Je ne regarde jamais en arrière. C’est une perte de temps. Le passé ne peut pas être changé.
Elle avait vu de quoi était capable l’homme dont le corps réchauffait le sien tout en lui glaçant les veines.
C'était une chose d'apprendre que j'allais mourir, c'en était une autre de me dire que j'aurais pu être sauvé. Cela faisait plusieurs mois, en réalité, que ces maux de tête avaient commencé à me poser problème, mais avec ma hantise des médecins, j'avais préféré ignorer les symptômes. Il était trop tard à présent, alors à quoi bon remuer le passé ?
- Ecoutez, nous nous trouvons tous les deux dans une situation qui nous dépasse. Je vous assure que je ne suis pas l'homme qui vous a kidnappée. Vous devez me faire confiance.
Zoé scrutait son visage à l'affût du moindre signe qui montrerait qu'il n'était pas sincère. Il était en train de se jouer d'elle, elle en était persuadée. Tout ça n'était qu'une mise en scène de plus dans un jeu de rôle dont il était le meneur.
- La mémoire t'est revenue ? Demanda-a-t-elle.
- Non.
- Les hommes comme lui. C'est ce que vous venez de dire. Est-ce que vous envisagez la possibilité que je sois innocent ?
Le tueur était suffisamment proche des victimes pour savoir qu'elles vivaient seules et pour connaître des détails de leur vie, comme le fait, justement, que Delphine Nantier avait obtenu le premier rôle dans un ballet, que Béatrice Piccolini, sa deuxième victime, devait se marier au printemps prochain, ou encore que Céline Vandewere, la troisième victime, étudiante à l'École Normale, s'apprêtait à soutenir sa thèse de doctorat en chimie appliquée. Toutes se trouvaient au seuil d'une nouvelle vie, prêtes à prendre leur envol. Leur assassin avait détruit leurs rêves à coups de marteau.
J’essayai de focaliser mon attention sur autre chose, car je sentais l’angoisse monter à la seule idée que je pouvais être paralysé, mais il n’y avait pas grand-chose pour me distraire l’esprit à part regarder le ballet incessant des soignants qui entraient et sortaient de mon champ de vision. Je vis alors un jeune médecin qui marchait sans regarder devant lui, le nez plongé dans un dossier, obligeant ses collègues à s'écarter pour éviter de lui rentrer dedans.
"Ce type est foutu… Comment diable je vais lui annoncer ça, moi ?"
Le bruit des voitures autour de moi s'estompa pour céder la place à des murmures indistincts. Des voix qui semblaient provenir de l'immeuble lui-même, comme si celui-ci était doué de vie et me parlait pour révéler les secrets emprisonnés dans ses murs. Hélas, je n'arrivai pas à comprendre ce qu'elles disaient. C'était comme essayer d'entendre une conversation précise au milieu d'une foule. Impossible, alors je n'essayai même pas. La seule solution était de me trouver face à l'homme dont je voulais percer le secret le mieux gardé.
Des images de femmes nues, violentées, sur un écran d’ordinateur traversèrent mon champ de vision. De la pornographie à la limite de la légalité, trouvée probablement sur le Darknet. Cela pourrait être utile. Plus tard. Mais cela ne prouvait pas qu’il avait tué ces femmes et il le savait. Je le lisais dans son regard faussement outré. L’expression de son visage contrastait avec son calme intérieur. Je faisais fausse route et ça le faisait jubiler.
Mon cœur d'adolescent et mon cœur d'adulte ne faisaient qu'un et la blessure infligée au premier n'en était devenue que plus grande. Le visage de Léa surgit alors des profondeurs de ma mémoire. Elle me regardait, sous le choc alors que je venais de lui annoncer que je ne la verrai plus, que je ne l’aimais pas, qu’on s’était bien amusés le temps d'un été, mais qu’il était temps de regarder les choses en face : elle n’était pas assez bien pour moi.