L’inventeur est peut-être le fils spirituel de Prométhée, mais, en tant qu’homme, il tient aussi, hélas ! de ses ascendants directs. On commence à inventer la poudre (ce qui, comme chacun sait, n’est pas donné à tout le monde) et, après s’en être mordu les doigts, on instaure le prix Nobel de la Paix.
- Maintenant, je sais lire, me dit-elle fièrement, et se penchant sur la page elle me lut avec application, mais sans accrocher, le début du Petit Prince. Je la regardai, juste avant qu’elle ne s’envole… et j’eus le temps de voir qu’elle était heureuse.
Autobiographie : la célèbre page de Dimitri Marcescu évoquant la figure maternelle penchée au-dessus des bassines de cuivre où commençaient à bouillonner les groseilles ; texte argumentatif (travail d’écriture) : avantage de la gelée de pommes sur la confiture de poire ; texte injonctif : différentes recettes à base de fruits des bois ; poésie : « j’ai trempé mon doigt dans la confiture » de Joseph Smerecki (etc.). Mathématiques : dimensions d’un pot cylindrique, conique, sphérique, parallélépipédique, pouvant contenir deux litres de confiture. Etant donné qu’il existe plusieurs solutions, introduire la notion de paramètre (etc.) ; Sciences physiques : notion de densité permettant de calculer le poids des différentes confitures de divers fruits correspondant à ces volumes (etc.) ; Histoire : le rôle de la myrtille dans la naissance du nationalisme prussien (etc.) ; Sciences naturelles : la reproduction du cassis (etc.) ; Education sportive : course au pot de confiture, équilibre sur les pots vides, lancer de couvercles, saut de la colonne de pots de confiture (etc.).
Dans les années soixante-dix, frais émoulu des concours nationaux, j’entamais une carrière d’enseignant qui se présentait sous les plus mauvais auspices. Le manque d’expérience, une certaine timidité qui me prive de mes moyens devant un auditoire de plus de trois personnes, une maîtrise tout juste passable de l’expression orale, mon inaptitude chronique à savoir structurer et transmettre mes connaissances, tout cela constituait autant de handicaps que j’avais certes réussi à surmonter non sans peine pour être admis de justesse au concours, mais qui ressurgissaient implacablement devant ma classe. Qu’on y ajoute l’insubordination naturelle de jeunes enfants, leur peu de goût pour la matière austère que j’étais censé enseigner, l’effervescence sociale enfin qui marqua ces années d’après soixante-huit, et l’on aura une idée du désarroi où je me trouvais à cette période de mon existence.
A l’issue d’une année de détermination, les élèves peuvent choisir entre plusieurs séries : A.C.E., C.E.A. ou E.C.A. (la moins prestigieuse). Les A.C.E. font en effet plus de M.P.I. mais moins d’I.M.P. et pas du tout de S.E.S. Quant aux C.E.A., leur horaire comprend beaucoup de S.E.S. et peu de M.P.I. Pour les E.C.A., on a cru bon de privilégier le S.T.O. et le M.P.3. Toutes les séries sont astreintes à l’E.P.S. et peuvent bénéficier d’une heure hebdomadaire d’S.O.S., depuis que l’I.A. a supprimé l’A.I. et chargé le P.A. d’organiser l’A.P. L’année d’après, on voit encore une spécialisation possible : les A.C.E. peuvent s’orienter soit vers A.A.C., soit vers C.E.C., soit vers A.C.C. ; les C.E.A. ont le choix entre A.C.A., C.C.E. ou C.A.E. ; enfin les E.C.A. doivent se contenter de E.C.C. ou de E.A.C.
[…] les spécialistes boltaves de l’éducation ont fait valoir, non sans bon sens, que les systèmes traditionnels ne tiraient nullement parti des incroyables facilités des plus jeunes, en s’obstinant, par pur conformisme et manque d’imagination, à confiner les enfants dans des apprentissages rudimentaires, tandis que l’on imposait, paradoxalement, les programmes les plus ambitieux à l’âge où le cerveau commence à saturer, c’est-à-dire à la fin de l’adolescence. Ils ont donc conçu l’idée, géniale dans sa simplicité, d’inverser l’ordre habituel de progression des connaissances, en prenant résolument le parti d’une complexité décroissante des savoirs.
Comme il s’agit d’un peuple ayant le sens des valeurs, la pression parentale est forte : on ne met pas la main à la poche sans l’accompagner de remontrances vives et parfois douloureuses, si bien que les suicides ne sont pas rares, chez les jeunes enfants accablés de reproches et ne parvenant pas à satisfaire aux performances exigées. Les plus optimistes des Lurcariens considèrent que cela conforte encore l’excellence du système, en opérant une sorte de sélection naturelle qui permet d’éliminer les éléments les moins efficaces de la société.
[…] il était […] prouvé, chiffres à l’appui, qu’il n’existait absolument aucune relation entre le nombre d’élèves par classes et l’efficacité de l’enseignement dispensé. (Certains indices statistiques laissaient même supposer une tendance paradoxale : plus nombreux se trouvaient les élèves en face du professeur et mieux ils apprenaient –en d’autres termes, les options les plus réputées se trouvaient les plus chargées…)
Expéditives, les méthodes des Barchoums. L’élève ne sait pas sa leçon ? Et sdiang ! un œil au beurre noir ! Il s’obstine à ne rien comprendre au problème posé ? Et schlag ! La lanière claque sur l’épaule nue. Pas de cris, pas de cris surtout, cela déclencherait la fureur du maître. Il faut encaisser sans rien dire, il faut surtout progresser dans la connaissance. Plus on progresse, moins on a mal.
Le fait est que toute l’éducation est placée sous le signe de l’élément aquatique, et les différentes formes de natation constituent, dès le plus jeune âge, le paradigme de l’apprentissage. Partant du grand principe qu’il faut se jeter à l’eau pour apprendre à nager, ce peuple hydrophile lâche donc les nourrissons, dès leurs six premiers mois, dans de grandes citernes réservées à cet effet. Après quoi, on observe les divers comportements : ceux qui surnagent d’instinct ; ceux qui se débattent mais finissent par boire la tasse –esprits combatifs, montrant des dispositions prometteuses ; ceux qui appellent en criant une hypothétique rescousse (ces derniers, d’après les psychologues, témoignent de leur aptitude au travail en équipe) ; ceux qui tout de suite coulent à pic, signe d’un évident manque de confiance en soi, auquel il faut remédier par un entraînement psychologique adéquat, pour leur mettre la tête hors de l’eau.