Citations de Hervé Le Tellier (1366)
Le président américain reste immobile, comme sonné. Le mathématicien observe cet homme primaire, et il se conforte dans l’idée désespérante qu’en additionnant des obscurités individuelles on obtient rarement une lumière collective.
-J'ai une devinette, [...]
-Les pauvres en ont, les riches en ont besoin, et si on en mange, on meurt.
p262
Une blague juive dit que Dieu relit fréquemment la Torah pour tenter de comprendre ce qui se passe dans ce monde qu'il a créé.
Si l'Afrique toute entière est un enfer pour les homosexuels, le Nigeria est son neuvième cercle. Il y a la loi, qui les menace de quatorze années de prison, il y a la police, qui les pourchasse et leur extorque de l'argent, il y a toute une population qui les rejette, avec répugnance et détestation, abreuvée de haine et de rumeurs par les évêques et prêtres évangélistes au sud, et au nord par les musulmans qui appliquent la charia. Pas un jour sans que des jeunes soient assassinés, lynchés, pas un jour sans qu'un chanteur, un acteur, un sportif, la terreur dans la voix, ne doive se défendre d'être gay.
L'espoir nous fait patienter sur le palier du bonheur. Obtenons ce que nous espérions, et nous entrons dans l'antichambre du malheur.
... le succès à cinquante ans, c’est la moutarde qui arrive au dessert.
... la liberté de pensée sur internet est d’autant plus totale qu’on s’est bien assuré que les gens ont cessé de penser.
La nostalgie est une scélérate. Elle laisse croire que la vie a du sens.
Il lui demanda, en bafouillant, comment traduire "crème anglaise" en anglais, puisque french cream est la chantilly. [...] Elle avait ri, poliment, avait répondu Ascot cream d'une voix rauque qui lui avait paru féerique, et elle était retournée à sa table rejoindre des amies. Il lui fallut du temps pour réaliser qu'Ascot, comme Chantilly, était un hippodrome, mais anglais.
p27
Miesel, qui peut sembler absent et distant, a la réputation d'un homme d'humour, malgré tout. Mais un homme d'humour digne de ce nom ne l'est-il pas toujours, "malgré tout"?
p26
Depuis la mort de mon père, il y a plus de trente ans, je gardais toujours dans ma poche une briquette. Ce n’était ni un fétiche, ni un porte-bonheur. Juste quelques grammes de souvenir, presque une habitude. On m’a rendu celle que conservait le Victor qui s’est suicidé, et elles sont désormais deux. J’ai oublié laquelle est laquelle, et je les ai unies. Je ne saurais dire ce qu’elles symbolisent, mais j’ai l’impression d’avoir plus de choix, d’être plus libre que jamais. Malgré tout, je n’aime pas trop ce mot de « destin ». Ce n’est qu’une cible qu’on dessine après coup à l’endroit où s’est fichée la flèche.
Joanna a toujours cru aux bienfaits du dehors, elle n’a jamais douté que le vent, le ciel, les nuages apportaient des réponses comme les cigognes des bébés.
La vérité avec l'amour, c'est que le cœur sait tout de suite et il le crie.
Puis-je vous rappeler cette phrase de Nietzsche ? « Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont. » Là, toute la planète est confrontée à une vérité nouvelle, qui remet en cause toutes nos illusions. On nous envoie un signe, indubitablement. Hélas, penser prend du temps.
l'Okavango. C'est un fleuve africain, un fleuve bien plus long et plus puissant que le Tage ou le Rhône et sa largeur, aux rapides de Popa Falls, dépasse le kilomètre. Il prend sa source en Angola, longe la Namibie avant de pénétrer dans le Botswana. C'est là qu'il rencontre le désert du Kalahari. Il s'enroule alors en méandres, il crée une riche forêt tropicale, façonne un immense delta marécageux et salé que peuplent des milliers de flamants roses. Pendant la saison sèche, on compte des myriades d'îles, formées autour des termitières géants, des buissons touffus. Les dépliants touristiques parlent de marais luxuriant, d'un miracle de l'eau, d'un paradis terrestre. Tous les fleuves coulent vers la mer et la mer n'est jamais remplie, dit l'Ecclésiaste. Ce n'est pas vrai : le Kalahari est immense, et toute l'eau de l'Okavango s'évapore peu à peu, disparaît dans la boue et les sables.
L'Okavango n'atteint jamais la mer. Son destin de fleuve ne s'accomplit pas.
p227
— J’ai une devinette, dit Louis.
— Je t’écoute, sourit la psychologue.
— Les pauvres en ont, les riches en ont besoin, et si on en mange, on meurt.
La psychologue donne sa langue au chat.
— C’est rien.
— C’est rien ?
— Rien. Les pauvres, ils ont rien, les riches ont besoin de rien, et si on mange rien, on meurt.
C'est l'espérance qui nous interdit d'agir, c'est l'espérance qui prolonge le malheur des hommes, puisque, n'est-ce pas, contre toute évidence, "tout va s'arranger".
De toute façon, c'est ça que les jeunes Nigérians veulent, qu'on leur vende du rêve, ils veulent boire du champagne dans la voiture de course, ils veulent visiter le penthouse avec vue sur la mer, ils veulent qu'on leur dise qu'ils ont beau se réveiller chaque matin dans leur baraque de tôle pourrie au milieu des pneus abandonnés et des rats crevés, la richesse et la gloire sont au coin de la rue, oui d'accord, pour un sur un million, mais qu'est-ce qu'ils en ont à foutre, puisque ce sera eux, forcément.
Aimer évite au moins de chercher sans cesse un sens à sa vie.
... l’amour, c’est ne pas pouvoir empêcher le cœur de piétiner l’intelligence.