EL LÍMITE
Negras siluetas de pájaros de cartón pegadas en el vidrio
de los ventanales
advierten a los pájaros de vuelo distraído o ensimismado
que hay un límite en la transparencia del aire.
Los ventanales son sellados, herméticos al invierno
pero también a todo sonido.
En el mundo de afuera
no ladra el perro que, ladrando, espanta palomas,
no se oye la canción silbada del jardinero turco,
no crujen las hojarascas al rodar las bicicletas.
Esos movimientos perfectamente silenciosos
adquieren cierta ritualidad que nos asusta.
Los enfermos somos
una triste fila de ángeles de amplias batas para volar.
¿Quiénes serán nos preguntamos los cinco escogidos (de entre cien)
que volverán al mundo donde cada movimiento
dura con su sonido?
una desesperanza completa sería mejor que la incertidumbre
estadística.
Tienen razón esas negras siluetas en el vidrio, vistas
siempre en el borde difuso de nuestras miradas:
Hacia fuera
es más severo el límite en la transparencia del aire.
LA RISA
Una cuadrilla de obreros
está desmontando una vieja casona de Barranco.
Con una venia de paseante les pido su consentimiento para
mirarlos.
Desatan las paredes con barretas, ordenadamente,
hilada tras hilada
de adobe.
De repente un obrero llama a los otros
y señala
una larga hilada con profundas huellas de perro,
huellas fijadas por el sol de 1910
(según la fecha en el frontis de la casa)
Todos acuden y ríen,
largamente ríen, incomprensiblemente ríen.
Es que ellos saben,
han recibido la imagen de adobería de entonces:
tendales de adobe frescos y un perro distraído
caminando sobre ellos, imprimiendo sus patas,
y alguien, acertándole con un poco de barro: "¡zafa, perro zonzo!",
y perro zonzo huyendo, asustado y loco, dejando sus huellas
en el barro fresco.
Y eso dio risa,
muy seguramente que dio risa en la adobería de entonces.
Hoy esa risa se oye aquí, en estas bocas,
como un eco que demoraba, hasta que vino.
Mon œil a ses raisons
Je crois que mon œil a un critère de sélection arbitraire.
À l’évidence, le paysage alentour offrait davantage :
impossible que nous ayons été seuls elle et moi sur ce brise-lames.
Je me répète, comme tout le monde. J’imagine donc
s’il y avait de la brume
lui avoir déclaré : des canots dans le brouillard sont peut-être des mirages ou des
reflets,
et cité l’ancien haïku de Harumi :
“Dans la brume
Je touche le canot incertain.
Ensuite je m’embarque.”
S’il y avait du soleil
l’avoir photographiée au creux de ma main et peut-être effarouchée
en lui disant : prends la pose seins face au vent.
Et s’il est passé des mouettes et qu’elle les ait admirées, lui avoir rappelé
que ce sont là des oiseaux carnassiers, que seul leur chant hideux est honnête.
Mon œil voyait tout, n’écartait rien.
Nous nous sommes avancés dans la mer par ce brise-lames de rochers déchiquetés.
Sur un saillant, elle a ramassé sa jupe
et fait glisser ses pied...
Sur la poésie
L’enfant a pénétré dans l’ombre de son arbre hors les murs
où il déposait quotidiennement le fruit de son labeur intestinal.
Si à l’arbre voisin un autre enfant s’accroupissait
et se soulageait
naissait entre eux
l’honnête complicité dans l’élimination
qu’ont les bêtes bien portantes.
Cette fois-ci, cependant,
une vision le tient en suspens, le fige
dans sa stupeur
sous son arbre :
au milieu d’une précédente évacuation
poussait
une petite plante frémissante et nouvelle.
L’enfant s’est ému en imaginant le voyage
de la petite graine
parcourant tout son corps, sa traversée sans encombre,
indemne,
toute à la défense
en son centre intime et délicat
de l’embryon vivant.
Et dans la mémoire de l’enfant,
avec un plaisir rétif,
a commencé à s’élever pour toujours
la plante minuscule, ton principe, ta petite bannière verte,
...
La cure
La coquille lisse de l’œuf
tenue dans le creux de la main maternelle
passée sur le corps de son fils, là-haut, dans le nord.
J’ai vu ceci :
une femme plus élémentaire que toi
effarouchant la mort par des rites privés, chantant
un œuf dans la main, prêtresse
plus modeste jamais je n’en ai vu.
Je la regardais égrener au creux de ses genoux
le maïs du déjeuner
tandis que le chien de rue s’évanouissait côté ombre
et léchait
la douleur jetée à terre
avec l’œuf miraculeux.
C’était ainsi. La vie passait sans simagrées
au milieu de gens parcimonieux, père et mère
me demandaient si je me sentais soulagé. Le seul courage
était celui de vivre.
Les nuages passaient par la claire-voie
et les poules alignaient dans leur ventre les ovules bénis
et ma mère attendait de nouveau l’œuf le plus frais
avec une conviction :
...
Colin-maillard (Goya)
Tu bouges le pied sur le gond de ta cheville
un peu comme les timides dirigent la musique, et ensuite
sollicité
tu entres dans le jeu de colin-maillard sans grand entrain,
puis, mi-erratique, mi-maladroit,
tu écoutes les cris des petits groupes, tu imagines
la cadence lourde des petites fesses en poire.
Toutes ces voix profèrent nettement, mais parmi elles il te faut en choisir une
qui te relaie.
Cette demeure n’est pas la placette démagogique et poussiéreuse
où tu échangeais prestement ton rôle
pour celui d’un autre gamin modeste
et manquant.
Ces voix que tu entends sont tes nouvelles voix. Elles auraient pu
susciter ta rancœur prévisible, mais non.
L’agnostique qui te confie son désir de croire en Dieu,
la démariée qui semble vulnérable comme biche loin du sous-bois,
l’orthodoxe et celui qui repasse les choses au crible, tous
sont honnêtes
chacun à sa manière.
Elles ne suscitent pas ta rancœur, ni non plus ton
...
Sur la route du nord
Ces minuscules oratoires
au bord des routes, jamais plus hauts
que quiconque priant à genoux, commémorent un corps
qui fut là démantibulé et tué.
À l’intérieur, dans sa nef infime, s’accommode
la mémoire de ce corps
comme un chien aérien blessé.
Où allais-tu, le corps,
quels parents quels travaux s’abolirent avec toi. Ici s’affrontèrent
avec fracas
ton passé et ton avenir
et tu fus réduit à un battement aveugle du monde, sans mémoire,
absurde, égal à zéro.
Et nous, les 60 corps vivants qui voyageons dans cet autocar véloce
nous nous fêtons
joyeusement comme des insensés, nous nous embrassons
parce que la bouche est un bienfait
et nous chantons d’aimables chansons de voyage
qui ne parlent de la finalité ni de celui-ci ni d’aucun autre voyage.
Je crois que nous voyageons librement. Et vous, paradoxaux
démantibulés, vous êtes
un meilleur rappel
à notre bref supplément d’avenir
que ces ponctuelles bornes kilométriques.
Siméon le stylite
Prêtons l’oreille aux paroles de Siméon, écoutons
ses conseils, ses prêches, ses avertissements
car il nous parle depuis un endroit idéal.
La sagesse
consiste à bien choisir l’endroit d’où parler.
Siméon nous parle du haut d’une colonne
calcaire marmoréenne
qu’il a taillée
et plantée au milieu du désert.
Il n’est donc ni au ciel ni sur terre.
Là-haut, dans le ciel,
évoluent les anges aux yeux blancs
avec leurs pensées immaculées que
nulle passion humaine n’agite
ou ne trouble.
Lorsque Siméon baisse le regard vers la terre
il voit les pèlerins
qui entourent la base de sa haute colonne, dans l’attente
anxieuse
de sa parole.
Il observe avec tristesse
ces visages marqués à l’excès
par l’inévitable vulgarité de la vie terrestre, puis
il parle
et sa parole
est un fracas flamboyant qui fusionne anges et êtres rampants.
Répons devant le cadavre de ma mère
Ce cadavre n’a pas l’air gai.
Et quand un cadavre manque de gaieté,
la culpabilité déferle.
On voudrait lui servir n’importe quoi d’appétissant et savoureux (ah ! oui
son bonheur de vieille femme mangeant un steak bien tendre !),
seulement Dora n’est pas encore revenue du marché.
Ce cadavre manque de gaieté,
mais un peu de gaieté peut-elle encore pénétrer son âme
flottant sur ses organes de poussière ?
Que nous sommes impuissants
face à un cadavre qui prend congé dans une telle désolation !
Il est trop tard pour rien réparer. Quelqu’un a-t-il gardé
ses pommes d’amour qui, dans ses mains offertes,
semblaient provenir d’un arbre magnifique ?
Là, elle s’en va avec sa bague de veuve.
Là, elle s’en va, et toi, ne lui fais aucune promesse :
cela te vaudra une formule lapidaire,
un sarcasme qui te laissera, une fois de plus, estourbi.
Là, elle s’en va avec sa manie de dansoter
sur le chemin
pour bercer l’enfant qu’elle portait sur son dos.
Le cerf
Le cerf est mon rêve le plus récurrent.
Alors qu’il vit en harde, l’animal m’apparaît en me toisant, haut sur pattes
et plein de l’orgueil
d’un homme seul.
À mi-distance il paît dans un espace restreint, et autour
tout est pétrifié, aucun corps
de chair
qui puisse lui être comparé.
Le cerf se meut comme articulé par de puissants élastiques
internes
réunis dans un vigoureux organe inconnu et central.
De là sa démarche gracieuse
qui dissimule sa force colossale
élastique, son potentiel
d’envol.
Imaginons l’éventualité d’un chasseur et d’un coup qui fasse mouche,
et voilà le cerf bondissant ...