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Citations de Henri Barbusse (303)


Il y a la pochette de devant.
— J'y mets une boussole, dit Farfadet.
— Moi, mon rabiot d'amadou.
— Moi, dit Tirloir, un tit sifflet qu' ma femme m'a envoyé en m' disant comme ça : « Si t'es blessé dans la bataille, tu siffleras pour que les camarades viennent t' sauver la vie. »
On rit de la phrase naïve.
Tulacque intervient, indulgent, et dit à Tirloir :
— Ça sait pas c' que c'est qu' la guerre, à l'arrière. Si tu voulais parler de l'arrière, c'est toi qui en dirais des conneries !

Chapitre 14 : Le barda.
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Pas de profession libérale parmi ceux qui m'entourent. Des instituteurs sont sous-officiers à la compagnie ou infirmiers. Dans le régiment, un frère mariste est sergent au service de la santé ; un ténor, cycliste du major ; un avocat, secrétaire du colonel ; un rentier, caporal d'ordinaire à la Compagnie Hors Rang. Ici, rien de tout cela. Nous sommes des soldats combattants, nous autres, et il n'y a presque pas d'intellectuels, d'artistes ou de riches qui, pendant cette guerre, auront risqué leurs figures aux créneaux, sinon en passant, ou sous des képis galonnés.
Oui, c'est vrai, on diffère profondément.
Mais pourtant on se ressemble.
Malgré les diversités d'âge, d'origine, de culture, de situation, et de tout ce qui fut, malgré les abîmes qui nous séparaient jadis, nous sommes en grande lignes les mêmes. À travers la même silhouette grossière, on cache et on montre les mêmes mœurs, les mêmes habitudes, le même caractère simplifié d'hommes revenus à l'état primitif.

Chapitre 2 : Dans la terre.
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On distinguait, au fond, à nos pieds, une forme humaine que le matin n'éclaircissait et qui, accroupie, empoignant à pleines mains la carapace de ses vêtements, se trémoussait ; c'était le père Blaire.
Ses petits yeux clignotaient dans une face où végétait largement la poussière. Au-dessus du trou de sa bouche édentée, sa moustache formait un gros paquet jaunâtre. Ses mains étaient sombres, terriblement : le dessus si encrassé qu'il paraissait velu, la paume plaquée d'une dure grisaille. Son individu, recroquevillé et velouté de terre, exhalait un relent de vieille casserole.
Affairé à se gratter, il causait néanmoins avec le grand Barque qui, un peu écarté, se penchait sur lui.
— J' suis pas sale comme ça dans l' civil, disait-il.
— Ben, mon pauv' vieux, ça doit salement t' changer ! dit Barque.
— Heureusement, renchérit Tirette, parce qu'alors, en fait de gosses, tu f'rais des petits nègres à ta femme !
Blaire se fâcha. Ses sourcils se froncèrent sous son front où s'accumulait la noirceur.
— Qu'est-c' que tu m'embêtes, toi ? Et pis après ? C'est la guerre. Et toi, face d'haricot, tu crois p't'être que ça n' te change pas la trompette et les manières, la guerre ? Ben, r'garde-toi, bec de singe, peau d' fesse ! Faut-il qu'un homme soye bête pour sortir des choses comme v'là toi !
Il passa la main sur la couche ténébreuse qui garnissait sa figure et qui, après les pluies de ces jours-ci, se révélait réellement indélébile, et il ajouta :
— Et pis, si j' suis comme je suis, c'est que j' le bien. D'abord, j'ai pas d' dents. Le major m'a dit d'puis longtemps : « T'as pus une seule piloche. C'est pas assez. Au prochain repos, qu'il m'a dit, va donc faire un tour à la voiture estomalogique. »
— La voiture tomatologique, corrigea Barque.
— Stomatologique, rectifia Bertrand.
— C'est parce que je l' veux bien que j'y suis pas t'été, continua Blaire, pisque c'est à l'œil.
— Alors pourquoi ?
— Pour rien, à cause du changement, répondit-il.
— T'as tout du cuistancier, dit Barque. Tu devrais l'être.
— C'est mon idée aussi, repartit Blaire, naïvement.
On rit. L'homme noir s'en offusqua. Il se leva.
— Vous m' faites mal au ventre, articula-t-il avec mépris. J' vas aux feuillées.
Quand sa silhouette trop obscure eut disparu, les autres ressassèrent une fois de plus cette vérité qu'ici-bas les cuisiniers sont les plus sales des hommes.
— Si tu vois un bonhomme barbouillé et taché de la peau et des frusques, à ne le toucher qu'avec des outils, tu peux t' dire : c'est un cuistot, probab' ! Et tant plus il est sale, tant plus il est cuistot.

Chapitre 2 : Dans la terre.
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Elle s'est approchée de la fenêtre, comme moi tout à l'heure, je m'étais approché de la mienne. C'est sans doute le geste éternel de ceux qui sont seuls dans une chambre
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Les coups de fusil crépitent de tous côtés. Tout à coup, une balle claque net dans la terre du talus où je m’appuie. Je mets la face au créneau. Notre ligne serpente dans le haut du ravin : le terrain est en contre-bas devant moi, et on ne voit rien dans cet abîme de ténèbres où il plonge. Toutefois, les yeux finissent par discerner la file régulière des piquets de notre réseau plantés au seuil des flots d’ombre, et, çà et là, les plaies rondes d’entonnoirs d’obus, petits, moyens ou énormes ; quelques-uns, tout près, peuplés d’encombrements mystérieux. La bise me souffle dans la figure. Rien ne bouge, que le vent qui passe et que l’immense humidité qui s’égoutte. Il fait froid à frissonner sans fin. Je lève les yeux : je regarde ici, là. Un deuil épouvantable écrase tout. J’ai l’impression d’être tout seul, naufragé, au milieu d’un monde bouleversé par un cataclysme.
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- Ça, c'est vraiment des moyens déloyaux, dit Farfadet.
- Des quoi ? dit Barque, goguenard.
- Ben oui, des moyens pas propres, quoi, des gaz...
- Tu m' fais marrer, riposte Barque, avec tes moyens déloyaux et tes moyens loyaux... Quand on a vu des hommes défoncés, sciés en deux, ou séparés du haut en bas, tendus en gerbes par l'obus ordinaire, des ventres sortis jusqu'au fond et éparpillés comme à la fourche, des crânes rentrés tout entiers dans l'poumon comme à coups de masse, ou, à la place de la tête, un p'tit cou d'où une confiture de groseille de cervelle tombe tout autour, sur la poitrine et le dos. Quand on l'a vu et qu'on vient dire : "Ça, c'est des moyens propres, parlez-moi d' ça !"
- N'empêche que l'obus, c'est permis, c'est accepté ...
- Ah là là ! Veux-tu que j' te dise ? Eh bien, tu m' f'ras jamais tant pleurer que tu m' fais rire !
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Malgré les diversités d'âges, d'origine, de culture, de situation, et de tout ce qui fut, malgré les abîmes qui nous séparaient jadis, nous sommes en grandes lignes les mêmes. A travers la même silhouette grossière, on cache et on montre les même mœurs, les mêmes habitudes, le même caractère simplifié d'hommes revenus à l'état primitif.
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— Les peuples devraient s’entendre à travers la peau et sur le ventre de ceux qui les exploitent d’une façon ou d’une autre. Toutes les multitudes devraient s’entendre.

— Tous les hommes devraient enfin être égaux.

Ce mot semblait venir à nous comme un secours.

— Égaux… Oui… Oui… Il y a de grandes idées de justice, de vérité. Il y a des choses auxquelles on croit, vers lesquelles on se tourne toujours pour s’y attacher comme à une sorte de lumière. Il y a surtout l’égalité.

— Il y a aussi la liberté et la fraternité.

— Il y a surtout l’égalité !

Je leur dis que la fraternité est un rêve, un sentiment nuageux, inconsistant ; qu’il est contraire à l’homme de haïr un inconnu, mais qu’il lui est également contraire de l’aimer. On ne peut rien baser sur la fraternité. Sur la liberté non plus : elle est trop relative dans une société où toutes les présences se morcellent forcément l’une l’autre.

Mais l’égalité est toujours pareille. La liberté et la fraternité sont des mots, tandis que l’égalité est une chose. L’égalité (sociale, car les individus ont chacun plus ou moins de valeur, mais chacun doit participer à la société dans la même mesure, et c’est justice, parce que la vie d’un être humain est aussi grande que la vie d’un autre), l’égalité, c’est la grande formule des hommes. Son importance est prodigieuse. Le principe de l’égalité des droits de chaque créature et de la volonté sainte de la majorité est impeccable, et il doit être invincible — et il amènera tous les progrès, tous, avec une force vraiment divine. Il amènera d’abord la grande assise plane de tous les progrès : le règlement des conflits par la justice qui est la même chose, exactement, que l’intérêt général.

Ces hommes du peuple qui sont là, entrevoyant ils ne savent encore quelle Révolution plus grande que l’autre, et dont ils sont la source, et qui déjà monte, monte à leur gorge, répètent :

— L’égalité !…

Il semble qu’ils épèlent ce mot, puis qu’ils le lisent clairement partout – et qu’il n’est pas sur la terre de préjugé, de privilège et d’injustice qui ne s’écroule à son contact. C’est une réponse à tout, un mot sublime. Ils tournent et retournent cette notion et lui trouvent une sorte de perfection. Et ils voient les abus brûler d’une éclatante lumière. (pp. 369-370)
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— Ah ! ah ! fait le premier monsieur ; voilà des poilus… Ce sont de vrais poilus, en effet.
Il s'approche un peu de notre groupe, un peu timidement, comme au Jardin d'Acclimatation, et tend la main à celui qui est le plus près de lui, non sans gaucherie, comme on présente un bout de pain à l'éléphant.

Chapitre 2 : Dans la terre.
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Deux armées qui se battent, c'est comme une grande armée qui se suicide !
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C'est mauvais signe, dit Paradis. Le poulet qui réfléchit est malade.
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Nous allons à petits pas. On oblique, attirés par une masse formée de deux hommes étrangement mêlés, épaule contre épaule, les bras autour du cou l'un de l'autre. Le corps de deux combattants qui se sont entrainés dans la mort et s'y maintiennent, incapables pour toujours de se lâcher ? Non ce sont deux hommes qui se sont appuyés l'un sur l'autre pour dormir. Comme ils ne pouvaient pas s'étendre sur le sol qui se dérobait et voulait s'étendre sur eux, ils se sont penchés l'un vers l'autre, se sont empoignés aux épaules, et se sont endormis, enfoncés jusqu'aux genoux dans la glaise.
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"Oui, c'était c' te femme que j'ai jamais su approcher avant, tu sais - que j' voyais d'loin, sans pouvoir jamais y toucher, comme des diamants. Elle courait tout partout, tu sais. Elle bagotait dans les lignes. Un jour, elle a dû r' cevoir une balle, et rester là, morte et perdue, jusqu'au hasard de c' te sape.
"Tu saisis la position. J'étais obligé de la soutenir d'un bras comme je pouvais, et de travailler de l'autre. Elle essayait d' me tomber dessus de tout son poids. Mon vieux, elle voulait m'embrasser, je n' voulais pas, c'étai' affreux. Elle avait l'air de m' dire : "Tu voulais m'embrasser, eh bien, viens, viens donc !" Elle avait sue le... elle avait là, attaché, un reste de bouquet de fleurs, qu'était pourri aussi et, à mon nez, c' bouquet fouettait comme le cadavre d'une petite bête.
"Il a fallu la prendre dans mes bras, et tous les deux, tourner doucement pour la faire tomber de l'autre côté. C'était si étroit, si pressé, qu'en tournant, à un moment, j' lai serrée contre ma poitrine sans le vouloir, de toute ma force, mon vieux, comme je l'aurais serrée autrefois, si elle avait voulu...
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La justice doit être glacée comme une arme.
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Les coups de fusil parlent bien la meme langue,et ca n'empeche pas les peuples de s'engueuler avec,et comment!
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Ce ne sont pas des soldats:ce sont des hommes,ce ne sont pas des aventuriers,des guerriers,faits pour la boucherie humaine-bouchers ou betail-ce sont des laboureurs et des ouvriers qu'on reconnait dans leurs uniformes.Ce sont des civils deracines.Ils sont prets.Ils attendent le signal de la mort et du meurtre;mais on voit,en contemplant leurs figures entre les rayons verticaux des baïonnettes,que ce sont simplement des hommes
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Chapitre 7 : Aimée et son mari
« Ces gens sont ensemble, mais, en vérité, absents l’un de l’autre ; ils se sont quittés, sans se quitter. Il y a sur eux une espèce d’intrigue de néant. Ils ne se rapprocheront plus, puisque, entre eux, l’amour fini tient toute sa place. Ce silence, cette ignorance mutuelle sont ce qu’il y a de plus cruel sur la terre. Ne plus s’aimer, c’est pire que de se haïr, car, on a beau dire, la mort est pire que la souffrance. »

« Parce qu’il ne la connaît pas, parce qu’elle est autre que celle qu’il connaît. Avoir ce qu’on n’a pas. . . Ainsi, quoique cela puisse paraître étrange, c’est une idée, une haute idée éternelle qui conduit l’instinct. C’est une idée qui, devant la femme inconnue, tend ainsi l’homme, fauve, la guettant, l’attention aiguë, avec des regards comme des griffes, mû par un acharnement aussi tragique que s’il avait besoin de l’assassiner pour vivre. »

Chapitre 8 : Aimée et sont amant
« C’est vrai qu’ils sont là, et qu’ils n’ont rien qui les unit. Il y a du vide entre eux. On a beau parler, agir, se révolter, se lever furieusement, se débattre et menacer, l’isolement vous dompte. Je vois qu’ils n’ont rien qui les unit, rien. »

« Mais il se troublait de son contact. Même abattue, tombée et désolée, elle palpitait chaudement contre lui ; même blessée, il convoitait cette proie. Je vis luire les yeux posés sur elle tandis qu’elle s’abandonnait à la tristesse, avec un don parfait de soi. Il se pressa sur elle. Ce qu’il voulait, c’était elle. Les paroles qu’elle disait, il les rejetait de côté ; elles lui étaient indifférentes, elles ne le caressaient pas. Il la voulait, elle, elle. »

Chapitre 15 : Anna et Michel après avoir eu le première relation sexuelle
« Comme ils n’ont pas su ce qu’ils faisaient, ils ne savent pas ce qu’ils disent, avec leurs bouches mouillées l’une de l’autre, leurs yeux fixes et éblouis qui ne leur servent qu’à s’embrasser, leurs têtes pleines de mots d’amour. »
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Nous sommes emmitouflés à la manière des populations arctiques. Lainages, couvertures, toiles à sac, nous empaquettent, nous surmontent, nous arrondissent étrangement. Quelques-uns s’étirent, vomissent des bâillements. On perçoit des figures, rougeoyantes ou livides, avec des salissures qui les balafrent, trouées par les veilleuses d’yeux brouillés et collés au bord, embroussaillées de barbes non taillées ou encrassées de poils non rasés.
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sans l’amour, l’attachement de deux êtres est toujours faible. Il faut que l’amour s’ajoute à l’affection, il faut ce qu’il apporte à une union, d’exclusivité, de rapprochements et de simplicité.
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Ils avaient, à eux deux, un siècle et demi. Leur âge à chacun ? Ils ne le savaient plus ni l'un ni l'autre : depuis trop longtemps ils ne faisaient pas ce partage dans leurs années, et avaient pris l'habitude si naturelle, si juste, de vieillir ensembles de deux ans, à chaque St Sylvestre.
Il y avait tant de jours, tant de saisons, tant d'époques qu'ils vivaient côte à côte dans la ferme basse au toit débordant comme une aile !... On les aurait étonnés sur le moment, en leur disant qu'ils n'avaient pas toujours été mariés. Ils portaient chacun comme deux vagues mémoires, et se ressemblaient mieux qu'un frère et une sœur.
Les gens du village en les voyant déambuler, si faibles, et si fortement attachés, ne pouvaient s'empêcher de penser que l'un d'eux mourrait bientôt, sans doute, et qu'alors l'autre ne saurait pas rester seul.
L'hiver fut méchant pour les deux vieillards...
(extrait de "Les derniers pas" issu de la deuxième partie du recueil "La folie d'aimer")
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Il se tourna vers elle, hors de lui. "Comment peux-tu accepter une vie tellement restreinte et étriquée? C'est à Nogent et chez nos amis que j'irai et sans toi." Il partit dans la nuit zébrée par des éclairs, sous la pluie dont la violence redoublait, cravachant son cheval, le visage offert à cette liberté retrouvée.

Emile
Gustave
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Tanguy

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