajectoire, une façon de défendre sa dignité « qui consiste à ne pas vouloir se comporter comme ceux qui vous ont humiliés ». Il parle de la fascination du monde bourgeois de certains « transfuges sociaux », tels Edouard Drumont ou Eric Zemmour, leurs inventions de « dominants imaginaires », de ceux qui nourrissent le populisme depuis les positions de pouvoir qu’ils occupent, du vocabulaire de l’identité et des « identités latentes ». Il souligne que le « discours identitaire se caractérise par le fait qu’il sélectionne l’une de ces identités latentes pour la projeter dans l’espace public, la transformant ainsi en identité collective, un « personnage » dénoncé ou défendu dans le cadre des luttes politiques du moment ». J’ajoute que cette façon de faire n’est malheureusement pas réservée à la droite extrême ; certain·es se revendiquant de l’émancipation tendent à réduire de la même façon des individus à une identité unique et fantasmée.



L’auteur termine son avant-propos par un juste rappel : « L’antisémitisme et l’islamophobie ne sont pas des idéologies incompatibles avec le régime de la démocratie parlementaire ».



Sommaire



Deux polémistes en République



La fabrique d’une histoire identitaire



L’art d’avoir toujours raison



Comment devenir un « polémiste » populaire ?



Gérard Noiriel fournit des éléments comparatifs de la trajectoire sociale d’Edouard Drumont et d’Eric Zemmour sans sombrer dans l’« illusion biographique ». L’auteur parle, entre autres, de déclassement social, d’auto-(re)présentation comme rebelle, d’assimilation en un « nous », de fait divers, de contexte socio-économique, d’immigration, de crise économique, de développement des médias – presse papier hier, télévision en continu et réseaux sociaux aujourd’hui -, de noces du spectacle et de la télévision, de scandales, de violences verbales et d’insultes, d’exigence de loyauté envers la « patrie », de règles déontologiques du journalisme… Je souligne l’intérêt de la méthode comparative, la mise en évidence de similitudes et de différences ; il n’y a pas de « tous temps ».



Des obsessions, pour Edouard Drumont l’obsession juive et l’antisémitisme, pour Eric Zemmour l’obsession musulmane et l’islamophobie.



Histoire, histoire de « France », histoire des élites, histoire identitaire, histoire construite sur un mode tragique, négation de la diversité des individus composant réellement une nation ou la population d’un Etat, « Leur récit est structuré par un affrontement central entre un personnage qui remplit le rôle de la victime et un personnage qui est désigné comme l’agresseur ». L’auteur aborde l’insistance sur les soi-disants permanences à travers le temps (une histoire hors de l’histoire), la personnification des Etats, « présenter les États-nations comme autant de personnages qui se comportent de la même manière que les êtres humains », les visions purement cycliques, la notion de déclin ou de décadence, l’invention des « étrangers de l’intérieur », la critique élitiste des élites, la mise en cause réactionnaire des Lumières, les « grands hommes » et l’anti-féminisme, les visions inversées des rapports dominants/dominés », la fascination sur la question des noms… Je souligne les paragraphes sur les relations « entre Juifs et Arabes » revus et corrigés par les pamphlétaires, « Eric Drumont contre Edouard Zemmour », les vrais français et celleux qui ne le seraient pas.



Les logiques d’expression des polémistes et leur reconstruction de l’histoire relèvent de l’imposture, d’une pratique de procureur. Leur conception organique de la nation se conjugue avec une conception figée des immigrations. L’auteur aborde le refus de prendre en compte « la diversité des destins sociaux et des affiliations qu’on observe chez ceux qui sont issus d’une même communauté d’immigrants » (Stéphane Beaud cité par l’auteur), les discours sur les banlieues, et les musulmans. Les polémistes ne se soucient aucunement des discriminations subies par les populations, encore moins du travail ; ils sont plutôt fascinés par les « grands » de ce monde. La force des préjugés est mobilisée dans les discours de haine, « La stigmatisation des signes religieux tend à remplacer la stigmatisation des signes raciaux ». Des histoires sont racontées, en ayant l’air savant, mais sans le moindre effort pour « respecter les principes élémentaires de toute démonstration rationnelle ». Les pamphlétaires trafiquent ainsi les vérités sans risques, polémiquent pour exister, « ils crachent leur venin pour faire scandale car c’est leur seul moyen d’exister sur la scène intellectuelle », prétendent que le terrain qu’ils balisent est un terrain neutre et qu’ils sont des « victimes bâillonnées et persécutées » alors qu’ils bénéficient de puissants relais dans l’espace public…



Le dernier chapitre répond à la question « Comment devenir un polémiste « populaire » ». Gérard Noiriel aborde, entre autres, la fabrication d’un best-seller, le rôle ancien des duels, la légitimation de l’idée qu’il existait hier un « problème juif », aujourd’hui un « problème musulman », l’intérieur du petit milieu médiatique qui « se prend pour le centre du monde », l’exploitation des ressources de l’« industrie de l’info-spectacle », la soi-disant neutralité de nombreux espaces médiatiques, les liens entre les scandales et les recettes publicitaires, l’orchestration de la falsification intellectuelle, le ressassement des thèses réactionnaires. L’auteur pose la question de comment répondre, de ne pas céder à l’obligation (mais aussi) à la facilité de parler la même langue…



Je rappelle ce qu’écrivait Audre Lorde : « Car les outils du maître ne démantèleront jamais la maison du maître. Ils nous permettront peut-être de le battre temporairement à son propre jeu, mais ils ne nous permettront jamais d’apporter un véritable changement ».



Dans sa conclusion, « Vous n’aurez pas ma haine », Gérard Noiriel imagine, à partir d’un commentaire d’une fan d’Eric Zemmour, en six articles, « que la conception de l’histoire que défend et que met en œuvre Zemmour dans ses livres ait force de loi ». Un scénario qui paraitra sans doute absurde à beaucoup. Et pourtant… L’auteur revient, entre autres, sur Edouard Drumont, les discours antisémites, Georges Bernanos, la dénonciation des soi-disants « bien-pensants », la politique de l’enseignement et de la recherche du gouvernement de Vichy, Eric Zemmour, Laurent Wauquiez, la mise en œuvre d’une certaine « grammaire », le partage entre le vrai et le faux, les yeux rivés sur l’audience médiatique, la banalisation des propos identitaires, « Tous ces discours s’organisent autour d’un principe identitaire mettant en scène non pas des individus réels mais des personnages qui s’affrontent à partir du clivage « eux » / « nous » ».



L’ambition civique passe aussi par le titre choisi pour cette conclusion, « Vous n’aurez pas ma haine »…



Quelques éléments me paraissent plus que discutables, ils ne sont cependant pas centraux dans les analyses présentées. Je n’en évoque qu’un.



Si je partage l’insistance de l’auteur sur l’abandon de la question sociale (dont pour moi, le droit à l’emploi, le droit aux ressources et la réduction radicale du temps de travail), sa conception de celle-ci me semble réductrice. Les rapports sociaux de sexe (sytème de genre) et les procès de racisation (qui ne sont pas réductibles à la situation des immigré·es) sont, pour moi, parties intégrantes de la question sociale. En faisant l’impasse sur ces questions, les organisations du mouvement ouvrier et bien des courants de l’émancipation se sont interdit à penser l’ensemble des dominations et y répondre. Ils ont renvoyé des composantes importantes, dans le cas des femmes une composante majoritaire, de groupes sociaux à une sorte d’invisibilité, accru les divisions et limité de possibles mobilisations…



Quoiqu’il en soit, Gérard Noiriel nous permet de comprendre les similitudes et les différences dans deux contextes de la « part sombre de la République ». Si les constructions et les réceptions de polémiques alimentées par des « propos racistes, sexistes, homophobes » peuvent s’analyser, une part d’ombre subsiste. Aux explications fournies par l’auteur, j’ajouterai le socle profondément inégalitaire de nos sociétés, la naturalisation de cette inégalité, les classements divers des individus sur des échelles de valorisation – dont la méritocratie « républicaine » -, la concurrence plutôt que la solidarité (aggravée par les politiques néolibérales et le fantasmatique « entrepreneur/entrepreneuse de soi »). Il nous faut donc mettre au centre de nos préoccupations cette égalité sans condition dont parle, entre autres, Réjane Sénac dans son livre « L’égalité sans condition.Osons nous imaginer et être semblables », construire les lieux et les institutions afin que « nous puissions épanouir à égalité notre singularité individuelle »…



C’est dans la pratique de l’égalité, dans l’amélioration sensible des conditions de vie des salarié·es et des citoyen·es, dans la mobilisation effective des solidarités, que les discours de haine pourront être repoussés. Cela passe aussi par la mise à jour des ressorts « médiatiques », de amplification algorithmique des sujets, de la responsabilité de ceux qui font argent de la prolifération des insultes, de la démagogie populiste ou fasciste…
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Une histoire populaire de la France : De la..

Iels entrèrent par effraction sur la scène de l’histoire, certain·es pour en sortir aussitôt les pieds devant, et, d’autres pour creuser les sillages de l’émancipation



En avant-propos, Gérard Noiriel rappelle la référence que constitue l’Histoire populaire des Etats-Unis d’Howard Zinn, « Le but de ce grand historien américain était de proposer une « histoire par en bas » faisant une vraie place à ceux dont les manuels ne parlaient pas ou peu : les Amérindiens, les esclaves, les femmes, les syndicalistes ouvriers, les objecteurs de conscience hostiles à la guerre du Viêt Nam, etc. ».



L’auteur souligne, entre autres, la crise du mouvement ouvrier, l’affaiblissement des luttes sociales au « profit des conflits identitaires ». Que l’on partage ou non cette opinion – je ne suis guère adepte de la notion d’identité -, la phrase suivante n’en reste pas moins problématique.



« Le projet d’écrire une histoire populaire du point de vue des vaincus a été accaparé par les porte-parole des minorités (religieuses, raciales, sexuelles) pour alimenter des histoires féministes, multiculturalistes ou postcoloniales, qui ont contribué à marginaliser l’histoire des classes populaires » Outre le fait qu’il est étrange de parler des femmes comme d’une minorité, de couper les luttes anticolonialistes des mobilisations populaires, c’est surtout faire l’impasse sur les divisions objectives des « classes populaires », traversées par des conflits de sexe, de « race », de qualification, d’origine, de génération, etc. Il s’agit bien de tensions et de contradictions, d’intérêts partiellement divergeant – de relation de pouvoir et de domination – au sein même des « classes populaires ». Et un des reproches que l’on pourrait faire aux organisations du mouvement ouvrier, c’est justement d’avoir été aveugles à ces tensions, en faisant croire que l’ouvrier était mâle, blanc et professionnel, et en laissant « dans l’ombre des formes oubliées du malheur social » pour utiliser une expression de l’auteur.



Gérard Noiriel parle aussi de « perspective relationnelle », d’enjeu de luttes dans la définition de « populaire », de résistances, d’articulation entre le passé et le présent… Il indique avoir privilégié « les questions qui sont au centre de notre actualité, comme les transformations du travail, les migrations, la protection sociale, la crise des partis politiques, le déclin du mouvement ouvrier, la montée des revendications identitaires. Ces dernières ayant poussé au paroxysme les polémiques mémorielles, j’ai abordé ces enjeux dans plusieurs chapitres du livre, en montrant ce qui différenciait l’histoire et la mémoire ». Je reviendrais en conclusion sur sa définition, que je juge très réductrice, de la « classe ouvrière » et une forme d’expulsion, de la question sociale, des luttes pour l’égalité portées par les féministes, les anticolonialistes, les antiracistes, etc.



« L’ambition ultime de cette Histoire populaire de la France est d’aider les lecteurs, non seulement à penser par eux-mêmes, mais à se rendre étrangers à eux-mêmes, car c’est le meilleur moyen de ne pas se laisser enfermer dans les logiques identitaires ».



Je ne voudrais pas faire croire que les divergences politiques sur certains sujets avec l’auteur, réduisent l’intérêt de cet immense récit. Gérard Noiriel réussit à présenter « sous une forme simple » de nombreuses questions qui restent complexes à appréhender. Son regard au présent, situé comme il l’écrit lui même, est orienté vers les couches de population, les plus nombreuses et les plus invisibilisées des constructions historiques institutionnelles. Il s’agit bien d’une histoire populaire, de choix assumés, et, d’un formidable outil pour réfléchir à notre monde et à nos futurs.



Sommaire :



Avant-propos



1. Pourquoi Jeanne d’Arc, malgré tout ?



2. Dire sa souffrance au nom de Dieu



3. Dans l’ombre de Jupiter



4. Codes noirs



5. Liberté, quand tu nous tiens…



6. L’invention de la citoyenneté



7. Chapeau bas devant la casquette



8. Les usines à la campagne !



9. La nationalisation de la société française



10. « Le devoir de la race »



11. La guerre plutôt que la révolution



12. Classe contre classe



13. Le peuple « indésirable »



14. Le droit d’avoir des droits



15. « On a raison de se révolter »



16. La dernière nuit des prolétaires



Conclusion. De quel avenir Emmanuel Macron est-il le nom ?







Donner à comprendre sans juger est au cœur du travail de l’historien·e. Que celle-ci ou celui-ci fasse le choix d’un récit abordable par toustes, dans une langue usuelle me semble plus qu’important. L’historien·ne est aussi un·e citoyen·ne, qu’iel assume aussi un ou des points de vue engagés – donc politiques -, contre une soi-disante neutralité scientifique, permet de mieux saisir son regard sur les événements étudiés, pour autant qu’iel exprime clairement ses choix. Gérard Noiriel, me semble-t-il, assume pleinement ses orientations. Il reste donc possible et nécessaire de les discuter. Ce que j’ai fait sur certains points en introduction et que je reprendrai en fin de cette note.



Ces remarques critiques, forcément trop longues en regard de la présentation de l’ouvrage doivent bien évidement être comprises comme une incitation à s’approprier les développements de Gérard Noiriel.







Quelques éléments choisis subjectivement, accompagnés ou non de remarques critiques.



Les repères mémoriels, la différence entre commencement et origine, nos ancêtres les migrant·es, les grandes civilisations du bassin oriental de la Méditerranée, le piège de la domination coloniale fixée dans le langage, la domination de l’histoire par « ceux qui détenaient le pouvoir d’écrire et d’interpréter le monde au moyen de l’écriture », l’invention de la continuité généalogique, la longue période de la pénétration des tribus germaniques dans l’espace gallo-romain, le caractère sacré des princes, les formes spécifiques de la domination exercée par les puissants à l’époque médiévale, le sentiment d’appartenance de l’élite, le temps long de l’esclavage, les trois ordres et la légitimation du système de domination, le droit de propriété et le pouvoir de commandement et de taxation, la militarisation de l’espace, les progrès de l’agriculture, les chartes de franchises, l’autonomisation des pouvoirs urbains, la croissance démographique et ses conséquences, les guerres de conquête et les alliances matrimoniales, les croisades contre les hérétiques, le développement des échanges monétaires, les progrès de la culture écrite, la redéfinition du lien vassalique, l’hérédité des charges, la construction de l’Etat capétien, la crise de subsistance, la masse énorme de migrant·es que « la guerre, les épidémies et la faim avaient chassés des campagnes », les représentations de la pauvreté, « la pauvreté cesse d’être perçue comme une affliction individuelle », les formes embryonnaires des forces de l’ordre et la création de l’armée de métier, la naissance de l’impôt royal « qui fabriqua le peuple français en tant que communauté d’individus assujettis à l’Etat », l’agitation contre les nouvelles taxes – notamment la gabelle -, les marchands-fabricants et les innovations techniques, les révoltes en Flandre et « la piétaille avait triomphé d’une armée de chevaliers commandée par le monarque le plus puissant de l’époque ! », la première municipalité de Paris, Jeanne d’Arc et le mythe, l’accession des membres de la bourgeoisie à des fonctions publiques, l’hétérogénéité des espaces économiques, le concept de « frontières » et son inexistence en certains temps historiques, l’église catholique comme rouage de l’Etat, le rire carnavalesque, la dépendance collective sous le double effet du monopole de l’impôt et de la force publique, la crainte des classe populaires…



Dans le premier chapitre l’auteur parle de laïcisation, je pense que le terme le plus approprié est sécularisation.







Je souligne le titre choisit pour la seconde partie, « Dire sa souffrance au nom de Dieu », le soulèvement en Alsace au printemps 1525, la redécouverte de l’imprimerie, la publication des quatre-vingt-quinze thèses de Martin Luther, la querelle religieuse et son appropriation populaire pour combattre l’exploitation, les théoriciens de la dissidence, les « Turcs » et la prise de Constantinople, l’identité chrétienne hostile aux « musulmans », la répression des dissidences par l’Etat central en France, le faible développement des communications, l’identité civile et l’appareil ecclésiastique, les châteaux sans vocation militaire, l’augmentation de la population et le morcellement des propriétés, les révoltes paysannes du XVIe siècle et les féroces répressions, la politisation de la question religieuse, la Compagnie de Jésus, le parti huguenot, « Le consistoire imposa en effet une discipline de fer et un rigorisme moral qui n’avait rien à envier aux pires pratiques de l’Inquisition, encourageant la délation et les humiliations de celles et ceux qui ne voulait pas marcher droit », la soumission au pouvoir royal et la fin des atrocités de la « guerre civile », l’Edit de Nantes et une situation de tolérance unique en Europe (j’ajoute, limitée cependant aux seules familles religieuses chrétiennes), l’« intellectualisation » et la « moralisation » des pratiques religieuses, « Le rire carnavalesque fut étouffé dans un bain de sang »…



Le titre de cette note, est inspiré d’une phrase de l’auteur tiré de ce second chapitre.







Le temps de Louis XIV, l’« ombre de Jupiter », Richelieu et Colbert, la révolution militaire, l’augmentation des impôts, la transformation des pays d’états en pays d’élection, les révoltes contre le tour de vis fiscal, la Fronde « dernière tentative des aristocrates pour échapper à la souveraineté de l’Etat royal », le parlement anglais et l’exécution du roi, la monarchie administrative et Colbert, l’homogénéisation des règles de droit, la centralisation des informations, la conscription, la taxe sur les étrangers et la naturalisation, la politique mercantiliste et la multiplication des corporations, les ventes d’offices et de droits (c’est à mes yeux, une forme de « privatisation » des fonctions pouvant être démocratiquement et collectivement assumées), la société de cour, la notion de « civilisation », la symbolique empruntée à l’Antiquité, le remplacement des références mythologiques par « une allégorie réelle : la représentation du roi sous ses propres traits », l’idée d’une relation directe entre le monarque et « ses » sujets, la surexploitation des classes populaires, les assemblées fiscales et l’exclusion des femmes, la volonté de mettre au travail les vagabonds valides, la confusion entre mise au travail et répression, l’arsenal des galères et les galériens – des condamnés de droit commun et « des vagabonds, homosexuels, tsiganes, juifs, protestants, déserteurs » -, la guerre sans merci contre les « protestants », les camisards, l’Angleterre comme « terre pionnière pour le régime parlementaire »…



Personnellement je trouve très discutable la phrase « pour séduire le peuple, il faut le tromper par les apparences » qui ne fournit aucune explication. Il conviendrait de montrer pourquoi des apparences peuvent se muer en éléments crédibles à un moment particulier. Il serait par ailleurs utile de réfléchir aux possibles détruits par la centralisation colbertienne et aux effets à longs termes y compris au sein du mouvement ouvrier, bien fasciné par les procès d’assimilation par la « norme ».







Je ne partage pas toutes les analyses sur les « Codes noirs » développées au chapitre IV. Si l’auteur souligne la question de l’esclavage colonial, le rôle fondamental de la « découverte du nouveau monde » (voir à ce sujet, le récent livre d’Alain Bihr : 1415 – 1763. Le premier âge du capitalisme. T1 : L’expansion européenne), la colonisation brutale de la Caraïbe, le travail servile sous forme d’« engagement », le « paradigme sucrier », la traite négrière atlantique et le travail de plantation, le processus de déshumanisation, l’esclavage domestique, la concentration de terres, la christianisation forcée, la place de la couleur de la peau, les manies classificatoires, les résistances collectives, etc… ses explications sur le racisme, la non-dénonciation de l’esclavage ou le « code noir » ne me satisfont pas (voir par exemple à ce sujet, Ce qu’écrivaient deux capucins en… 1681. Prologue à la 13e édition de l’ouvrage de Louis Sala-Molins : Le Code Noir ou le calvaire de Canaan).

Liberté. L’affaiblissement des liens directs et interpersonnels, l’introduction du papier-monnaie, la force de travail dans l’économie domestique, un véritable service postal, les migrations temporaires, l’« identification à distance des sujets du royaume », les nouvelles relations de pouvoir, la massification du service militaire, l’individuation, (qui n’est pas la même chose que l’individualisation), la répression du vagabondage et ses effets sur les fractions inférieures des classes populaires, le service domestique, la sociabilité populaire, la vie de quartier, « Le modèle social de la république urbaine protégeait les communautés en défendant une conception des libertés refusant la dissolution des liens de solidarité locale sous les coups du libéralisme », la frontière poreuse entre les vagabonds (y avait-il des femmes vagabondes ?) et les travailleurs, un nouvel « espace public », le repli de la religion comme « affaire privée », celles et ceux qui savaient lire, les différenciations des « histoires nationales » en Europe, les « philosophes des Lumières », l’apologie de la « liberté », les processus contradictoires de l’émancipation des classes populaires, les « mouches » policières, les documents d’identité, l’« indiscipline ouvrière », la « guerre des farines », la circulation des marchandises, les variations du prix des grains…







L’invention de la citoyenneté. Le moment révolutionnaire, les cahiers de doléances, l’exemption des privilégiés, l’utilisation des possibilités nouvelles de « faire entendre » sa voix, la convocation de l’« Assemblée », le vote par ordre, les élus du tiers état, le « consentement à l’impôt » et la condamnation des impôts indirects, la nuit du 4 août 1789 et la fin des privilèges, la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (et j’ajoute, l’oubli des femmes, des esclaves et des enfants…), l’agitation populaire et le mouvement d’émancipation collective, un conception de la citoyenneté (j’ajoute exclusive et non universelle), la catégorie abstraite du citoyen, la conscription obligatoire et la transformation des « garçons en hommes, de même que le mariage transformait les filles en femmes », la différentiation entre citoyens « actifs » et « passifs », le temps libre et l’indépendance économique des seuls propriétaires, les élections et les postes à pouvoir (justice, fonctionnaire, municipalité, etc.), l’autonomie, la « Grande Peur », la loi Le Chapelier ou les droits collectifs, le droit de résistance à l’oppression, les « nous citoyennes » pour dénoncer la domination masculine, l’égalitarisme partageux, la sacralisation du peuple souverain, les droits sociaux, l’invention de la « terreur », les rébellions « fédéralistes », les Enragés (je ne partage pas la présentation très « idéologique » de l’auteur), la loi des suspects, les esclaves et les colonies, la puis les républiques, la symbolique révolutionnaire, la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne »…



Je souligne le passage sur les efforts de discrédit de la révolution française, entre autres, par la troisième république qui construisit « une matrice mémorielle à la fois événementielle et centrée sur la violence populaire ». Il me semble important de revenir sur cette révolution, ses contradictions, ses apports et ses limites, loin des légendes écrites. Il y a tant à dire sur les contradictions de ceux – révolutionnaires – qui prônèrent l’égalité et la liberté et… l’exclusion des femmes par exemple.



J’aurais aimé que l’auteur traite des limites « spatiales » de la citoyenneté, de la frontière construite entre « espace public » et « espace conjugal », de la démocratie qui n’entre pas ni dans le domicile ni dans la chambre à coucher…







« Chapeau bas devant la casquette » (qui minime cependant l’activité des femmes), le coup d’Etat du 18 Brumaire, les retours en arrière et la persistance d’éléments issus de la période révolutionnaire, le code civil (mais dans l’oubli de la mise en incapacité des femmes), le droit du sol (mais en coexistence au fantasmatique droit du sang), 1830 et les « Trois glorieuses », les rentiers et les propriétaires, les canuts, le prolétariat (un terme qui me semble toujours d’actualité contre les réductions sociologiques en catégories non relationnelles), les pathologies et la biologie, les clichés (terme que je préfère à stéréotypes), les journaux, les espaces de sociabilité populaire, le rôle des femmes (qui ne se limite pas, comme l’écrit l’auteur à l’économie familiale et à la gestion de l’entreprise ; mais de manière générale, les aspects contradictoires de la famille sur la vie des femmes sont gommés au profit d’une sorte de valorisation unilatérale de la « famille populaire »), les irruptions de la parole ouvrière, la question des nationalités, 1848 et le « printemps des travailleurs », le Comité central des ouvriers de la Seine, les clivages entre « démocratie directe » et « délégation de pouvoir », les hostilités envers les travailleurs étrangers…







Les usines à la campagne. Napoléon III, les paysans (et j’ajoute les paysannes dont le travail ne devrait pas être sous-estimé), un régime autoritaire, les mondes ruraux et les mondes urbains, la pluri-activité, le développement industriel, la figure naissante du prolétaire et l’oubli des travailleurs et travailleuses de la terre, les relations de pouvoir et le « modèle domestique », le malthusianisme et le contrôle de la sexualité des femmes, le procès d’individuation et son caractère genré (les hommes refusent le droit de vote des femmes au nom d’une possible dissolution de la famille comme « atome élémentaire ») le tournant « libéral » des années 1860, le secteur artisanal et le développement de la grande industrie, le système de marchandage…







La Commune, la citoyenneté en arme, le prolétariat et la mémoire ouvrière, les politiques d’intégration développées par l’Etat, l’unification nationale sous l’égide d’une partie de la bourgeoisie, la démocratisation de la culture écrite, la création des écoles primaires, l’enseignement de l’histoire comme roman national, la « fait-diversion de l’actualité », la presse de masse et les journaux militants, le développement des moyens de communication, l’exode rural, la question sociale et sa réduction en « protection nationale », les accidents de travail, les immigrations et les conditions « pour devenir français », l’assimilation comme négation de l’égalité…







Le chapitre X est intitulé « Le devoir de la race ». La colonisation, de l’expédition d’Egypte à la conquête de l’Algérie, l’invention de la « race » et la responsabilité de scientifiques dont des biologistes, la politique de la terre brulée, les sabreurs sous la bénédiction des goupillons, la « pacification » comme élément de ce que nous nommons aujourd’hui crime contre l’humanité, Jules Ferry, l’Etat colonial comme unité institutionnelle en métropole et dans les colonies, une certaine conception des « droits de l’homme » confondant « le masculin, le national et l’universel », la fabrication des « indigènes » et de celles et ceux qui ne le seraient pas, les rhétoriques républicaines et le travail forcé, le régime de l’indigénat, les résistances toujours sous-estimées voire niées des populations contre assujettissement, les normes arbitraires imposées et les découpages des populations en fonction des relations de pouvoir…



Je ne partage l’idée que les émancipations passent nécessairement par la construction d’« Etat-nation. »
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Le venin dans la plume

A la suite de la lecture d'un passionnant article sur l'anti intellectualisme français dans la revue "l'éléphant" N°30, on nous suggérait d'ouvrir le sujet avec l'excellent livre de Gérard Noiriel "Le venin dans la plume".



L'historien nous propose une comparaison détaillée entre l'islamophobie d'Eric Zemmour et l'antisémitisme d'Edouard Drumont (fin du XIXème siècle). Il existe en effet de nombreuses similitudes dans le parcours de vie de ces deux polémistes, dans leur utilisation des médias (presse écrite pour l'un, télévision et réseau sociaux pour l'autre) et dans les contextes politiques et économiques qui ont été propices à la propagation de leur idées…



En réfutant le travail des historiens de métier (et donc en niant l'objectivité d'une démarche purement historique/scientifique) ils réécrivent l'histoire pour qu'elle conforte leur point de vu. Ils adulent certains héros (Napoléon, Charles de Gaulles, Pétain qui aurait selon Zemmour, sauvé 95% des juifs français…) tout en accusant les lumières et les droits de l'homme de nous avoir aveuglés et perverti, nous faisant basculer dans une vision naïvement humaniste de notre monde… ce que Zemmour appelle l'islamo-gauchisme.

Au nom du "c'était mieux avant" ils dénoncent les mouvements féministes et LGBTQ qui sont accusés de détruire la famille traditionnelle, de même que l'accès au divorce ou à l'IVG… niant les avancées que cela représente en terme d'égalité et de liberté…



Gérard Noiriel va également analyser pourquoi ils ont une telle place dans les médias et pourquoi il est si difficile de réfuter de façon objective leurs arguments pourtant si évidemment dénués de fondement. La recherche du buzz et la course à l'audimat y est certes pour quelque chose. Mais il existe également une part d'anti-intellectualisme, et c'est là le lien avec l'article de "l'éléphant" qui en suggérait la lecture. Lorsque l'on met un scientifique en face du polémiste, il va être accusé de se conduire en "professeur" et d'infantiliser son interlocuteur, car il existe une défiance envers les spécialistes que les polémistes alimentent eux même… Je comprends très bien cet argument car je retrouve la même chose en médecine aujourd'hui, domaine dans lequel je suis impliquée.



Au final, les arguments complètement "tirés par les cheveux" de ces 2 polémistes font sourire car on sait aujourd'hui qu'ils n'ont pas su convaincre… Mais on peut craindre et regretter que l'échec de Zemmour aux dernières élections ne soit uniquement dû au fait que la place soit déjà occupée par le FN/RN…









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Immigration, antisémitisme et racisme en Fran..

L'immigration, source de tous les fantasmes...

La société française éprouve une angoissante démesurée face au phénomène de l'immigration. Quelques milliers d'allemands à Paris, quelques milliers d'italiens sur les chantiers de travaux publics avaient paru annoncer à la Belle Époque la fin de l'identité française. Pourtant après les pertes effroyables de la Première Guerre mondiale, le patronat et le gouvernement introduisirent kabyles, italiens, polonais dans l'industrie, les mines, l'agriculture des régions dévastées. L'arrivée de quelques dizaines de milliers de réfugiés, souvent juifs, fuyant les régimes barbares dans les années 1930 qui, suscita une véritable paranoïa collective. À l'issue de la seconde Guerre mondiale, la reconstruction...puis les trente glorieuses recoururent à la main d'oeuvre maghrébine et portugaise, mais jamais l'intégration de ces peuples venus d'ailleurs ne fut pensée. Les crises se succédant, en 1973 la France renonce à traiter une question qui met en jeu son existence.
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Une histoire populaire de la France : De la..

J' ai dévoré ce livre très important qui place pour une fois la classe populaire au centre de l'histoire de France. Ouvrier moi même je suis content car tous un pan de l'histoire m'était inconnu au sujet des sujets des gens de rien comme on dit qui se sont battus de tous temps pour améliorer leur condition.Mention spécial à la période de 1848 à la commune de Paris et au front populaire.C'est un moment très spécial de lire ce livre en pleine révolte citoyenne actuelle.
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Chocolat : La véritable histoire d'un homme s..

Voilà un bouquin d'histoire tout à fait épatant! Gérard Noiriel décide de retracer la vie de Chocolat, un esclave noir cubain, devenu un des artistes de cirque les plus célèbres de la fin du XIXe siècle. Mais comme souvent, les sans grades n'ont pas d'histoire. Hormis quelques articles de revues, des allusions plus ou moins bien documentées au détour de livres sur le cirque, Chocolat a laissé peu de traces. L'historien se livre ici à une subtile oeuvre de reconstruction, en extrapolant au départ de ce qu'on sait des contemporains de Chocolat, il tente de combler les lacunes de sa biographie. le ton n'est pas celui d'un livre savant, Noiriel interpelle son héros, il imagine ses sentiments. Au total, il nous livre un ouvrage très sensible tout empreint d'humanisme. Les esprits chagrins regretteront sûrement le procédé qui consiste à combler les lacunes ou le manque de sources par des suppositions vraisemblables mais pas vérifiées. Et pourtant, c'est à ce prix qu'on donne une voix aux sans voix.
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Chocolat : La véritable histoire d'un homme s..

Avertissement à tous ceux qui ont aimé le film Chocolat avec Omar Sy : le film est très loin de la réalité décrite dans le livre éponyme de l'historien Gérard Noiriel. On peut quand même souligner une grande qualité au film : il a aussi réhabilité le clown Chocolat, premier clown noir de l'histoire, et peut-être même premier artiste noir à Paris !

Premier regret à la lecture de cette biographie : l'absence de photos, d'illustrations, de documents d'époque alors que l'auteur semble en avoir retrouvé beaucoup (il les a publiés ici : http://clown-chocolat.com/). Chocolat n'est même pas représenté sur la photo de couverture ; c'est une photo d'Omar Sy qui l'illustre. Dommage... On peut quand même se consoler avec une photo de Chocolat publié au tout début de l'ouvrage... Maigre consolation...

L'auteur, l'historien Gérard Noiriel, a une obsession : retrouver les VRAIES traces de Chocolat (j'utilise ce nom parce que c'est avec celui-là qu'il est devenu célèbre). Car même les journalistes de l'époque ont réécrit l'histoire du clown nègre (pour qu'elle passe mieux à l'époque de la gloire coloniale de la France ?...). L'obsession de l'auteur l'a conduit à s'écarter souvent de sa rigueur d'historien allant jusqu'à imaginer des scenarii plausibles mais irréels.

Cependant, cette biographie réussit le tour de force d'aller regarder dans de nombreuses directions intéressantes. La curiosité et l'opiniâtreté de Gérard Noiriel nous montre Chocolat tel qu'il a été, tel qu'il a évolué à la fin du XIXe siècle et jusqu'à la Première Guerre mondiale : dans sa vie professionnelle de clown, dans sa vie privée, dans sa vie sociale.

Si Chocolat a été le premier clown noir de l'histoire, il a été aussi le premier clown thérapeute du cirque français, n'hésitant pas à aller dans les hôpitaux et écrire les débuts du "rire médecin".

Gérard Noiriel, par son œuvre, veut réhabiliter Chocolat mais comme le dit le sous-titre de son livre (La véritable histoire d'un homme sans nom), il ne sait pas sous quel nom ce clown doit passer à la postérité. Et pourquoi pas Chocolat tout simplement ?
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Immigration, antisémitisme et racisme en Fran..

L'ouvrage de Gérard Noiriel est, comme il l’indique lui même, un retour, un complément, un bilan de l’histoire de l’immigration, vingt ans après son livre « Le Creuset français ». La richesse de ce livre ne saurait être résumée en quelques lignes. Je choisis ici d’en présenter le début, en espérant donner envie aux lecteurs et lectrices de parcourir et d’étudier la totalité de cet imposant ouvrage.



Si le « problème » de l’immigration a fait irruption dans le débat public français entre 1880 et 1900, l’auteur dans un premier chapitre « A la recherche du peuple français » ancre ses recherches dans un passé plus ancien, avec la naissance d’un pouvoir souverain, son appropriation du territoire, les notions de race, de frontière et la création de la « nation ». La Révolution française, les dispositions du code civil vont modifier les notions mêmes d’étrangers, fixer la qualité de français, dominera la notion de filiation.



L’auteur nous rappelle le long cheminement pour que l’espace national soit clairement délimité « Il existe un dedans et un dehors. Mais le dedans n’est pas encore un espace fluide et homogène.» Il faudra en effet attendre la IIIe République pour que soit adoptée la première loi sur la nationalité française.



Ces évolutions sont, de plus, profondément liées à la question sociale. L’auteur insiste sur la place de la révolution de 1848. « C’est le mot peuple opposé à bourgeoisie qui triomphe. Les discours sur la lutte de classes s’imposent définitivement au détriment de la lutte des races. »



La guerre de 1870 marque une rupture essentielle dans la conception de l’espace républicain. Pour l’auteur la restructuration de l’espace public se fera autour de trois pôles « la politique, le journalisme et la science, animés par des professionnels qui remplissent à la fois des fonctions concurrentes et complémentaires. »



La troisième République met en place l’école primaire républicaine avec inculcation du français écrit et références nationales communes, la liberté de réunion, l’élection des maires au suffrage universel masculin, la réforme de l’enseignement supérieur affaiblissant le pouvoir de l’Église, le développement des connaissances scientifiques sans oublier l’aventure de la colonisation.



Gérard Noiriel consacre de belles pages à la loi sur la liberté de la presse, la naissance de l’opinion publique à travers « un discours commun construit sur un petit nombre d’évidences », et surtout la place prise des fait-divers dans l’actualité.



Un nouveau type de discours politique se développe dans le cadre « d’une politique d’intégration des classes populaires à l’État-nation. » Pour l’auteur le point fondamental de cette période c’est « la nationalisation de la France résultant d’un double mouvement d’universalisation et de particularisation de la société. »



Les entreprises françaises vont recruter massivement des travailleurs dans les pays voisins compte tenu du faible exode rural en France. Les statistiques de l’époque indiquent une forte progression de la population étrangère. Ces informations ne font cependant sens qu’en regard de la place de la question de la nationalité pour la République. De plus « l’historien doit rester vigilant pour ne pas confondre les mouvements migratoires réels et leur représentations dans l’espace public. »



L’intensification du recours à la main d’œuvre étrangère a eu pour effet de multiplier les tensions au sein du mouvement ouvrier. Les incidents sont relayés et amplifiées dans la presse écrite, la question migratoire sera « prise dans le récit de fait divers » (Affaires de Vêpres de Marseille).



Criminalité politique, criminalité sociale, le discours public présente l’étranger comme ennemi de l’intérieur. « l’opposition entre nous (les français) et eux (les étrangers) va s’imposer comme une évidence dans l’opinion publique » la fait-diversification de la politique favorisera le triomphe d’un nouveau discours public « sur l’étranger à la fois comme un espion, un anarchiste, un criminel, suspect de déloyauté et usurpant le travail des nationaux. », sur les barbares étrangers et les sauvages des colonies.



Contre le « libéralisme » bourgeois, la gauche radicale est pour le moins sous « la tentation protectionniste ». Le thème de la protection du travail national est largement débattue et une loi (8 août 1898) « relative au séjour des étrangers en France et à la protection du travail nationale » est adoptée. L’argumentation nouvelle mais qui servira longtemps consiste « à présenter une mesure discriminatoire comme une action visant à rétablir l’égalité entre les français et les étrangers. ». Pour l’auteur, il y a « institutionnalisation d’une puissante ligne de démarcation qui sépare désormais les nationaux des étrangers. »



L’affaire Dreyfus a joué un rôle « fondateur dans l’histoire des rapports entre discours publics et humiliations privées ». G. Noiriel revient sur la place des thèses de Drumont sur les juifs et souligne que le type de récit, utilisé par cet auteur, lui permet d’avoir toujours raison « parce que la seule réalité qu’il convoque est empruntée aux faits divers ». Les professionnels du discours public, de la presse s’accorderont alors sur l’existence d’un problème juif.



Les antisémites construisent « un personnage dans l’espace public pour le faire agir comme une personne réelle, en le rendant responsable des malheurs du peuple ». L’antisémitisme s’affiche en se politisant, autour de l’affaire Dreyfus on assiste à une restructuration de la droite. L’auteur analyse particulièrement la place de trois écrivains dans l’affaire (Emile Zola en intellectuel de gauche, Maurice Barrès en chantre du nationalisme et Marcel Proust en sceptique). Alors que la question des races avait perdu de son intérêt scientifique, elle fait irruption dans le débat public, il y a politisation de la question raciale. « Le simple fait de transformer des intentions, des réflexes, des pulsions de haine ou de dégoût en discours écrit modifie leur sens et leurs effets ».



Après la première guerre mondiale, la France devient l’un des tout premier pays d’immigration dans le monde.



Pour ce qui concerne les populations des colonies « désormais, l’émigration vers la métropole devient un moyen d’assurer la survie des communautés locales comme cela avait été le cas pour les montagnards auvergnats au début du XIXe siècle et pour les Piémontais dans les décennies suivantes. »



Invention de la carte d’identité, organisation du recrutement des étrangers, etc. Ce qui s’impose est le point de départ de ce que l’on nomme aujourd’hui, une politique d’émigration choisie.



L’auteur, tout en notant que les discriminations apparaissent aussi dans les nomenclatures élaborées par les fonctionnaires de la Statistique générale de France, examine le rôle des experts de la faculté de droit, puis de la faculté de médecine dans la construction des discours sur les étrangers. Il constate que « la marginalisation de la population étrangère constitue en effet une dimension essentielle de l’histoire de l’immigration au cours de cette période. » Avec la crise économique de 1931 –1933 les politiques vont passer de l’immigration « choisie » à l’immigration « jetable ».



Impuissances des républicains face à l’aggravation de la crise économique mondiale, déliquescence de l’espace public, sacralisation de l’espace national, affaire Stavisky, question de l’antisémitisme et des réfugiés redevenue thème d’actualité, de multiples causes se croisent pour expliquer le basculement des « classes moyennes » dans le camp national-sécuritaire.



6 février 1934, les forces d’extrême droite tiennent le haut du pavé à Paris, l’auteur parle de « nouveau cycle de violences sociales et politiques ». Les termes de racaille et de métèque dominent le vocabulaire de la droite. Mais nous rappelle G. Noiriel « ces activistes n’ont fait que puiser dans une répertoire d’arguments et d’actions inventés dans les décennies antérieures pour protéger les ouvriers français contre la concurrence étrangère. ».



Le Front populaire marque une rupture dans l’histoire de l’immigration, attitude plus compréhensive du gouvernement, début de défenses collectives des immigrés, développement des sections de la Main-d’œuvre immigrée (MOI) créées dans les années 20 par le PCF.



Pourtant à partir des années 30, le PCF met la question coloniale au second plan de son action. « L’intérêt national » prime la défense des travailleurs au delà des frontières ; SFIO et PCF n’engagent aucune politique vers l’émancipation des peuples et la sortie de l’empire colonial français.



Avec la guerre la république se transforme. La « révolution nationale » prônée par le maréchal Pétain a poussé à l’extrême, la politique républicaine mise en œuvre à l’égard des immigrants et des réfugiés. Les historiens parlent aujourd’hui « des origines républicaines du gouvernement de VICHY ».



A près la seconde guerre mondiale, le retour de la croissance industrielle a entraîné une reprise importante de l’immigration. Il ne faut cependant pas oublier que les révoltes des peuples colonisés (Madagascar, Sétif, etc. ), leurs luttes pour l’égalité des droits et à l‘indépendance ont non seulement trouvées que peu d’écho dans la gauche française, mais aussi que celle-ci a justifié les massacres perpétrés par l’armée républicaine française.



Dans la suite du livre Gérard Noiriel mettra en relation des politiques passées et présentes permettant de faire ressortir les continuités, les remodelages et les nouveautés sur le sujet de l’immigration, de l’antisémitisme ou du racisme. Les termes même du débat, les mots utilisés hier et aujourd’hui n’ont pas forcement le même sens. Reste cependant pour ces générations passées comme pour celles d’aujourd’hui et pour un certain nombre de leurs enfants de vraies discriminations et humiliations.



La république en porte une large responsabilité mais il est impossible de nier la part propre aux organisations du au mouvement ouvrier.



Contre ceux et celles qui parlent de question raciale ou de question ethnique, il importe de réaffirmer la place centrale de la question sociale. Non pour prôner un universalisme abstrait et euro-centré, mais plus simplement pour rendre possible un monde métissé, un monde émancipé des discriminations et des humiliations privées et publiques.
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Histoire des préjugés

Dans cette époque ou les fake-news s’associent aux préjugés pour continuer à diviser une humanité qui devrait plutôt s’unir pour mieux vivre, se poser quelques heures pour la lecture de cette passionnante compilation d’opinions préconçues, leurs origines et leur permanence au fil du temps, est un vrai moment de plaisir ( oui, bien plus que de la littérature feel-good qui n’est qu’un shoot de sucrerie).

Lire les nombreux historiens, spécialistes divers qui se sont penchés sur des affirmations aussi variées que “ Un homme ça ne pleure pas “ ou “ Les noirs sentent fort et les blancs sentent la mort” ( prises au hasard parmi les 56 préjugés traités), c’est faire une plongée saisissante sur comment les hommes, aidés souvent par des scientifiques, des politiques, des religieux, ont pu s’approprier de fausses idées et comment, souvent par bêtise, ignorance, manque d’instruction, elles ont perduré et divisé les hommes. Les préjugés, véhiculant la plupart du temps un racisme rampant ( de la femme aux juifs en passant par les roux ou les chinois), ont ainsi, au fil des siècles ou des décennies, irrigué sournoisement certaines pensées et se sont ainsi ancrées dans bien des esprits. Nous avons confirmation que l’Histoire a été triturée de façon à complaire à une époque ou à satisfaire quelques idéologies douteuses ( on n’en est pas étonné).

Au gré de sa fantaisie, de ses envies, le lecteur peut papillonner à l’intérieur de cet essai, qui se compose de chapitres pas trop longs. Le seul petit bémol est que, comme ils sont rédigés par différents spécialistes, certains sont plus attrayants que d’autres, tout le monde n’ayant pas la même faculté de vulgarisation ni la même verve.

Inutile de faire la fine bouche ! Eclairante, intelligente, facile à lire, formidablement pédagogique, cette “Histoire des préjugés” est un essai absolument nécessaire, à lire et à relire pour pouvoir contrecarrer cette haine ambiante assénée partout ( surtout sur certaines chaînes TV commençant C).
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Histoire des préjugés

Aujourd’hui je vais évoquer Histoire des préjugés stimulant essai historique dirigé par Jeanne Guérout et Xavier Mauduit. Il s’agit d’un ouvrage collectif avec la contribution d’une quarantaine d’historiens. Sur la couverture figure une définition du préjugé : « opinion hâtive et préconçue souvent imposée par le milieu, l’époque, l’éducation ou due à la généralisation d’une expérience personnelle ou d’un cas particulier ». Dans l’ouvrage cinquante-six préjugés sont scrutés et déconstruits ; les auteurs en retracent la genèse qui se perd souvent dans les limbes du passé.

Histoire des préjugés propose de reconstituer l’origine des préjugés et de mettre en exergue l’évolution historique autour de ces notions dans une approche originale qui sans ordre couvre de vastes sujets. Cette compilation est passionnante et mêle l’histoire à la sociologie et à la psychologie. En effet, les préjugés, parfois qualifiés de stéréotypes ou d’archétypes, sont explorés par les psychologues qui s’intéressent au fonctionnement des comportements humains isolés ou en société. La perspective historique est éclairante et aide à comprendre l’ancrage dans la psyché de ces préjugés qui sont très difficiles à remettre en cause malgré leur fondement souvent pour le moins fragile. Cette histoire sociale montre combien les préjugés sont à l’origine de stigmatisation, de dépréciation, de moquerie et de dévalorisation ; c’est souvent une manifestation de la domination et une exacerbation de rivalités historiques. Ces clichés dévastateurs concernent de multiples catégories, des groupes ou des peuples. Ainsi dans ces brefs chapitres qui se font écho (et qui sont complétés d’utiles références bibliographiques) sont traités les chinois, les italiens, les homosexuels, les roux, les gitans, les intellectuels, les réfugiés, les juifs, les allemands, les noirs. Cette simple liste montre la stupidité de ces préjugés qui rassemblent des ensembles qui par nature sont disparates. Les populations d’une nation ont peu de probabilité de n’être composées que d’individus identiques aux mêmes caractéristiques. Et pourtant toutes les contributions montrent que les roux sentent mauvais, les gauchers sont maladroits, les noirs ne pensent qu’au sexe, les japonais sont suicidaires, les mexicains sont violents, les vaccins sont dangereux pour la santé. Cette liste non exhaustive des titres de chapitres donne le ton sur la nature de ces préjugés. Ils sont souvent porteurs de haine et de discrimination ; en comprendre l’histoire peut aider à les dénoncer pour une meilleure entente entre les différents groupes humains.

Histoire des préjugés est un ouvrage complet et facile d’accès. Mettre en parallèle ces dizaines de préjugés en montre l’absurdité qui perdure au long des siècles. En effet les préjugés ont la vie longue, malgré tous les démentis ils sont difficiles à déconstruire.

Voilà, je vous ai donc parlé d’Histoire des préjugés de Jeanne Guérout et Xavier Mauduit paru aux éditions Les Arènes.


Lien : http://culture-tout-azimut.o..
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Le venin dans la plume

Il a de la verve, une éloquence, un talent oratoire, une répartie. Il a une estime et une confiance en lui qui éblouit. Il brille sur la scène médiatique car il y joue à merveille la comédie; celle qu'on attend de lui. Il se donne en spectacle et fait le spectacle. Il éructe, invective, accuse; il assène, affirme et certifie sans jamais démontrer car il y a des évidences qui ne sont pas à discuter seulement à rappeler. Lui l'homme « issu du peuple », le penseur alerte à la parole tranchante sait ce que nous autres ignorons. Il sait la France, son histoire, sa personnalité et son âme. Il sait ce que les autres, pseudos-intellectuels, bien-pensants, détraqués et détracteurs veulent absolument ignorer, il sait la Vérité. Et c'est pour elle qu'il se sacrifie, qu'il déploie toute son énergie. C'est pour elle qu'il vit. Et il vit, à vrai dire, pour dire n'importe quoi.



Et comment s'y opposer ? Gérard Noiriel en est convaincu: il n'est pas possible de combattre Eric Zemmour sur le plan des « idées », si tant est qu'on puisse parler d'idées le concernant, car le format des émissions télévisées ne s'y prête pas. Pour démonter les « évidences » d'Eric Zemmour, il faut du temps; et ce temps les chaînes TV ne veulent pas le mettre à disposition pour ne pas « ennuyer » les téléspectateurs. Elles aiment les clashs, les joutes verbales et l'argumentation posée, raisonnée n'y trouve pas sa place. Que faire alors? Pour l'historien, si le fond ne peut être raisonnablement contesté tant le délire est profond, il faut éclairer sur la forme car l'homme emploie une méthode qui a déjà fait ses preuves avec Edouard Drumont, antisémite notoire qui a publié La France juive. Le parallèle est établi, les points communs sont étudiés mais je m'interroge au terme de ma lecture. Et alors? Et alors qu'est-ce que ça peut faire si Eric Zemmour et Edouard Drumont se ressemble? Je ne suis pas convaincue par le travail effectué car il ne changera pas, lui non plus, l'opinion des fans d'Eric Zemmour et ses opposants n'ont pas besoin de lui pour vomir les propos abjectes du personnage. Alors à quoi sert cet essai ? Quelle est sa finalité ? Dire qu'Eric Zemmour n'a pas inventé la lune et qu'il emploie les méthodes déjà usés par le passé n'aide pas à le combattre car la haine qu'il diffuse se fout des analyses de fond et de forme.



Alors que faire pour combattre Eric Zemmour ? Honnêtement, si la seconde guerre mondiale n'a pas servi de leçon, si les millions de morts n'ont pas suffi à éveiller les consciences alors rien, ni personne, ne pourra arrêter le torrent de boue qui se verse avec lui sur l'espace public. Quand les digues s'écroulent et que les supports médiatiques déroulent le tapis rouge à cet homme aux propos abjectes sans jamais le contester, sinon pour amuser la galerie en faisant croire à une pseudo neutralité, sa haine se répand comme une lave - doucement mais sûrement - en se figeant dans les consciences. Car enfin le discours de Zemmour est facile à comprendre, facile à intégrer. Il ne connaît pas les méandres de la pensée complexe. Et aucune étude, même la plus complète, ne saurait l'arrêter car la haine ne connaît pas de raison lorsqu'elle se diffuse si aisément. Gérard Noiriel peut donc contester le fond comme la forme, le comparer à Édouard Drumont sans jamais nuire au personnage ni même l'égratigner. Si d'aucuns sur l'espace public, médiatique et politique, ne prend ses responsabilités, si tous lui déroulent le tapis rouge - il est long et vif - Éric Zemmour aura encore une longue vie devant lui. Malheureusement.

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Penser avec, penser contre : Itinéraire d'un ..

C'est un livre très personnel et parfois douloureux, un regard jeté sur tout un chemin parcouru - et quel chemin ! C'est aussi un ouvrage extrêmement généreux . Il y est question du parcours du socio-historien, spécialiste de l'immigration et du mouvement ouvrier ; des sociologues et des philosophes qui ont interféré dans son itinéraire et qui, comme lui, ont le souci d'énoncer des vérités utiles. « Penser avec, penser contre : Itinéraire d'un historien» rassemble ses réflexions quant aux écrivains qui ont le plus compté dans sa recherche. En huit chapitres, Gérard Noiriel évoque sept auteurs essentiels. Il reprend principalement des interventions faites ailleurs à propos de Marc Bloch, Fernand Braudel, Max Weber, Michel Foucault. Et à ceux déjà cités, il ajoute Norbert Elias, Pierre Bourdieu, Richard Rorty et la romancière Virginia Woolf.





Il n'est évidemment pas possible de rendre en quelques lignes exhaustivement compte de cette somme, de penser, à notre tour, contre et avec elle. Il faudrait pour cela encore mieux connaître les penseurs dont il est question et avoir souffert en posture d'«Homo academicus», ce qui n'est évidemment pas le cas. Nous tenterons donc d'appliquer modestement dans cette petite critique le principe de charité, défendu par Richard Rorty et si cher à notre historien, exposant sous son meilleur jour quelques points pour nous saillants et nous dispensant d'expliquer, quand il y en a, et il en a en ce qui concerne Pierre Bourdieu, nos divergences.

Le fonctionnement, l'autonomie, le rôle des paires et de l'intellectuel collectif dans le champ de l'histoire sont invoqués dans cet ouvrage quand il s'agit de Marc Bloch et Fernand Braudel. le premier est, semble-t-il, pour l'auteur l'illustration remarquable d'un fonctionnement souhaité, tandis que le second, auquel il applique la méthode historique et les conclusions bourdieusiennes, en est en quelque sorte le contre-exemple. La figure de l'intellectuel foucaldien, dans le chapitre que Gérard Noiriel consacre au philosophe, est pour lui l'image même de l'intellectuel collectif qu'il appelle de ses voeux. L'intellectuel en effet pour Foucault doit faire un travail sur lui pour parvenir à une véritable générosité de pensée, il doit dénouer sans cesse pouvoir et vérité, modifier non seulement la pensée des autres mais aussi la sienne propre. L'éthique de l'intellectuel est pour Foucault un moyen de « se rendre capable en permanence de se dépendre de soi-même ».

Gérard Noiriel nous parle longuement de son travail de chercheur. Il consacre un chapitre à Pierre Bourdieu et un autre à Richard Rorty. Il rend un hommage ambigu au premier avec lequel il a, nous dit-il, appris à penser (tout de même). Il défend par contre sans réserve la philosophie pragmatique de l'action du second qui rend son travail, contesté par une épistémologie surplombante, légitime. Max Weber, conforte également la démarche de l'auteur : «La connaissance de l'épistémologie n'est pas plus indispensable à l'historien que la connaissance de l'anatomie à l'apprentissage de la marche ».

Enfin, l'approche historique, pour Gérard Noiriel, dépend toujours de la trajectoire personnelle et de l'itinéraire particulier du chercheur : « le passé s'écrit toujours au présent » nous dit-il. L'historien tire de ce constat deux conclusions. La première : la discipline historique exige des personnes très différentes pour couvrir le plus large champ. Gérard Noiriel montre ainsi, dans le chapitre qu'il consacre à Norbert Elias, que le sociologue allemand produit sur la question nationale à partir d'un rejet, celui de sa personne par le régime nazi. La deuxième conclusion : le chercheur doit faire un nécessaire travail sur lui-même. Gérard Noiriel va chercher à la fin de son livre, de façon originale, l'exemple de ce travail dans la littérature et plus particulièrement dans un roman de Virginia Woolf ; et il l'entreprend lui même cette auto analyse dans les dernières et très touchantes pages de son livre.





Pour terminer citons une dernière fois Richard Rorty qui opère une distinction précieuse entre les ouvrages qui nous aident à devenir plus autonomes et ceux qui nous aident à devenir moins cruels et plus généreux à l'égard des autres. « Penser avec, penser contre : Itinéraire d'un historien» fait incontestablement partie de la deuxième catégorie.
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Le Creuset français : Histoire de l'immigrati..

Attention ce livre date de 1986 et n'a pas été remis à jours. C'est un des premiers livres traitant du sujet. Bien que très intéressant le livre est très ardu et difficile d'accès. Il fait appel à des notions de sociologie et des nuances d'approches historiques pas évidente à appréhender.
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Atlas de l'immigration en France : Exclusio..

simple a lire mais très efficace, une foule de détails, un atlas sur un sujet sensible(voir tabou y a encore quelques années) .



Cela ne sombre pas dans les clichés habituels sur le sujet...de l'information, de l'histoire et un bon remède contre les idées reçues.A mettre entre les mains de ceux qui sont sensibles a certains discours de l extrême, les maux de notre société ne sont pas liés a l immigration, bien au contraire , elle ns est vitale pour de nombreuses raisons.



instructif et enrichissant



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Le venin dans la plume

G. Noiriel decortique ici les éléments qui font la réussite de ces polémistes d'extrême droite, racistes, xénophobes et antisémites. Il reprend leurs parcours personnels, issus de milieux modestes er frustrés de n'avoir jamais été ni reconnus ni acceptés dans le monde culturel et savant. Du coup, ils arrivent à saisir les travers négatifs de toute une partie de la population et à les mettre en avant grâce à leur talent d'écriture et surtout leur manière de provoquer, injurier leurs adversaires. Jamais ils n'apportent un raisonnement rigoureux, ne font état de recherches élaborées par les universitaires. Ils se contentent de répéter ad nauseam leurs propres propos, dénaturant ceux de leurs adversaires et se présentant comme des victimes de la bien-pensance qui les empêche d'exprimer la vérité cachée qu'ils sortent de leur chapeau. Cette grammaire utilisée par les polémistes d'extrême droite ne peut peut être combattue qu'en la retournant pour favoriser un autre discours. On peut certes s'appuyer sur des recherches historiques ou sociologiques mais, sans reprendre l'humiliation ou l'injure (leurs armes favorites) retourner les représentations pour montrer en quoi nous ne sommes que des etres humains porteurs des mêmes droits et des mêmes valeurs, en quoi nous nous ressemblons.
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Une histoire populaire de la France : De la..

Commencé parce qu’il était sur la table basse d’une amie, à coté du canapé dans lequel j’ai dormi pendant quelques jours… Le livre qui m’a redonné envie de m’intéresser à l’Histoire. Un énorme travail (832 pages !) qui raconte l’Histoire de la France, de la Guerre de Cent Ans jusqu’à aujourd’hui, en insistant sur les rapports de domination souvent escamotés du récit officiel. Une démarche inspirée de celle d’Howard Zinn et de son best-seller Une histoire populaire des Etats-Unis. Avez-vous déjà entendu parler par exemple du soulèvement massif des paysans alsaciens au début du XVIème siècle ? Saviez-vous que des blancs très pauvres vivaient aux Antilles, à l’époque de l’esclavage, mélangés à la population noire ? Un ouvrage impressionnant, par l’étendue des sujets et de la période abordés et par la bonne distance gardée par l’auteur, capable de prises de positions sans perdre l’art de la nuance.
Lien : https://lecteurazerty.com/20..
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Le venin dans la plume

Un ouvrage intéressant avec une approche universitaire qui permet de prendre du recul sur la logique des propos et ouvrages de Eric ZEMOUR. Le parallèle avec DRUMONT est très instructif.

S'il fallait résumer à l'extrême le propos de l'auteur " répétez, asséner, de manière péremptoire, des affirmations non vérifiées, outrancières, voir mensongères, elles finiront par devenir pour certains des vérités, des évidences. Pour paraphraser LA FONTAINE Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés... ils n'étaient pas tous convaincus mais tous étaient pollués.
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Une histoire populaire de la France : De la..

Un livre qui ne tient pas en place sur les rayonnages de la bibliothèque, toujours sorti, toujours ouvert à l'un ou l'autre de ses chapitres, aux titres parfois lourds d'images ("chapeau bas devant la casquette")

Se lit sans fin, avec le bonheur de se plonger dans l'histoire de ces confrontations qui font avancer le temps, entre ceux qui luttent et ceux qui gouvernent.
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Le massacre des Italiens : Aigues-Mortes, 1..

Une page méconnue de l’histoire de France que l’auteur nous fait visiter avec une parfaite restitution de l’atmosphère politique, économique et culturelle ; et ce qu’il faut d’études et d’informations pour tenter de comprendre au mieux comment une pareille dynamique de groupe a pu faire couler tant de sang.
Lien : http://news-nouvelles-fant.m..
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Chocolat : La véritable histoire d'un homme s..

Jeune esclave cubain Rafael passe par l'Espagne puis arrive à Paris .Là il deviendra le clown "chocolat" , connaitra la gloire au Nouveau Cirque, aux folies bergères.

Livre écrit par un historien soucieux de la vérité , du détail, description très pointue de cette société de la belle époque fin du XIX début du XX; de l'accueil par les parisiens à cet homme de couleur.

Mais des longueurs , des descriptions, des détails sur les personnages secondaires ; dommage on est pas vraiment emporté par le roman.Intérêt historique indéniable .
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