La dorure du Castelle s'épaissit ; on voit davantage de pierres grises ; l'automne avance plus vigoureux, ici coloriant, ici dévêtant. Dans les aubes plus fraîches les cigognes claquettent, puis elles volent en biseaux. Déjà, dans les jardins, sifflent les mésanges.
L'azur du ciel, dans un nouvel éclat d'automne, est plus vif. Les étoiles rendent les nuits plus noires et d'une profondeur infinie. Le cours de la voie lactée, laissant voir de plus en plus de nébuleuses, est plus net.
Le matin, les jeunes aigles commencent à jouer dans le ciel. Ils jettent des cris sonores au-dessus des vallées du Castelle et de la mer, et font des culbutes, heureux de leur premier vol lointain, tandis que, pour les surveiller, les vieux planent au-dessus d'eux.
La mer est devenue, elle aussi, bien plus noire. Le bondissement des dauphins, tournant comme une roue dentée, y jaillit plus souvent.
C'est donc l'automne, et le Babougane annonce les pluies...
L'horizon, il ne faut pas le contempler. Il est trompeur comme les rêves. Il attire et ne donne rien. Il est bourré de bleu, de vert, de doré ; mais il ne nous faut pas de féérie ; elle est là, sous tes pieds, la vérité ...
Je sais que les vignes, sous Castelle, n'ont pas de raisin ; je sais que les blanches petites maisons sont vides, et que, sur les pentes boisées, sont éparpillées des vies humaines...
Je sais que la terre est imbibée de sang, que le vin sera âcre et ne donnera pas de joyeux oubli. La muraille grise de la Kouchekaïa, que l'on voit de si loin, a enregistré des choses horribles. Le temps venu, on les déchiffrera... (p20)
Voici déjà la nuit close. Un vent furieux semble vouloir arracher même les étoiles ; elles tressaillent, tremblent, dans l'infini noir. Le vent lisse la mer, qui est comme une vitre froide. Les étoiles frémissent sur elle. Tout le monde s'est depuis longtemps verrouillé, frissonnant aux heurts ; on ne sait pas présentement qui pousse les portes. Et, dans les rafales du vent, des cris, des prières étouffées, arrive-vent...
Il fait bon rester assis dans la paix matinale de la gorge aux vignes, et s'y cacher de tout. Rien que les ceps... Leurs rangs grimpent au long de la gorge, vers la liberté, là où se trouvent les vieux amandiers, là où sautillent les geais. Quelle cuve paisible ! L'un des côtés est encore à l'ombre ; l'autre est chaud, doré. C'est celui où se trouvent les jeunes poiriers couverts de grosses girandoles. En se retournant, on voit la large baie bleu sombre : la mer. La gorge dévale à pic, et dans son étroite fente, s'aperçoit, la coupe bleue de la mer ; il n'y a qu'à la boire des yeux ! (p36)
Le soleil est descendu derrière le Babougane. Les montagnes bleuissent. Les étoiles commencent à blanchir. On ne voit plus de merle mais il siffle encore. Et là-bas aussi-où l'on a coupé les amandiers-il y en a un second...tous deux saluent leurs printemps. Mais pourquoi de façon si mélancolique ?...
J'écoute jusqu'à la nuit noire.
Voici la nuit. Le merle se tait. Il recommencera à l'aube...nous l'écouterons pour la dernière fois.
( Derniers paragraphes )
L’histoire ne tient aucun compte des terrains vagues, des berges des rivières désertes, des fosses à ordures, des taudis, des fillettes russes qui troquent contre des pommes de terre leurs corps d’enfants ; elle n’a cure des vétilles. Elle est occupée de trop grandes choses et de trop grands exploits pour prendre son vol sur ces vétilles !… Elle inscrira ceux qui communiquent par radio avec l’univers, ceux qui passent des revues sur les places, ceux qu’on invite aux congrès et qui portent les fracs décents d’un tailleur de Londres ; elle ne parlera pas de toi, Ver-perche ; elle parlera de ceux qui, en votre nom, gens perdus, décident du sort de votre descendance sacrifiée. Mille plumes notent en criant ce qui est agréable à leurs oreilles ; mille plumes vendues et menteuses étouffent le bruit de vos gémissements bègues.
(p. 182)
Encore plus à droite, le bonnet velu du Babougane boisé. Les matins le dorent, mais il est d'habitude d'un noir profond. Telles des soies, on y aperçoit, quand le soleil liquéfié vibre derrière lui, les aiguilles des arbres résineux. C'est de là que viennent les pluies. C'est là que le soleil se couche. Il me semble, je ne sais pourquoi que c'est de ce sombre et noir Babougane que descend la nuit...
Il ne faut plus songer à la nuit, ni à ces rêves décevants, ou rien n'est d'ici-bas. La nuit prochaine ils reviendront. Le matin arrache les rêves. Voici, là, en dessous, la vérité nue.
L'horizon, il ne faut pas le contempler. Il est trompeur comme les rêves. Il attire et ne donne rien. Il est bourré de bleu, de vert, de doré ; mais il ne nous faut pas de féerie ; elle est là sous tes pieds la vérité.
( premier chapitre)
Tu vas ton chemin et te dis:dans un instant, j'entendrai la douce prière, refrain si simple et pourtant si particulier, refrain enfantin, chaleureux, et les images soudain te veindront d'un petit lit d'enfant et d'étoiles.
Идешь и думаешь: сейчась услышу ласковый напъвъ-молитву, простой, особенной какой-то, дътски, теплый.. и почему-то видится кроватка, звъзды.
L'Allemand marchait en se dandinant, à la façon des obèses ; Ivan, comme un niais, avait les yeux fixés sur le large dos, la nuque rougeaude, plissée. Tout lui répugnait dans cet homme : les pans de son habit qui ballotaient avec des boutons brillants à la ceinture, son bâton sec, muni d'un écrou, le bonnet rapiécé, le cigare qui empestait. Ils rencontrèrent un peloton de soldats qui marchaient au son du tambour. Ivan se rappela sa compagnie et devint pensif. Personne ne l'examinait : on savait que ce loqueteux aux yeux gris, à la haute taille-était le prisonnier russe Ivan. il y en avait bien d'autres. Seule une vieille avec un sac d'herbe et petit chien en laisse, le regarda dans les yeux, remua les lèvres. Comprenant que la vieille le plaignait, Ivan se rappela sa mère.
Je m'arrache à la vue de la mer, je marche, comptant mes pas pour détourner mes idées... Maintenant cognons dur sur les racines millénaires des chênes, enfouies dans la terre...
Les parois forment ici une coupe qui tapissent de noueux pieds de charmes. Au-dessus est le ciel. Cogner sans penser ! Et si les pensées vous assaillent, il faut les arracher aux broussailles, les balayer, les disperser; il faut regarder les étranges formes des charmes, caprices de la nature. Ce ne sont pas des arbustes, mais de merveilleuses métamorphoses... on ne sait quelles mystérieuses allusions à on ne sait quoi...