Citations de Germaine Beaumont (53)
Qu'une affaire d'empoisonnement sollicite l'opinion publique, et l'opinion publique se passionne. C'est que l'empoisonnement a un air délicieux de confidence et d'intimité. C'est qu'il est le seul forfait qui emprunte les gestes de l'amour et le visage de la tendresse.
Qu'on aimerait pourtant vivre sous ces ombres douces, errer dans ces jardins, et fouler ces prairies. L'air de ces beaux lieux n'est que parfums et les oiseaux s'y laissent porter plus qu'ils ne volent.
De toutes les opérations économiques, la plus difficile en France est le reboisement, car ce n'est point avec un oeil de poète que le Français moyen regarde les arbres, mais avec un oeil d'ébéniste.
On est bien forcé en décembre de penser à Dickens, puisqu'il n'est pas un nom d'écrivain français qui soit associé à la beauté et au mystère de Noël. Notre intelligence a tout découvert, sauf la légende, qui nous est aussi étrangère que le vol plané à une carpe.
La femme seule ne doit qu'à elle-même le compte de ses jours. Elle s'habille pour elle, sort à sa guise, rentre à son gré, dispose comme il lui plaît de son temps, de son coeur et de son téléphone. Elle n'a jamais besoin de mentir, ni d'inventer, et elle peut lire dans son lit jusqu'à quatre heures du matin.
La nuit vient vite en hiver. Elle est néfaste aux âmes qui, dans les ténèbres, remâchent l'herbe amère de leur destin.
Au ras des herbes, le vent sifflait plaintivement. Il nous malmenait plus maintenant que nous étions étendus, cependant par sa présence, par sa force, il nous retenait prisonniers. On ne croit guère, par scepticisme, par habitude, qu'à la volonté humaine, à son pouvoir de malignité, de tyrannie et d'oppression. En ce lieu désert, j'apprenais à découvrir les grandes forces primitives, inconnues et je perçus pour quelles raisons nos pères les avaient défiées. Le contact entre la nature et l'homme, aboli par la civilisation, je le retrouvais ici, puissant, terrible.
Rien. Quelle résonance dans ce mot ! De même que le silence contient toutes les paroles, ce "rien" contient toute ma vie. Pourquoi veut-on des aventures, des événements, des drames, quand il peut n'y avoir que cet admirable "rien" où tout est suspendu, inclus, étincelant, comme un arc-en-ciel dans une goutte d'eau ? Pourquoi des aveux, pourquoi des querelles, pourquoi des cris et des conflits, pourquoi "quelque chose" quand il peut n'y avoir que ce "rien", d'essence divine ?
Je repassais avec lucidité tous les événements de la journée, ils se détachaient distinctement comme des figures de vitrail, serties de plomb.
Ce que disait Carlo m'était indifférent, c'était comme une très vieille histoire, déjà racontée, un livre déjà lu. Les mots ne me touchaient pas, les mots usés par trop de bouches, arrondis, amortis comme les pierres des torrents.
Des primevères de toutes les couleurs se perdaient dans l'herbe drue, et parmi les racines moussues et découvertes d'arbres très vieux, des violettes palissantes repandaient un dernier parfum. J'avais envie de cueillir un bouquet, mais tant que je fus en vue de la maison, je me contentai de marcher les mains dans les poches de mon manteau, d'un air dégagée. Par contre, lorsqu'un bosquet me cacha, je commençai ma cueillette. Que ces petites fleurs étaient embaumées et douces, que j'étais heureuse d'échapper aux humains pour m'enfoncer dans le refuge des bois !
J'allais chercher mon imperméable dans mon ancienne chambre, redevenue la chambre de Carlo, et je fus frappée de constater combien j'étais éliminée déjà de l'atmosphère de la pièce. Comme une eau se reforme sur un corps englouti et l'absorbe dans son immense paix, l'air même m'avait absorbée et s'était refermé sur moi.
Je l'observais sans lui répondre. Elle parlait comme la rivière coulait, abondamment.
La solitude est l'ennemie des femmes. La plupart se marient contre la solitude et non pour l'amour.
Il dormait naturellement sur le divan du salon. Que ferait Carlo s'il ne dormait pas ? Boire. Il boit en attendant de dormir et il dort parce qu'il a bu.
Il est difficile d'être impartial quand le présent corrige les impressions du passé. Difficile de se retrouver dans le dédale de sa propre personnalité, de revenir à son point de départ, de se replacer objectivement au seuil de son destin. Difficile même d'écrire ce que l'on a vécu, mais écrire c'est vivre deux fois.
...j'étais chargée par Francis d'une mission. Obtenir de sa mère une somme qu'elle se refusait à lui envoyer. Je devais apitoyer Mme de Chaligny. Je devais lui peindre son fils unique en proie aux créanciers, aux usuriers. Je devais jouer de ma minceur, de ma pâleur, de ma fragilité de jeune femme mal nourrie, mal vêtue, je n'ose dire mal aimée. La tâche s'avérait difficile et c'est pourquoi Francis me l'avait confiée. "Ma chère, vous vous débrouillerez. Vous tireriez des larmes à un caillou.
Un soupçon d'ironie dans le ton de Frédérique amena deux taches sombres aux pommettes d'Agnès. Elle ressembla aux pêches vineuses d'une pourpre presque noire sous leur duvet d'argent.
Quel silence ! intensifié par un cri d'oiseau dans le bois, par le bourdonnement paresseux des frelons, et le tintement d'une cloche dans un clocher, invisible.
Mme Marshall ne dissimulait pas son âge, comme les autres femmes, elle ne portait pas de masques la nuit, elle n'usait ni de lotions, ni de crèmes. Qu'en avait-elle besoin avec cette peau si fine, si frémissante et le charme pathétique de ses paupières lourdes et de sa bouche un peu grande qui n'achevait jamais le sourire commencé !