Lecture-performance (en français) par l'autrice
Rencontre animée par Adrien Gombeaud
Du tabou des règles aux injonctions à être belle, de l'expérience de la parentalité aux céréales anti-masturbation de Kellogg's, Hollie McNish tend un miroir affectueux au monde qui nous entoure et à celui de son enfance.
À travers une série de divagations pleines d'esprit et d'humour, où alternent prises de position et poèmes brûlants, l'autrice interroge le quotidien de nos vies et ses interdits. Loin de condamner notre société, sa vision enchantée sonde nos comportements et les décortique pour offrir des perspectives nouvelles sur les multiples façons de l'habiter poétiquement.
Née en 1983 à Glasgow, Hollie McNish est une poétesse, écrivaine, slameuse et performeuse. Elle se produit dans le monde entier et a notamment collaboré avec Kae Tempest.
À lire Hollie McNish, Je souhaite seulement que tu fasses quelque chose de toi, trad. de l'anglais par Valérie Rouzeau et Frédéric Brument, le Castor Astral, 2023.
Son : François Turpin
Lumière : Patrick Clitus
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Eux : "C'est un garçon ou une fille ?"
Nous : "Oh, on a préféré ne pas savoir."
Je déteste mentir, mais je ne dirai à personne ce qu'on sait. Parce que je vis dans un drôle de pays où, pour une raison inconnue, les magasins élisent une couleur pour les petits êtres humains dotés d'une zézette et en élisent une autre pour les petits humains dotés d'un zizi. Est-ce qu'ils font des économies et achètent la teinture en gros ? Ça doit être ça. Je ne vois pas d'autres explication à leur étrange obsession. Je n'ai rien contre le rose pâle, je ne voulais tout simplement pas que ce soit la seule couleur de l'appartement, ni la principale teinte que mon bébé verra quand il partira à la découverte du monde et de la place qui est la sienne.
L'accouchement s'est bien passé, j'en ai conscience et j'en suis ultra-reconnaissante. La sage-femme était en or, je n'aurais pas pu rêver de prise en charge plus sereine, Dee était génial et tout va bien. Mais quand le médecin est arrivé après l'accouchement et qu'il a coché la case intitulée "Normal/sans complication" du formulaire de l’hôpital, j'ai eu envie de lui mettre une droite. Sans complication, tu crois ça, putain ? Essaie un peu qu'on rigole. Ils devraient modifier la formulation sur leurs registres. Au moins ajouter un "Bon travail" ou autre commentaire dans ce goût-là.
Il ne ressent peut être plus d'amour pour moi, mais il en à déjà pour son enfant.Ce n'est pas l'amour qui manque ici.
J'ai envie de couvrir sa peau
de baisers boucliers
de la protéger du monde
au-delà des fleurs et des fées
de grimper dans les arbres
de nous promener sous les étoiles
Personne ne m'a dit que je ne pourrais pas utiliser du papier toilette
Personne ne m'a dit que j'allais saigner
Personne ne m'a dit que j'aurais sans doute besoin d'un lieu secret pour crier
p.423.
Mais la goutte d'eau qui faisait déborder le vase, pour elle, c'était que je laisse aussi toujours à côté du siège des toilettes une boîte de tampons et un paquet de serviettes hygiéniques. Je voulais que tous ces produits soient exposés à la vue de ma fille dès son plus jeune âge ; qu'ils soient aussi normaux pour elle que du savon et un rouleau de papier toilette. Et aussi parce qu'à l'époque où je manquais encore de confiance en moi pour simplement demander, il m'est quelquefois arrivé de débarquer de manière imprévue chez des gens et, en farfouillant dans leur salle de bains pour leur en piquer, de n'en trouver aucun.
Les entreprises exploitent les émotions comme autant d'"achats indispensables"
tandis que des milliers sont dépensés par culpabilité, peur de l'inconnu et désespoir
tandis que cent ventres lourds déambulent dans les rayons, accablés d'avis
et que tout a un prix un enfant à naître y compris
Les parents inquiets remplissent leurs caddies,
les brevets dopent les prix, vantant
les produits pour femmes enceintes, comprenez
Achetez ça, ou votre bébé sera foiré
Les marges de bénéfices augmentent chaque année
Encaissant l'argent de l'anxiété
L'amour vendu en emballage papier
Vestes à pois de grands couturiers
Je suis une mère, debout devant l'école, à la sortie des classes. C'es un peu surréaliste. Je suis véritablement une mère. En vrai. Ton sourire est magique. Tout s'est bien passé. Je suis soulagée.
Moi : "Alors, c'était comment la maternelle ? Ça t'a plu ? Tu t'es bien amusée ?" (question tendancieuse).
Petite Chérie : "Oui, maman, c'était super bien."
Moi : "Oh, génial, je suis vraiment contente."
Je suis ravie. Main dans la main, nous trottons lentement en direction de la maison.
Petite Chérie : "Ouais. Mais je ne suis pas sûre d'y retourner."
Et je me rends compte que j'ai oublié de lui dire que cela n'avait rien de ponctuel. Je suis partie du principe qu'elle le saurait.
Merde.
Décidément, je ne suis pas très douée.
p.126-7. Pas une seule fois les garçons n'ont eu à se présenter devant une classe de filles pour apprendre à nous caresser avec les doigts en se servant d'un figue, ce qui, j'en suis sûre, aurait aidé nombre d'entre nous. J'aurais apprécié cela. En particulier parce que l'obsession de la pénétration s'étendait aussi à l'usage des doigts et que doigter, pour la plupart des garçons, semblait se traduire par baiser avec les doigts et seulement ça, une imitation de tringler en continu mais avec un outil beaucoup plus petit. Ça ne comptait que s'ils allaient à l'intérieur. Home run.
Le fait que notre culture se focalise continuellement sur la pénétration dans l'acte sexuel, comme étant à la fois la norme et le marqueur d'une perte d'on ne sait quelle invisible innocence, semble à la fois confus et dangereux, en particulier pour les jeunes, les personnes sans expérience ou peu sûres d'elles. Cela fait de la pénétration la chose qui compte, la chose sur laquelle nous devrions nous concentrer sexuellement et enfin la chose qui, depuis des milliers d'années, s'avère une marchandise recherchée, mettant encore des enfants et des adolescents en danger dans le monde entier.
p.222-3.
Alors que la majorité des gynécologues de leur époque n'approuvait pas l'extrémisme de la mutilation génitale féminine défendue par Baker Brown, John Kellogg, lui, était l'un de ses partisans les plus connus. Les cornflakes et la MGF : deux armes féroces dans le combat contre l'immoralité.
Le meilleur résumé du rapport de John Kellogg au plaisir sexuel, je l'ai trouvé dans Vagina : A Re-Education de Lynn Enright, où on lit :
Il [John Kellogg] était marié mais n'avait semble-t-il jamais consommé son mariage ; il croyait que la masturbation féminine était la cause de toute une série de problèmes, comme la maladie mentale, les fausses couches et le cancer... il conseillait l'utilisation de bandages et de liens pour empêcher les enfants de se masturber ; si ça ne marchait pas, il suggérait de se servir d'une cage. Dans certaines circonstances, quand les autres méthodes avaient échoué, il recommandait une excision ou de brûler le clitoris à l'acide phénique... Alors que d'autres médecins pratiquaient des excisions avec une certaine discrétion, Kellogg, à l'instar de Baker Brown, soutenait ouvertement cette pratique.