Citations de Jean-Luc Outers (38)
La télévision a ceci de particulier qu'elle peut vous endormir tel un puissant somnifère et se muer le lendemain en détonateur soulevant le plus brutal réveil.
Tu aimes les gens, tu les écoutes, tu compatis à leurs douleurs, tu partages leurs joies, alors pourquoi pas la psychologie?
Les femmes font des enfants, les hommes font la révolution. Ainsi en va-t-il de la répartition des sexes. Que Juliette fût enceinte, c'était dans la nature des choses. Qu'un jour il serait le père d'un enfant faisait partie de la vie, tout simplement, car la vie c'était faire bouger le monde pour qu'il se soulève enfin. Ce bébé, elle l'avait voulu et à présent elle le sentait dans son ventre. Comment se défaire d'un être à qui l'on parle tous les jours
Je pris Luca dans mes bras et marchai jusqu'au bord de l'océan. Il faisait nuit à présent. Un cargo croisait au large et on apercevait au loin les lumières de la ville qui scintillaient dans l'eau. Luca s'était endormi, la tête posée sur mon épaule, bercé par le fracas des lames qui s'écrasaient face à nous. Je sentais contre moi sa mémoire minuscule qui se reposait enfin après cette rude épreuve. Comment faisait-elle pour emmagasiner tant d'immensité? Les déserts et les océans réussiraient-ils à y trouver place à l'abri de l'oubli et des plis du temps?
Un monde, en effet , séparait Bruxelles et La Louvière qu'un cataclysme semblait avoir détachée de la terre ferme pour l'envoyer à la dérive, créant une fracture entre les deux villes espacées de soixante kilomètres à peine.Même les bourgeois, pensait César, avaient largué le luxe de leurs villas, fuyant cette terre hostile. Et lui et ses camarades, le plus sérieusement de monde, par un mouvement de balancier, rêvaient de réinvestir les lieux pour quelque cause humanitaire, allumant une bougie dans la nuit.
Peut-être me suis-je lancé dans ce voyage pour ébranler ce mur. A présent que les mots n'ont plus cours. Parfois je pense à eux, à tous ces mots que nous ne nous sommes pas dits et qui sont là quelque part, à jamais inutiles, je les imagine comme des castors rongeant l'inébranlable mur de l'incompréhension. Ce voyage est une expédition à la recherche de ce trésor enfoui. Mais pour arriver au but, nous devons inventer une autre langue, une langue qui ne serait pas fondée sur la parole.
Depuis le départ, mon père occupait sans sourciller la place du mort. Je l'y avais installé sans lui laisser d'autre choix comme si ce voyage devait être l'ultime anticipation de la fin. Les habitants de l'autoroute nous percevaient peut être comme les passagers d'un étrange convoi où les places étaient fixées une fois pour toutes. Pour moi, ils n'étaient que des corps suspendus à leur volant, vidés des gestes qui les animent, le regard perdu dans le lointain, entre ciel et terre, des étoiles filantes.
Le cerveau dessine-t-il une carte des lieux que nous avons parcourus ? Voyageons-nous sans bouger à travers des cartes mentales qui s'inscrivent dans notre mémoire ?
L'amour, pensais-je, tant qu'il y aura des femmes et des hommes, il ne sera question que de ça pour se protéger de la dureté du monde.
Parfois j'envie ceux qui ont perdu toute notion du temps. Le bonheur est sans doute à ce prix, jouir du seul présent en se fichant du reste.
Aujourd'hui il n'est plus un objet proposé à la vente qui ne soit affublé de son mode d'emploi : appareils ménagers, luminaires, télévisions, jouets d'enfants... Rien ne nous est épargné sur leur assemblage, leur mise en route, leur entretien, les précautions à prendre, les dangers à éviter. Pourquoi n'en est-il pas ainsi des êtres humains qui, à la naissance, serreraient dans leurs poings minuscules le document d'usage que les parents s'empresseraient de déplier ?
Les études sont une suspension du temps entre l'enfance et l'âge adulte, un moment différé avant de plonger dans le bain définitif de la vie. On sait à peut près d'où l'on vient, on ne sait pas où l'on va. Assis sur un banc, on regarde la mer et on se dit qu'au-delà, un autre monde nous attend, un monde insoupçonné même s'il existe bel et bien sur les cartes.
Toutes les écoles, songea-t-elle, ne sont que la déclinaison infinie d'un modèle unique dont le moule inchangé se reproduit depuis la nuit des temps.
L'adolescent inadapté, ceci avec les guillemets qui s'imposent car la question est bien inadapté à quoi ?, se caractérise par son pouvoir de refus de l'école, refus du monde des adultes et de ses lois. Il faut l'analyser comme un symptôme par lequel l'enfant cherche à faire entendre ce qui ne peut pas être entendu.
Ce socialisme-là, les avait prévenus César, n'avait pas grand-chose à voir avec le socialisme tel qu'il l'entendait lui. Occupant le pouvoir durant des décennies au nom de la défense des petites gens qu'ils appelaient tantôt les défavorisés, tantôt les plus démunis, ils n'avaient d'autre ambition que de s'y maintenir coûte que coûte en y tirant de menus avantages avec pour seul moteur leur force d'inertie. Et à en juger par leur longévité, ils y réussissaient fort bien.
Dès l'aube, la nature s'est réveillée avec les premiers rayons du soleil. La forêt bruissait d'une activité intense. Comment donner un nom à ces chants d'oiseaux, ces cris de rongeurs, ces craquements de branches ? Nous nous étions endormis dehors comblés par la constellation des étoiles.
Ce voyage, elle le voyait comme un retour à l'enfance : découvrir des paysages inconnus, faire du feu, installer son campement en pleine nature, bref tout ce qui avait fait le sel de ses vacances familiales passées à camper au bord de l'océan avec ses parents et ses six frères et sœurs.
Des saisons, nous savons au moins qu'elles reviennent. Le printemps filait vers l'été, le soleil n'en finissait pas d'escalader le ciel. Ensuite, il amorcerait sa lente descente pour reprendre, au solstice d'hiver, une nouvelle ascension.