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3.68/5 (sur 14 notes)

Né(e) : 1982
Biographie :

Isabelle Cornaz est née en 1982 dans une famille suisse et espagnole. Cette double origine, qui a beaucoup compté, a orienté ses études et l’a amenée à vivre une dizaine d’années à l’étranger, principalement à Moscou.

Après des études de langues russe et espagnole à l’Université de Genève puis un master à Londres en politique russe et études des nationalismes, elle travaille en qualité de journaliste pour différents médias francophones. Elle est aujourd’hui à la rubrique internationale de la Radio Télévision Suisse.

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Bibliographie de Isabelle Cornaz   (1)Voir plus

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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
L'horreur de la guerre n'est pas perceptible, mais des êtres humains sont capables de la mettre en œuvre. De la promouvoir, de la désirer. De renoncer, sciemment, à tous les garde-fous. D'entraîner avec eux des mères, des familles de soldats, qui préfèrent croire que leur fils n'est pas mort pour rien. p. 72
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(Les premières pages du livre)
J'ai aimé profondément une ville – Moscou – qui a changé avec le temps, une partie de ce que j'aimais a disparu. J'ai commencé un récit dans lequel elle serait l'héroïne, un essai sur ses motifs réels ou fantasmés, ses trous et l’immensité du pays tout autour. Ce territoire est devenu un corps de rumeurs et de fossiles marins, un corps d’amours et de souvenirs, un corps d'une insoutenable violence.

Si ce n'était pour la peinture de pluie
Les recettes à la fraise
Le soleil transparent
Si ce n'était
Les caresses égrenées
Ces métros de chaleur
Ces nuits emplies de plomb

Si ce n’était pour l’air chaud la poussière
La vie des chats qui lèchent la lumière
Les autoroutes assombries de sommeil
Cette richesse clinquante

Si ce n’était
Ces feuilles vertes mordorées
J'aurais repeint la rue
Tout serait argenté
Un Moscou froid et tendre
Comme un petit glaçon.

1.
Je me souviens d’un jour, enfant, où nous avions pêché tant de poissons qu’il avait fallu en remettre quelques-uns à l’eau. Il y avait un quota à ne pas dépasser, pour les pêcheurs amateurs.
Mon père avait un petit bateau. Nous coupions le moteur au milieu du lac et tout s’arrêtait : le vent, les nausées, le froid.
Nous plongions. Une journée de serviettes, de roseaux, de cailloux.
Les moucherons se cognaient contre nos yeux, nos lèvres, quand nous remontions le soir, à vélo, à travers la forêt noire et humide.
La forêt, au mois de mai, était remplie d’ail des ours.
Nous voulions toujours plus de poissons.
*
La légende court que les enfants conçus sous une aurore boréale seraient plus heureux. Ou qu’il y aurait plus de chance que ce soient des garçons. Dans la région de Mourmansk, dans le Grand Nord russe, au-delà du cercle polaire, les touristes chinois chassent les aurores boréales. Parfois, ils doivent patienter plusieurs jours pour en voir une. À cause du réchauffement climatique, le ciel est moins souvent dégagé, les aurores boréales se font rares. Les touristes deviennent nerveux.
Les guides leur proposent de chanter, de s’embrasser, pour provoquer l’arrivée des rayonnements lumineux dans le ciel noir.
*
J’ai pensé à Moscou comme à un détail, une fleur.
Celles, en plastique, des tables des cantines. Les violettes sauvages des trains de banlieue, de retour des datchas. Un bouquet disproportionné dans une rame de métro, éclipsant le visage des autres passagers. L’amoncellement de fleurs à la mémoire de l’opposant Boris Nemtsov, plaie à vif au-dessus de la rivière, mémorial citoyen inlassablement arraché par les autorités, inlassablement reconstruit.
Les œillets des parades. Des enterrements. Les roses du 8 mars qu’on vous offre dans les magasins parce que vous êtes une femme. Les bouquets achetés dans la nuit, dans une boutique en sous-sol, dans une chambre froide. Ces petits kiosques à fleurs, luisant dans un carrefour englouti par la nuit, désormais supprimés. Le maire de la ville ne les aimait pas. Les roses fraîches sur les plaques commémoratives des poètes.
Peu après le début de l’invasion russe en Ukraine, ce ruban, autour d’une fleur pour le soldat inconnu, où il est écrit : « Nos ancêtres ne se sont pas battus pour ça ».
*
Les soldats russes ont volé et ramené d’Ukraine des parfums et des vêtements, des enceintes Bluetooth, de la nourriture, des trottinettes, des matelas, du vin, des machines à laver, des tracteurs agricoles. Des téléphones, des cannes à pêche, des jouets cassés.
*
Des platebandes de pissenlits chauffent au soleil de la fin de l’été. Les cours cachées de Moscou s’emboîtent les unes dans les autres, comme une ville infinie.
C’est ici que se trouve le cœur de la ville. À bien y regarder, des artères apparaissent, la ville se révèle et la carte s’enfonce. Des capillaires d’été gonflés de sang.
C’est là que la ville devient lisible. Il faut zoomer le plus possible sur les cartes digitales pour voir cette partie de la ville qui sinon nous échappe, n’apparaît tout simplement pas.
*
L’été aura disparu d’un seul coup. L’automne et le printemps sont des saisons friables. Trop rapidement, elles tombent du côté des soirées glacées ou de journées de canicule. Ces arbres transparents d’avril chargés de lumière, leurs branches nues qui ont séché, qui n’ont plus de neige mais pas encore de feuilles, on les range encore, dans l’empressement, du côté de l’hiver. Au mois de septembre aussi, le jour peut déjà basculer. La vue se brouille, il fait gris-blanc, la teneur de la ville s’échappe.
*
De rares fois, la justice russe a condamné des militaires pour avoir dépouillé des morts.
Sur le site de l’accident de l’avion qui transportait le président polonais au-dessus de Smolensk, il y a quelques années, un soldat russe a volé les cartes bancaires d’un des passagers, décédé.
Sur une petite feuille de carton, le soldat a trouvé les mots de passe des cartes de crédit du défunt, dans son portefeuille. Avec trois complices, ils ont dépensé l’argent volé dans un café.
*
La première fois que j’ai découvert Moscou, c’était à travers le double vitrage bruni d’une tour d’hôtel vétuste, au mois de février. Je ne voyais rien. Sur la place en contrebas, au pied du ministère des Affaires étrangères, à la sortie d’un passage souterrain, un petit groupe de communistes manifestait. Leur drapeau rouge tranchait avec la ville avalée par le blanc.
En russe, il y a ce mot : nepogoda, l’intempérie. Littéralement, cela signifie le non-temps, ne-pogoda. Le temps est si mauvais, qu’il n’est pas. Gardons le mot temps pour quand il fera beau.
Le soleil sera doux, pas brûlant.

2.
Pour aller à la datcha, me dit Tania, nous avons traversé à pied la rivière gelée. Notre chat marchait devant nous, et nous, instinctivement, nous le suivions. Nous étions en file indienne. La couche de glace était très fine. Ma mère croit, encore aujourd’hui, que le chat nous a sauvés.
*
Dès les premiers jours de l’invasion de l’Ukraine, à cause d’un dégel précoce, les tanks russes ont dû rouler sur des routes asphaltées, en longs convois, ce qui les a rendus plus vulnérables.
*
Dans la baie de l’Amour, à Vladivostok, sur le gel immaculé, il y a tant de personnes qui viennent en voiture pour pêcher que des embouteillages se forment. Elles arrivent dès l’aube, dans l’obscurité.
En janvier 2020, trente voitures ont coulé, la glace a cédé.
Lorsque le gel commence à fondre, au printemps, le pêcheur, qui a fait un trou dans la glace et s’est assis sur une petite chaise pendant toute la journée, ne veut pas s’en aller, car c’est quand la glace commence à s’effriter que les poissons sont les plus accessibles, réellement à portée de main.
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Une partie des habitants a décidé de ne plus s’informer, ne pas savoir ce qu'il se passe de l’autre côté de la frontière, où des gens tuent et se font tuer. Tout semble inextricablement compliqué, on ne sait pas qui dit vrai, la géopolitique est quelque chose de si sale, s'y aventurer tient de la naïveté, de la bêtise, de la folie, ils tentent de se convaincre que des pans entiers de la vie — noirs, sombres — peuvent disparaître si on cesse d'y penser.
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Au parc Gorki, la transformation a commencé il y a une dizaine d’années avec la rénovation des toilettes historiques, l'aménagement d’une berge pour les danses de salon au bord de la rivière, un premier distributeur automatique de graines pour Oiseaux.
Puis la machine s’est emballée. L'ombre des arbres a été grignotée par la musique incessante des terrasses, les pédalos et le ping-pong, la pétanque, la patinoire, le cinéma en plein air, la semaine créative. Les festivals de sculptures de glace en hiver et gonflables en été, les carrousels, les sessions de yoga, l'observatoire des astres, les fontaines en musique. Le musée sur l’histoire du parc. L'audioguide sur l’histoire du parc. Le kiosque à souvenirs. La Nike Box, le volley-ball de plage, les duels littéraires, les conférences de nuit, le flower tour en bus électrique, le centre d'art contemporain, sis au milieu du parc, connu à la ronde pour ses gâteaux. Le sapin de Noël digital, qui s’illumine d’un fond au choix, après avoir scanné un petit QR code.
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Des arbustes naissants sont maintenus droits au moyen d'une clôture minuscule et bien penchée. Ces plantes sont toutes petites et les barrières qui les entourent plus dérisoires encore. On touche à l'obsession de la barrière dans sa forme la plus désarmante. p.17
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« La seule chose qui me rassure dans les villes secrètes, inconnues, c’est l’idée que derrière le néant se cache encore la vie, que la carte n’est pas le territoire, que là où l’on croyait qu’il n’y avait rien il y a les hommes. C’est une pensée naïve, car les archipels cachés du monde, la plupart du temps, ce sont des camps où l’on maintient des êtres enfermés. »
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Nous avancerons les yeux bandés, les moments de joie gravés. Nous dormirons dans la neige pour garder un lien avec le monde physique, peau à peau avec la ville faite de nos souvenirs chaque jour sécrétés. Nous détournerons les yeux devant les statues et nouveaux monuments du régime: à mesure qu'ils peuplent frénétiquement le territoire, l'histoire disparaît.
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J’ai pensé à Moscou comme à un détail, une fleur.
Celles, en plastique, des tables des cantines. Les violettes sauvage des trains de banlieue, de retour des datchas. Un bouquet disproportionné dans une rame de métro, éclipsant le visage des autres passagers. L’amoncellement de fleurs à la mémoire de l’opposant Boris Nemtsov, plaie à vif au-dessus de la rivière, mémorial citoyen inlassablement arraché par les autorités, inlassablement reconstruit.
Les œillets des parades, des enterrements. Les roses du 8 mars qu’on vous offre dans les magasins, parce que vous êtes une femme. Les bouquets achetés dans la nuit, dans une boutique en sous-sol, dans une chambre froide. Ces petits kiosques à fleurs, luisant dans un carrefour englouti par la nuit, désormais supprimés. Le maire de la ville ne les aimait pas. Les roses fraiches sur les plaques commémoratives des poètes.
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« Dans une vision musulmane, l'Asie était située à l'ouest, puisque le monde gravitait autour de La Mecque et que le nord était africain, comme la montre la splendide carte qu'al-Idrissi avait conçue à l'usage de Roger, roi de Sicile, vers le milieu du XII siècle. Il aura fallu attendre pour que l'Europe migre au nord et que l'Asie accepte, sans caprices, de jouer son rôle d'Orientale. L'Orient désorienté était enfin orienté comme il faut. Le travail de sape de la colonisation n'allait pas tarder à entrer dans une phase active. » (Atlas des Égarements)
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La structure de la ville de Moscou est faite de cercles concentriques, comme un orgasme. Les fortifications successives qui sont tombées au fil des siècles ont creusé des artères, des boulevards, des voies trois fois plus larges que les autoroutes de mon enfance. Ces anneaux sont des sillons entre des trous noirs. Ils rythment les rues obscurcies par Les arbres en été, les cours endormies où l'asphalte est gris-noir, où le sol est immense et luit comme un caillou. p. 28
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