Nella voit Marin comme une montagne immense, ancrée, immuable. L'enfant en elle est un pèlerin qui descend de ses sommets, en mouvement alors que Marin est paralysée. Chaque pas qu'il fait, chaque impact de sa canne contre le flanc de Marin, chaque coup de pied lui donne davantage de pouvoir.
Nella pose la tête sur le côté du cabinet, le bois frais touchant sa peau comme un baptême bienvenu. En me montrant ma propre histoire, la miniaturiste en est devenue l'auteur. J'aimerais pouvoir reprendre ma place.
Aucun homme n'a envie de former une femme. Aucune guilde, en dehors de celle des couturières ou des transporteurs puants de tourbe, ne voudrait de l'une d'elles. Et dans quel but? Ce sont les hommes qui bâtissent le monde.
Elle veut être transpercée par la lumière. Le quai est vide, la glace un ruban de soie blanche entre les maisons du Herengracht. Au-dessus , la lune, plus grande qu'elle ne l'a jamais vue, plus même que la nuit précédente, forme un stupéfiant disque de pouvoir. Elle pourrait presque l'atteindre, la toucher! Dieu a dû la pousser plus bas dans le ciel pour que sa main humaine puisse la tenir.
C'est un jour lumineux, qui donne aux toits en terre cuite une teinte presque vermillon, et dont la fraîcheur suffit à dissiper la puanteur du canal. Les sabots des chevaux attelés claquent sur les pavés, les voies d'eau grouillent de navires pleins d'hommes, de femmes, de biens à vendre, de quelques moutons même.
Marin se met à changer dans son esprit. Hors de sa robe noire terne, elle jaillit tel un phénix, nimbée du parfum de ses noix de muscade, de ses clous de girofle, de sa cannelle- pas de lys, pas de mièvrerie florale. Elle est couverte des symboles de la ville , héritière de son pouvoir, gardienne des cartes, détentrice de la nomenclature des spécimens- et d'autres choses encore.
La fête a duré trois jours, mais vous savez ce qu'on dit à propos des grands mariages ? Qu'ils cachent un manque de désir.
"On trouve son moi profond dans la souffrance" pontifie t'elle